Des experts de l’ONU condamnent les arrestations de grévistes au Cambodge
L’arrestation et la détention d’au moins 29 dirigeants et militants syndicaux de casinos au cours d’une grève qui a débuté la veille du Nouvel An au Cambodge pourraient constituer une violation du droit des droits de l’homme, ont déclaré mercredi des experts indépendants des Nations Unies.
« De nombreuses arrestations de grévistes, pour la plupart des femmes, ont été effectuées de manière violente et semblent enfreindre les libertés d’association, de réunion et d’expression », ont déclaré ces experts des droits de l’homme.
« Nous condamnons aussi fermement la manière dont les premières arrestations ont eu lieu, à la nuit tombée, un jour où de multiples autres événements ont détourné l’attention du public », ont-ils ajouté indiquant que cela pourrait être considéré « comme une manière sournoise de réprimer les droits humains fondamentaux et d’empiéter sur le libre exercice des droits à la liberté de réunion pacifique et d’association ».
Les experts ont demandé au gouvernement d’expliquer la réaction de la police et ont déclaré qu’ils suivaient de près l’évolution de la situation.
Rétrécissement de l’espace civique et politique
Neuf personnes – sept femmes et deux hommes – ont jusqu’à présent été inculpées d’ « incitation à commettre un crime » au titre des articles 494 et 495 du Code pénal cambodgien et sont toujours en détention, tandis que les autres ont été libérées. Ces mêmes dispositions ont déjà été utilisées pour poursuivre des défenseurs des droits humains dans le pays.
Les premières arrestations de neuf personnes ont eu lieu vers 20 heures le 31 décembre. La poursuite des grèves a donné lieu à 17 autres arrestations le 3 janvier, tandis que les trois plus hauts dirigeants du syndicat, dont son président Chhim Sithar, ont été arrêtés séparément le 4 janvier alors qu’ils se rendaient aux grèves en cours. Les images vidéo des arrestations montrent que la police a fait un usage apparemment excessif de la force lors des arrestations.
Les dirigeants et militants syndicaux sont en grève depuis le 18 décembre 2021 pour protester contre ce qu’ils considèrent comme le licenciement abusif de 365 membres du personnel du casino et du centre de villégiature Naga World, à la suite de négociations infructueuses avec leur employeur, le ministère du Travail et de la Formation professionnelle et les autorités municipales de Phnom Penh.
« Le mode opératoire et la manière dont ces arrestations ont eu lieu, après que l’action syndicale n’a pas été résolue rapidement, semblent constituer une escalade dans les tactiques utilisées dans des affaires précédentes qui se sont produites au Cambodge ces dernières années et qui ont abouti à l’emprisonnement injustifié de défenseurs des droits humains », ont déclaré les experts.
La Constitution cambodgienne reconnaît le droit de grève et les droits à la liberté d’association, d’expression, de réunion pacifique, de presse et de publication, tandis que l’article 319 du Code du travail cambodgien garantit le droit de grève.
En outre, les obligations énoncées dans les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels le Cambodge est partie, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), comprennent la protection de la liberté d’expression (article 19), le droit de réunion pacifique (article 21) et le droit à la liberté d’association (article 22). Ces droits doivent être respectés et protégés par les autorités cambodgiennes.
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Cambodge, le professeur Vitit Muntarbhorn, s’est déjà exprimé sur le rétrécissement de l’espace civique et politique dans le pays.
« Les dernières inculpations et arrestations sont particulièrement préoccupantes alors que le pays se prépare aux élections communales de cette année, puis aux élections nationales l’année suivante. Cela envoie un message effrayant au peuple cambodgien quant à son espace pour se réunir librement », ont déclaré les experts, qui ont exhorté les autorités à respecter leurs engagements envers les droits de l’homme internationaux et le droit national et à assurer une transparence totale dans les procédures de ces affaires.
En outre, les experts ont une fois de plus appelé le gouvernement à mettre en œuvre les recommandations qu’ils ont acceptées lors de l’Examen périodique universel de 2019, parmi lesquelles figure l’engagement de créer des conditions où « la société civile, y compris les défenseurs des droits de l’homme, peuvent librement mener à bien leur travail sans interférence ni entrave ».
Les experts indépendants sont les suivants : M. Vitit Muntarbhorn, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Cambodge ; Mme Irene Khan, Rapporteure spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression ; M. Clément Nyaletsossi Voule, Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association ; et Mme Mary Lawlor, Rapporteure spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.
Note :
Les Rapporteurs spéciaux et Experts indépendants font partie de ce qui est désigné sous le nom des ‘procédures spéciales’ du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, l’organe le plus important d’experts indépendants du Système des droits de l’homme de l’ONU, est le terme général appliqué aux mécanismes d’enquête et de suivi indépendants du Conseil qui s’adressent aux situations spécifiques des pays ou aux questions thématiques partout dans le monde. Les experts des procédures spéciales travaillent à titre bénévole ; ils ne font pas partie du personnel de l’ONU et ils ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants des gouvernements et des organisations et ils exercent leurs fonctions à titre indépendant.
Organisation des Nations Unies – 5 janvier 2022
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