Le Sénat Thaïlandais est-il un frein à la démocratie ?
Alors que les prochaines élections législatives se rapprochent en Thaïlande, notre collaborateur et chroniqueur Philippe Bergues se penche sur le cas du Sénat Thaïlandais, largement téléguidé par les militaires.
Avec 250 voix, les sénateurs thaïlandais pèseront dans la future élection du Premier ministre, quelle que soit la composition de l’assemblée et des 500 députés qui y siégeront.
Petit rappel : ces 250 sénateurs ont été nommés en 2019 par le Conseil National pour la Paix et l’Ordre (NCPO), autrement dit par la junte militaire dirigée par le général Prayut Chan-o-cha depuis le coup d’État du 22 mai 2014. Ce qui veut dire que les sénateurs voteront en 2023 comme en 2019 pour ceux qui les ont portés au pouvoir, les partis militaires. Pour les partis d’opposition, l’équation est à la fois simple et difficile : il leur faut au moins 376 sièges à la chambre basse sur 500 pour s’affranchir du vote des sénateurs. Car la constitution de 2016 qui a été rédigée par les putschistes stipule que les 250 sénateurs ont le pouvoir de sélectionner le candidat proposé par les partis politiques qui comptent au moins 25 députés en exercice sous leur bannière.
Cependant, des différences notables entre 2023 et 2019
En 2019, le parti militaire Palang Pracharat avait été créé de toutes pièces par le général Prawit Wongsuwon pour soutenir la candidature de Prayut Chan-o-cha (d’ailleurs non membre officiel de ce parti) au poste de Premier Ministre et les 250 sénateurs avaient voté pour lui comme un seul homme. Lui permettant de rester au pouvoir après 5 ans de junte. En 2023, la donne a changé. Prayut vient d’adhérer au Ruam Thai Saang Chart (United Thai Nation Party – UTN), dans le but d’être son candidat lors du vote pour le Premier ministre après les prochaines élections générales. Et son frère d’armes, le général Prawit sera celui du Palang Pracharat. Au cas où ces deux partis conservateurs obtiennent chacun 25 députés, ce qui semble plus une formalité pour le Palang Pracharat que pour l’UTN récemment constitué, les 250 sénateurs auront donc à trancher entre Prayut et Prawit. Bien que ces deux « soldats politiques » assurent que « leurs liens sont éternels » de même qu’avec le général Anupong Poachinda, actuel ministre de l’Intérieur qui lui abandonnera sa carrière politique, on peut prévoir que l’ère des 3P touche à sa fin.
Inévitablement, Prayut et Prawit vont devenir concurrents, deux hommes en course pour la même fonction.
Les résultats des élections formeront les combinaisons possibles pour la future coalition gouvernementale. C’est pourquoi, de Dubaï, Thaksin Shinawatra a appelé à « une victoire écrasante » du Peu Thai pour « mettre fin au régime militaire ». L’objectif assumé du Pheu Thai est d’obtenir au moins 251 députés à la chambre basse sur 500 afin d’être en position de force pour former et être à la tête de la future coalition. Avec qui ? L’autre parti d’opposition actuel, le Move Forward, a des dissensions de programme avec le Peu Thai concernant l’article 112, ou crime de lèse-majesté, qu’il souhaiterait voir disparaître. Article 112 dont les thaksiniens s’accommodent. Le Bumjaithai d’Anutin est capable de s’allier avec Prayut ou Prawit comme il l’a montré depuis 2019. Mais dans son pragmatisme pour rester aux affaires, ce parti « faiseur de rois » semble aussi prêt à travailler avec le Pheu Thai comme l’a récemment déclaré son fondateur historique, Newin Chidchob qui ajoute « que le Bumjaithai et le Pheu Thai n’ont aucune haine l’un envers l’autre ». Même si Anutin a des visées pour la plus haute fonction. Enfin, l’idée d’un gouvernement d’union nationale Palang Pracharat-Pheu Thai n’est pas non plus à exclure selon le nombre de sièges obtenus par chaque parti. Prawit et Thaksin n’ont pas de contacts détériorés et certains membres du Palang Pracharat n’ont pas oublié leur mise à l’écart par Prayut en août 2021 (suite à l’épisode du vote de défiance raté à son encontre) et rêvent de revanche.
En Thaïlande, beaucoup de combinaisons de coalitions restent donc possible C’est pourquoi les ultraroyalistes veulent à tout prix éviter que le Pheu Thai, c’est-à-dire la figure de Thaksin Shinawatra, illustrée par sa fille Paetongtarn qui mène sa campagne, revienne par une voie ou une autre aux affaires, seul majoritaire ou coalisée. Illustration de cette pensée, le sénateur Séri, influent président du comité de la Chambre sur le développement politique, la communication de masse et la participation publique, a ce vendredi cité l’exemple du président chinois Xi Jinping, pour abolir la limite de 8 ans du mandat de Premier ministre en Thaïlande. Cette déclaration, pour le moment solitaire, révèle la fragilité du candidat Prayut dont le mandat s’achèverait au plus tard en 2025. Ce qui pourrait l’handicaper -lui et son parti- devant des électeurs qui voteront pour élire des députés jusqu’en 2027. Roulant pour Prawit, le secrétaire général du Palang Pracharat, Santi Promphat, a déclaré qu’il n’était pas d’accord avec cette proposition, estimant « qu’elle ne profiterait qu’à une seule personne ». On comprend donc que le Sénat fera tout pour empêcher toute alternance politique. Reste à voir comment se ventileront ses voix entre les deux généraux, Prayut et Prawit, cette répartition visera en premier lieu de mettre le clan Thaksin hors-jeu gouvernemental.
Par Philippe Bergues – Gavroche-thailande.com – 15 janvier 2023
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