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Boycotter la bière de la junte, un acte de résistance

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En Birmanie, la Myanmar Beer a l’étiquette militaire qui lui colle à la peau. Du coup, nombreux sont les habitants qui refusent d’en boire, pour pas que leur «argent aille à l’armée».

La Myanmar Beer, autrefois l’une des boissons les plus populaires de Birmanie, a quasiment disparu des rayons et des bars: produite par le japonais Kirin et une structure contrôlée par la junte, elle est boycottée par une grande partie de la population, depuis le coup d’État. Et gare à ceux qui osent encore la vendre.

Des bombes ont explosé, en mars, devant deux établissements de Rangoun qui proposaient les célèbres bouteilles aux couleurs jaune, rouge et or. Un autre restaurant a été pris pour cible à Mandalay, dans le centre du pays, et des cargaisons ont été détruites par des milices opposées aux généraux, selon les médias locaux.

De plus en plus de Birmans refusent d’en consommer. «Nous ne voulons pas que notre argent aille à l’armée», explique Kyaw Gyi, attablé dans un bar de la capitale économique. Le gérant d’un restaurant dans le centre de la ville raconte ne pas avoir renouvelé ses stocks depuis un an. Il a même demandé à la marque de reprendre les chaises, tables et parapluies qui portaient son logo. «Si les gens l’associent à notre restaurant, ils ne viendront pas», explique le commerçant, sous couvert d’anonymat.

Kirin s’est retiré

Face à la pression, Kirin, qui produit la Myanmar Beer en partenariat avec le conglomérat militaire Myanma Economic Holdings Limited (MEHL), a jeté l’éponge. Après avoir tenté pendant des mois de trouver un autre associé, le brasseur a annoncé, en février, qu’il allait se retirer «dès que possible» de la coentreprise Myanmar Brewery et quitter la Birmanie.

La Myanmar Beer a été pendant longtemps la bière la plus populaire du pays. Après des décennies de dictature militaire et d’isolement économique, la junte s’est dissoute en 2011 et, avec l’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyi, le pays s’est ouvert au monde extérieur, attirant les multinationales de la boisson – du Néerlandais Heineken à l’Américain Coca-Cola – désireux d’accéder aux 54 millions de Birmans.

En 2015, Kirin est entré au capital de la Myanmar Brewery, qui, trois ans plus tard, se targuait d’une part de marché de près de 80 pour cent. Mais les militaires, effrayés par la victoire écrasante du parti d’Aung San Suu Kyi aux législatives de 2020, décidèrent de reprendre le contrôle et renversèrent son gouvernement, le 1er février 2021.

Une chance pour Heineken, Carlsberg et Chang ?

Depuis, plusieurs entreprises étrangères ont annoncé quitter le pays et de nombreux appels au boycott ont été lancés contre les produits sortis des usines des conglomérats militaires – bière, café et savon en tête. La Myanmar Brewery, également pénalisée par la pandémie de coronavirus, a vu ses résultats fondre. Son bénéfice d’exploitation a été divisé par plus de deux, de 113 millions de dollars, en 2020, à 54 millions l’année dernière.

Le vide qui en découle ne laisse pas indifférents Heineken, le Danois Carlsberg et le Thaïlandais Chang, également présents en Birmanie. Les trois brasseurs, qui n’ont pas de lien avec les entreprises de l’armée, «ont gagné des parts de marché, notamment dans les villes», relève, sous couvert d’anonymat, un connaisseur du secteur basé à Rangoun.

Un boycott à des degrés divers

Le boycott de la Myanmar Beer n’est pas suivi partout de la même manière. Le week-end, à Naypyidaw, la capitale construite par les militaires au début des années 2000, des bars bondés en servent encore par conviction… ou par peur des représailles. C’est que le régime mène une répression sanglante contre ses opposants. Plus de 1700 civils ont été tués et plus de 13’000 arrêtés depuis le coup d’État, selon un observateur local.

Le boycott n’a pas non plus atteint l’État de Rakhine, dans l’ouest, où une trêve entre la junte et les factions ethniques rebelles protège globalement la région du chaos dans lequel est tombée une grande partie du reste du pays. À Sittwe, la capitale de l’État, de grands panneaux publicitaires vantent encore le goût et la fraîcheur de cette bière légère, tirant à cinq degrés. Dans la chaleur étouffante de l’été birman, Htun Htun, employé du gouvernement, s’attable à un bar de la ville et en commande une grande bouteille pour un peu plus d’un dollar. «Tant qu’il n’y a pas de problème avec les militaires chez nous, nous continuerons à boire notre bière habituelle», sourit-il.

Agence France Presse – 4 avril 2022

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