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“La Beauté du geste”, une histoire du ballet royal du Cambodge

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Annoncé pour fin mars, le nouveau film documentaire de Xavier de Lauzanne, “La Beauté du geste”, (ទេពហត្ថា – The Perfect Motion Movie) met à l’honneur le ballet royal cambodgien et retrace l’histoire de cette danse à travers la création du dernier spectacle de la princesse Buppha Devi. 

Formé initialement à l’hôtellerie, Xavier de Lauzanne se consacre très vite au milieu associatif en mettant en place des formations hôtelières pour jeunes issus de milieux défavorisés en Martinique, au Vietnam puis au Cambodge. C’est d’ailleurs en Asie du Sud-Est qu’il débute sa carrière de réalisateur avec son documentaire “Retour sur RC4”, dans lequel il suit des anciens combattants de la guerre d’Indochine. Son attachement à cette région marquera le reste de sa filmographie. En 2016 sort son long métrage “Les Pépites” qui retrace le développement de l’association “Pour un sourire d’enfant” qui agit au Cambodge depuis 1996. Aujourd’hui, le réalisateur fait son grand retour au Royaume avec l’annonce de son prochain film : “La Beauté du geste”. Avec cette histoire, Xavier de Lauzanne cherche à créer, selon ses termes, un “film trait d’union” qui rassemblerait à la fois la communauté étrangère et cambodgienne autour d’une même fascination pour la danse des Apsara. 

“La Beauté du geste”, l’héritage d’une danse ancestrale

Ce film documentaire, commencé en 2017, tire sa source dans une double rencontre, celle de Rodin avec le ballet royal cambodgien, et la propre rencontre de Xavier de Lauzanne avec la princesse Buppha Devi qui produisait alors ce qui allait être son dernier spectacle. 

En 1906, alors que le ballet royal se produisait pour la première fois hors du Cambodge, lors de la visite du roi Sisowath à Paris, Rodin a été fasciné par le geste déstructuré et gracieux des danseuses de la cour du Roi, un geste bien différent de tout ce qui pouvait être vu en danse en occident à cette époque, nous explique le réalisateur. 

“Il a décidé, toutes affaires cessantes, de suivre pendant une semaine la troupe qui repartait sur Marseille pour réaliser une centaine d’aquarelles qui sont conservées aujourd’hui au musée Rodin. C’est peut-être bien la dernière œuvre du sculpteur qui ne soit pas encore très connue du grand public”, ajoute-t-il.

Le film retrace donc avec poésie cette rencontre entre le coup de pinceau de Rodin et la gestuelle des danseuses royales, et déroule ensuite l’histoire du ballet royal jusqu’à aujourd’hui. Il nous invite aussi à suivre comme un deuxième fil rouge, la création du dernier ballet de la princesse Buppha Devi, “Métamorphoses” ou Neang Waddhana Devi.

La Princesse était la fille aînée du roi Sihanouk et fut la danseuse étoile du ballet royal dans les années soixante. Incarnant à merveille la grâce de cette danse pendant plusieurs années, elle en est devenue la dépositaire au palais royal. 

C’est lors de ma rencontre avec le Prince Tesso, adjoint de la princesse pour le ballet royal, que la décision de faire un film à propos du ballet royal cambodgien est née. C’est notamment lui qui m’a informé que la princesse faisait un spectacle et que ce serait certainement son dernier”, nous confie Xavier de Lauzanne. 

Le Prince Tesso Sisovath nous raconte comment a émergé l’idée de ce documentaire :

“Un jour, alors que nous discutions, la princesse et moi, de l’organisation de son nouveau spectacle devant aller en tournée en Europe, elle me confia son sentiment selon lequel ce travail pourrait être sa dernière création. Conscient qu’elle y mettait beaucoup de son énergie je me suis alors dit qu’il serait dommage de ne pas pouvoir laisser un dernier témoignage sur sa manière de travailler et tout ce que représente un tel travail de production artistique.

C’est alors que j’ai eu l’occasion de rencontrer Mr Xavier de Lauzanne qui venait de tourner “Les Pépites”. Je lui ai parlé de ce projet de tournée. La princesse a alors bien voulu lui ouvrir les portes de sa demeure où nous répétons.

Xavier a gentiment accepté avec Pierre Kogan d’écrire le scénario de ce documentaire et de commencer les tournages sans aucune rétribution financière. Il fallait faire très vite, la princesse commençait déjà les répétitions. Nous nous sommes alors mis à contacter des sponsors pour nous soutenir dans cette aventure.”

Une histoire du Ballet royal du Cambodge

Xavier de Lauzanne s’adjoint des services de Pierre Kogan en tant que co-auteur et co-producteur.  C’est en se penchant ensemble sur la question qu’ils découvrent l’histoire incroyable de cet art ancestral cambodgien qui a bien failli disparaître à plusieurs reprises au cours de l’Histoire.

Dans sa réalisation, Xavier de Lauzanne aborde avec intimité et poésie l’évolution du ballet royal, de sa danse et de ses interprètes et laisse le temps au spectateur de s’émerveiller de la grâce des danseuses qui s’accordent parfaitement aux toiles de Rodin. Si la caméra se fait discrète tout au long du film, c’est pour mieux se glisser dans les remous de l’Histoire du Cambodge qui viennent déplacer les canons artistiques au grès de la mode mais aussi de l’idéologie, et du même temps s’immiscer dans les gestes présents de la chorégraphie de la princesse Buppha Devi. 

Ainsi, le film revient au fil des témoignages et des intervenants sur l’évolution des normes qui encadrent le ballet royal et ses représentations. En effet, si au XIXe siècle Rodin a succombé aux charmes des danseuses de la cours du Roi au teint blanc et au visage fermé, portant des tenues traditionnelles d’un ballet royal reconnu et admiré, la diminution des subventions françaises allouées au palais par l’administration coloniale dans les années 1930 va mettre à mal le ballet royal. C’est sous la direction de la reine Kossamak dans les années 1950 et 1960 qu’il va véritablement pouvoir renaître et se moderniser. A cette période, le teint blanc est abandonné au profit d’un visage sans fard plus expressif et les tenues sont redessinées pour donner une esthétique parfaite. C’est aussi à cette période que la reine introduit des hommes pour tenir des rôles comme celui du singe Hanuman ou alors comme musiciens et chanteurs. La tradition réservait en effet jusque-là tous les rôles aux femmes seulement. 

Pendant “l’âge d’or” de Phnom Penh, le prince Sihanouk n’hésita pas à produire le ballet royal devant ses invités de marques car il savait qu’à travers cette culture ancestrale le Cambodge a tout à gagner en prestige sur la scène internationale.

L’arrivée des Khmers Rouges en 1975 va contraindre les artistes à s’exiler ou se cacher, les empêchant de pratiquer leur art ouvertement. Le ballet disparaît et 90% de ses membres périssent dans le génocide. La fin de la dictature khmère rouge ouvre une nouvelle ère de reconstruction et au sein du nouveau gouvernement de coalition, la princesse étant nommée Ministre de la Culture et des Beaux-Arts, elle fait inscrire en 2003 le Ballet Classique Khmer comme patrimoine Oral et Intangible de l’Humanité par l’UNESCO.

Le réalisateur français nous explique qu’il a eu la chance, par l’entremise du prince Tesso, que la princesse lui ouvre l’accès de sa demeure afin qu’il puisse exceptionnellement filmer les répétitions de son dernier spectacle. Le film suit ainsi également le processus de création de la chorégraphie pensée par la princesse qui, à partir des films d’archives du début du siècle, a voulu transporter le public 100 ans en arrière, à cette époque où Rodin fut émerveillé par cet art qu’il comparait à celui de la Grèce Antique.

Le film relève ainsi le défi d’ouvrir la culture cambodgienne au reste du monde en retraçant l’histoire des représentations de la danse du ballet royal au prisme des époques. 

Un documentaire qui collectionne à lui seul plusieurs “premières” au Cambodge

“La Beauté du geste” est en effet l’un des premiers films documentaires à sortir en salle au Royaume.  

Il est également entièrement doublé en khmer, ce qui est rarement le cas pour les films étrangers diffusés dans le pays. En traduisant intégralement le film en khmer, le réalisateur français espère ainsi permettre aux cambodgiens de réellement se l’approprier et d’en faire un témoignage culturel important pour les générations à venir.  

Xavier de Lauzanne maintient en effet que la danse est devenue “un véritable support de reconstruction identitaire”. 

“La culture est un moyen de retrouver son identité en tant que nation. Aujourd’hui il y a deux symboles qui représentent le Cambodge dans le monde : Angkor Wat et le ballet royal. On peut dire que la danse fait maintenant partie de l’ADN de la culture Cambodgienne.”, affirme-t-il. 

Enfin, ce film a vocation à être plus qu’une œuvre cinématographique puisqu’il sera également mis à disposition des enseignants. En effet, trois dossiers pédagogiques ont été constitués à partir du film, un en français, un en anglais et un en khmer. 

“Ces dossiers contiennent des fiches qui correspondent aux différents niveaux des élèves et sont destinés aux enseignants pour qu’ils s’en servent comme support d’étude. Il était très important que les dossiers soient adaptés à chaque langue et répondent chacun au curriculum de leur système scolaire. Ainsi, le dossier en français a été rédigé par les enseignants du lycée Descartes, celui en anglais par les enseignants de la Canadian International School et de l’International School of Phnom Penh et celui en khmer par l’ONG SIPAR.”, précise le réalisateur. 

En plus de ces dossiers pédagogiques, des sorties scolaires seront également organisées pour voir le film (une autre première) et un accord a été trouvé avec le distributeur cambodgien Westec Media pour accorder un tarif préférentiel aux étudiants et aux ONG. Selon Xavier de Lauzanne, ces efforts sont le fruit d’une collaboration importante avec le Ministère de l’Éducation et le Ministère de la Culture au Cambodge. Le film a également pu se faire grâce à la contribution de The Peak, l’Amicale des Étudiants en pharmacie et des Pharmaciens Khmers, la Bred bank Cambodia, Vattanak beer et Rosewood, l’Union Européenne, All Dreams Cambodia et Kulen qui furent les principaux sponsors.

Témoignage important de l’histoire et des traditions khmères, le film ajoute ainsi sa pierre à l’édifice du patrimoine cambodgien et mondial. Rendez-vous le 1er avril dans toutes les bonnes salles de cinéma cambodgien pour en profiter. 

Par U. Lacaze – Lepetitjournal.com – 10 mars 2023

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