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La légion étrangère en Indochine : une histoire allemande

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Le 7 mai 1954 tombait Dien Bien Phu. Cette défaite sonnait le glas de ce qui fut la colonisation française en Indochine. Le cambodge avait acquis son indépendance le 9 novembre 1953. Mais le sort de cette bataille dantesque et les négociations qui en découlèrent, la partition du Viet Nam en deux parties eurent des conséquences effroyables sur le royaume.

Parmi les défenseurs de Dien Bien Phu, des parachutistes bien sûr, des troupes coloniales également, mais aussi des légionnaires.

Les légionnaires qui combattirent en Indochine étaient pour beaucoup d’origine allemande. Parmi eux, des enfants perdus dans les décombres du IIIe Reich, d’authentiques nazis, mais aussi, plus inattendu, des communistes qui pour certains changèrent de camp.

En 1945, le corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient est mis sur pied pour chasser les Japonais d’Indochine. L’effondrement de l’Empire du soleil levant intervenu entre temps, c’est en réalité au mouvement indépendantiste conduit par Hô-Chi Minh que se heurteront les forces françaises, jusqu’au sanglant épilogue de Diên Biên Phu. Le contingent n’étant pas mobilisé, l’armée s’appuie sur des engagés volontaires, au premier rang desquels les légionnaires.

Plus de 70.000 d’entre eux servirent en Indochine durant le conflit, auquel ils payèrent le plus lourd tribut côté français, avec plus de 10.000 tués. La forte présence dans leurs rangs d’Allemands et d’Autrichiens a intéressé le documentariste allemand Marc Eberle, qui a réalisé en 2005 pour Arte un film sur le sujet, Légionnaires allemands dans la guerre d’Indochine, diffusé demain à la Metahouse. “J’avais découvert ce fait méconnu en parcourant des livres comme ceux de Graham Greene, où apparaît au détour d’une page la silhouette d’un légionnaire allemand“, explique le réalisateur de 40 ans, spécialiste de l’Asie du Sud-Est. D’après les sources, la présence germanique monta parfois à 60% des effectifs de la légion durant le conflit (un chiffre de 70% est même rapporté dans le documentaire).

Des SS en Indochine


Parmi eux, beaucoup de jeunes gens faits prisonniers dans l’effondrement du IIIe Reich, les ultimes mobilisés par le régime nazi face aux troupes alliées. “Mais c’est certain qu’il y eut parmi eux des criminels, des gardiens de camps et des SS soucieux de se refaire une virginité“, explique Eberle. Un fait controversé à l’origine d’une légende noire, qui fit par exemple le succès dans les années 1970 du livre de George Robert Elford, La garde du diable : des SS en Indochine. L’auteur américain disait rapporter le témoignage d’un ex-Waffen SS croisé au Népal, à la tête d’un plein bataillon d’anciens nazis en “Indo”.

Les historiens ont contesté la véracité du récit, ainsi que son caractère apologique. “Il est difficile d’établir un profil commun aux engagés, reprend Marc Eberle, qui en a interviewé beaucoup. La plupart disent avoir été des jeunes perdus, sans but, dans un pays en ruine. Certains assument une vision idéologique, disant avoir combattu le communisme avec Hitler et continué avec les Français, d’autres contestent la tournure qu’a pris la guerre mais mettent en avant leur sens du devoir, etc.

Réseaux communistes et désertion

Plus fascinant encore est le parcours des incorporés allemands à la légion avant guerre, pour des motifs tout autres. Ceux-là étaient des militants et intellectuels opposés au nazisme, réfugiés en France, et qui s’engagèrent dans la légion à la veille du conflit (au même titre que des Espagnols républicains et des Italiens antifascistes). Une dizaine d’entre eux désertèrent ensuite en Indochine pour épouser la cause du Vietminh. Marc Eberle prit connaissance de cette histoire en croisant à Hanoi la route du chercheur allemand Heinz Schütte, auteur d’une étude sur le sujet. La figure la plus connue de ce groupe est l’Autrichien Ernst Frey, qui prit le nom de Nguyen Dan et raconta ses mémoires dans Vietnam mon amour : un Juif viennois au service d’Ho Chi Minh (inédit en français). “Malheureusement d’une génération plus âgée, tous étaient morts au moment du film, remarque Eberle, mais j’ai interviewé un officier vietnamien germanophone, chargé de liaison avec eux, et qui s’occupait notamment d’acheminer les contes de Grimm et livres de Marx dans les écoles montées par le Vietminh.”

Errance et désenchantement 


En 1950, Erich Honecker, futur dirigeant de la RDA, lança un appel aux soldats allemands à “rallier le camp des révolutionnaires vietnamiens où se trouvent beaucoup d’anciens légionnaires allemands”, leur promettant l’amnistie et un emploi à leur retour. Le chiffre de 1325 déserteurs allemands de la légion est avancé durant la durée de la guerre. “A leur arrivée en RDA, beaucoup découvrirent la nature répressive du régime et passèrent alors à l’Ouest. Seulement, ils étaient fichés pour désertion auprès de la police militaire française alors stationnée en Allemagne. Beaucoup durent alors se cacher ou refuir de nouveau à l’Est”, poursuit Marc Eberle. “C’est un parcours assez incroyable, digne d’une fiction entre le nazisme, les guerres coloniales et le communisme.” Un récit à la croisée de toutes les brûlures du siècle écoulé.

Lepetitjournal.com – 7 mai 2022

 

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