Un ancien titan de l’industrie du sexe devient un héros anticorruption en Thaïlande

Après un passé dans les eaux sombres, Chuwit Kamolvisit est devenu un héros de la lutte contre la corruption en Thaïlande, faisant trembler les politiciens véreux et les mafieux.

Chuwit Kamolvisit, qui avait bâti un empire de clubs de strip-tease et de salons de massage savonneux puis filtré avec la politique a finalement abandonné tout cela pour devenir un dénonciateur des riches et puissants corrompus.

Il a lancé une campagne anti-corruption dans les rues à l’approche des élections du 14 mai.

Contrairement à Batman dans Gotham city, Chuwit n’a pas besoin de coûteux gadget, il est juste armé d’un porte-voix et sillonne les quartiers de Bangkok en proférant des injures et des insultes à l’encontre de ses cibles, avec le ricanement qui le caractérise.

C’est un personnage un peu farfelu, mais il est pris au sérieux, car nombre de ses accusations se sont révélées exactes et ont permis l’arrestation de criminels, comme celle de Tu Hao, un hommes d’affaires véreux, impliqué dans le trafic de drogue.

Il n’a épargné aucun parti ni aucun homme politique dans sa campagne individuelle contre la corruption profondément enracinée et ce qu’il considère comme les maux sociaux résultant de la décision du Parlement, l’année dernière, d’assouplir les lois nationales sur le cannabis.

« Je pense que la corruption est comme le stade final du cancer, elle ne peut pas être soignée, elle ne peut pas être guérie », a déclaré Chuwit, 61 ans, au journal BenarNews alors qu’il faisait campagne le long de Sukhumvit Road récemment.

Cette avenue du centre de Bangkok est un pôle d’attraction pour les touristes et les boutiques de marijuana s’y sont multipliées ces derniers temps.

C’est une étape régulière pour les politiciens en campagne.

« Le corps fragile lutte pour survivre au quotidien face à la politique, aux affaires, à la police et aux systèmes bureaucratiques », a déclaré M. Chuwit.

Il a encore une moustache, mais elle devient grise, et il est beaucoup plus mince que pendant les années fastes où les Thaïlandais le connaissaient aussi sous le nom de « roi des salons de massage ».

Chuwit s’est fait de nombreux ennemis en chemin, mais il a aussi de nombreux admirateurs.

Priew Daojai, une habitante de Bangkok âgée de 36 ans, qui écoutait Chuwit s’exprimer sur Sukhumvit Road, a déclaré qu’elle était une fan.

« J’aime ce qu’il fait.

Nous avons besoin de quelqu’un comme lui pour lutter contre la corruption.

Mais je ne pense pas que nous puissions résoudre ce problème, car la corruption est omniprésente et ne cesse d’augmenter.

Je déteste la corruption », a-t-elle déclaré aux journalistes de BenarNews.

Un autre habitant de la capitale thaïlandaise a déclaré que les difficultés économiques pour les gens de la base dans le pays s’aggravaient.

« Je pense que la corruption est plus présente qu’auparavant », a déclaré Pornpirun, qui a demandé à ne pas utiliser son nom complet pour des raisons de confidentialité.

Chuwit en campagne contre la dépénalisation du cannabis

Bien que la plupart des partis et des candidats à la course électorale s’engagent à lutter contre la corruption si les Thaïlandais votent pour eux, l’une des principales cibles de la croisade préélectorale de M. Chuwit est le parti Bhumjaithai et Anutin Charnvirakul, figure de proue du parti et ministre de la Santé dans le gouvernement intérimaire.

Il a été l’un des principaux artisans de la dépénalisation du cannabis en Thaïlande.

Selon M. Chuwit, la modification du code pénal a eu pour effet de rendre la marijuana accessible à la consommation publique, ce qui va à l’encontre de l’intention de la loi.

« Vous pouvez aller à Sukhumvit Soi 11 et photographier des camions de ganja vendant des cigarettes de marijuana.

Il y en a partout sur Khao San Road et ainsi de suite », a déclaré M. Chuwit.

Depuis l’assouplissement de la législation en juin dernier, des produits alimentaires et des boissons contenant de la marijuana ont fait leur apparition dans les cafés, les restaurants et les magasins 7-Eleven, notamment des glaces, des biscuits, des smoothies, des jus, des thés glacés et des croissants aromatisés au cannabis.

À l’époque, de nombreux Thaïlandais se sont montrés inquiets, confus et même en colère face à ce changement de politique, estimant que la légalisation partielle de la marijuana ne s’accompagnait pas d’une loi visant à réglementer sa consommation.

Selon les critiques, ce changement a entraîné une consommation inconsidérée de cannabis.

Au cours des premières semaines, au moins 40 personnes ont été hospitalisées après avoir consommé du cannabis, dont neuf mineurs.

« C’est un exemple de corruption au niveau politique », a déclaré M. Chuwit à propos de l’assouplissement de la loi sur la consommation de cannabis.

« Les partis politiques ont ensuite utilisé l’argent ainsi gagné pour acheter des députés d’autres partis – 40 à 50 millions de bahts chacun – afin qu’ils rejoignent leurs partis », a-t-il affirmé.

« Ne votez pas pour de mauvais politiciens ».

Pendant que BenarNews le suivait, Chuwit allait d’un endroit à l’autre, discutant avec les piétons et distribuant des pin’s et des T-shirts portant des slogans tels que « Non à la corruption » et « Anti-cannabis libre ».

La semaine dernière, le parti Bhumjaithai a demandé une ordonnance pour empêcher Chuwit de le cibler avec ses critiques publiques, alléguant qu’il diffusait de fausses informations.

Mais le tribunal civil a refusé d’accorder une injonction, invoquant le droit de Chuwit à la liberté d’expression.

« Je ne suis pas un ange »

Chuwit, qui est né à Hong Kong, est l’ancien propriétaire du Davis Group, un conglomérat de divertissement qui exploite des salons de massage savonneux et des bars à strip-tease dans les quartiers chauds de Thaïlande.

L’industrie lucrative de la vie nocturne est un monde gris et sordide où la criminalité se mêle et brouille les lignes des entreprises légales.

En 2016, Chuwit a été condamné à deux ans de prison après avoir engagé des dizaines d’hommes de main pour intimider et détruire au bulldozer des bars qui squattaient sa propriété après l’expiration de leur bail.

En tant qu’homme d’affaires prospérant grâce au commerce du sexe, Chuwit s’était habitué à devoir payer les autorités en leur versant des pots-de-vin.

« J’ai versé beaucoup d’argent aux fonctionnaires jusqu’au jour où je me suis dit que j’en avais assez », a-t-il déclaré à BenarNews en expliquant pourquoi il avait tout abandonné.

Quel que soit le type d’entreprise, Chuwit a déclaré :

« Vous devez toujours payer les fonctionnaires pour qu’ils travaillent pour vous, pour que les choses se fassent ».

Après des années passées à graisser la patte des fonctionnaires pour faire tourner ses entreprises, il a vendu ses salons de massage et ses clubs de strip-tease, puis a déclaré la guerre à la corruption et aux pots-de-vin.

C’est alors qu’il renaît en tant que dénonciateur qui aide à exposer la corruption liée au commerce du sexe.

« Je ne suis pas un ange.

Je ne suis pas seulement un criminel, je suis le pivot », a-t-il déclaré en réfléchissant à sa vie.

Après avoir vendu son empire commercial, Chuwit s’est présenté au poste de gouverneur de Bangkok en 2004, mais a perdu.

Il a été élu au parlement un an plus tard, mais a été disqualifié peu après en tant que député du parti Chart Thai parce qu’il n’avait pas été membre du parti pendant le nombre minimum de jours requis avant d’être élu.

L’année dernière, M. Chuwit a suscité une vive controverse et fait la une des journaux après avoir contribué à révéler des liens présumés entre la police royale thaïlandaise et le monde criminel chinois.

Chuwit a accusé certains policiers d’être malhonnêtes en soutenant les caïds chinois et les syndicats des « triades » dans leurs activités illicites en Thaïlande.

Chaiyanat Kornchayanant (également connu sous le nom de Tu Hao), un ressortissant chinois qui a obtenu la nationalité thaïlandaise et qui était marié à une policière thaïlandaise, a été arrêté en novembre 2022 pour trafic de stupéfiants et criminalité transnationale.

Selon certaines informations, il aurait fait don de 3 millions de bahts au parti Palang Pracharath, le parti phare de la coalition au pouvoir, qui entretient des liens étroits avec l’armée et l’ancien gouvernement de la junte thaïlandaise.

En décembre, le ministre de la Justice, Somsak Thepsuthin, a annoncé que son ministère récompenserait M. Chuwit pour les efforts qu’il a déployés en tant qu’informateur avant que la police ne procède à des perquisitions dans le cadre de l’affaire Tu Hao, en lui remettant 5 % des biens saisis par les autorités dans le cadre de ce que l’on appelle les « entreprises grises », a rapporté le journal Bangkok Post.

Mais selon un article de KomChadLuek, un autre média local, Chuwit a déclaré qu’il ne voulait pas accepter la récompense.

Lorsque BenarNews lui a demandé si la Thaïlande pourrait un jour avoir un gouvernement propre et transparent, Chuwit n’a pas tardé à répondre : « Non ».

« Il est impossible d’avoir un gouvernement non corrompu parce que lorsqu’ils achètent des députés, ils doivent récupérer des avantages personnels », a-t-il déclaré.

« Pour avoir un gouvernement de coalition, ils doivent les mettre en commun, c’est un cercle de corruption ».

Toutelathailande.fr avec Benar News – 15 avril 2023