Indochine, Cambodge… Un universitaire d’Angers recherche des témoignages d’enfants déracinés
Depuis plusieurs années, Yves Denéchère, professeur d’histoire à l’Université d’Angers (Maine-et-Loire), se penche sur l’histoire d’enfants métis, nés en Indochine, Vietnam, Laos ou au Cambodge. Son objectif : mettre en lumière ces parcours de vie, cachés derrière la grande histoire. Entretien.
L’écrivain allemand Goethe, qui a, entre autres, popularisé le mythe de Faust, a écrit un jour : « Écrire l’histoire est une façon comme une autre de se libérer du passé. »
Yves Denéchère, lui, veut écrire sur des histoires. Des « petites ». Celles que les manuels ignorent et qui survivent dans de vieux albums photos ou des souvenirs ; celles qui rassemblent ou séparent les destins, à l’ombre de leur grande sœur, avec un grand H. Une façon, aussi, de les libérer du passé…
Ce professeur d’histoire à l’Université d’Angers – TEMOS CNRS planche actuellement sur les destins d’enfants métis, nées entre 1930 et 1970 en Indochine, au Vietnam, au Laos ou au Cambodge. Et il recherche des témoignages. Entretien.
Indochine, Vietnam, Laos, Cambodge… Pourquoi rechercher des témoignages d’enfants métis nés dans ces pays ?
Depuis plusieurs années, je mène un travail de recherche sur les déplacements d’enfants dans un contexte de décolonisation. Parce que, dans ces périodes, l’enfance est un enjeu très important, pas simplement sur un plan symbolique mais, aussi, sur un plan démographique.
Un certain nombre d’enfants, dans les colonies africaines et, surtout, en Indochine, ont été amenés en France. C’est à eux que je m’intéresse.
Qu’est-ce qui les relie, ces enfants, au fond ?
Beaucoup étaient nés de père français, colons ou militaires, et de mère vietnamienne, cambodgienne, laotienne… Pendant la guerre d’Indochine, ces milliers d’enfants, métis, se sont retrouvés abandonnés par leur géniteur.
À ce moment-là, l’État français a mis en place une politique pour les récupérer et les faire venir en France. On ne peut pas ignorer la dimension humanitaire, mais il y avait aussi, et surtout, une dimension démographique, populationniste et politique.
C’est-à-dire ?
En France, à l’époque de la guerre d’Indochine, l’idéologie populationniste était très forte. Cela allait bien au-delà du natalisme ; il fallait renforcer la population française, son dynamisme démographique, etc.
En outre, il fallait faire en sorte que ces enfants-là ne deviennent pas des parias dans un régime communiste – il ne faut pas oublier que l’on était dans un contexte de Guerre froide – et qu’ils deviennent des proies faciles pour l’ennemi, c’est-à-dire pour le Vietminh.
Sur plus de 20 ans, 5 000 enfants vont ainsi être envoyés en France, sans leur mère, pour y être éduqués, pour y grandir.
Qu’en attendez-vous, de ces témoignages ?
L’idée, c’est d’appréhender la grande diversité des parcours et des histoires personnelles. Et plus j’aurais de témoignages, plus je pourrais toucher du doigt cette diversité.
Mais, au fond, pour tous, c’est la même expérience du déracinement. C’est un épisode qui a bouleversé leur vie et a eu un impact dans leur construction, en tant qu’homme, en tant que femme.
À terme, dans le cadre d’un programme de l’Agence nationale de la recherche, un ouvrage sur ces enfants métis sera publié l’an prochain, avant le 70e anniversaire de la guerre d’Indochine.
Contact : yves.denechere@univ-angers.fr
Par Jean-Philippe Nicoleau – Ouest France – 2 février 2022
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