Législatives en Thaïlande : l’éternel face à face entre l’armée et l’opposition
En Thaïlande, l’opposition caracole en tête des sondages pour les législatives prévues le 14 mai prochain. Mais depuis le putsch militaire en 2014, l’armée a changé les règles du jeu politique en sa faveur. Ce scrutin doit déterminer si la deuxième économie de l’Asie du Sud-Est arrive enfin à sortir de l’ornière qui paralyse le pays.
La campagne électorale bat son plein dans les rues de Bangkok, et comme à chaque fois depuis plus de 20 ans, deux mastodontes politiques s’affrontent. D’un côté, on trouve le tout-puissant clan militaro-royaliste, de l’autre celui du principal parti d’opposition Pheu Thai de l’ex-Premier ministre et milliardaire en exil Thaksin Shinawatra. La question cruciale qui se pose aux 52 millions d’électeurs : « Est-ce qu’on va enfin sortir de ce face à face entre l’armée et le clan Shinawatra ? », pose ainsi Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse au Centre Asie de l’IFRI. « De façon habile, Thaksin a nommé sa fille. Ce face à face qui ne permet pas aux partis alternatifs, aux jeunes comme Move Forward de vraiment prendre leur place sur l’échiquier politique nationale. »
Le parti Move Forward espère faire carton plein chez les jeunes pro-démocratie qui sont descendus en masse dans la rue en été 2020. Mais réussira-t-il à renverser la table pour établir, aux côtés du parti Pheu Thai, un gouvernement plus démocratique ?
Sunai Phasuk, représentant à Bangkok de l’ONG Human Rights Watch, craint que beaucoup de jeunes bouderont les urnes : « Les jeunes électeurs sont frustrés, ils sont très malheureux avec la politique thaïlandaise si peu démocratique. Ils veulent des changements, une transition vers une véritable démocratie. Le défi pour les partis pro-démocratie est donc de les convaincre qu’une façon d’y arriver est de participer aux élections. Il faut les convaincre que malgré les défauts, malgré un système électoral biaisé, il peut y avoir des changements, à condition qu’ils aillent voter en masse. »
Une Constitution favorable au général Prayut
Au pouvoir depuis un putsch militaire en 2014 et légitimé en 2019 par des législatives controversées, l’actuel Premier ministre, l’impopulaire général Prayut, peut compter sur une constitution façonnée à sa guise : « L’armée a mis en place tout un mécanisme qui lui permet de garder le contrôle et notamment cette fameuse Constitution de 2017 impose que le Premier ministre soit nommé à la fois par les députés et les 250 sénateurs qui sont eux nommés par le pouvoir », rappelle Sophie Boisseau du Rocher. « La question est de savoir : est-ce que ces sénateurs pourraient aller à l’encontre des intérêts de l’armée ? »
C’est peu probable. En 2019, aucun sénateur n’a voté contre les militaires. Cette fois encore, seul un raz de marée permettrait à l’opposition de nommer le Premier ministre. « Il lui faudra gagner plus de 376 sièges sur les 500 pour contourner le vote des sénateurs. C’est un énorme défi. C’est un système électoral pourri jusqu’à l’os qui permet au général Prayut de continuer à gouverner le pays, peu importe son résultat aux élections. »
Aux électeurs, il ne restera peut-être que la rue pour exprimer leur mécontentement, prédit Sophie Boisseau du Rocher : « La voix populaire n’est jamais entendue. Aujourd’hui, le sentiment général est que, s’il y a trop d’abus, de manipulations excessives, est-ce que la population va descendre à nouveau dans la rue ? C’est une question ouverte ! La voix populaire n’est jamais entendue. »
Par Heike Schmidt – Radio France Internationale – 16 avril 2023
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