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Thaïlande : le retour de la démocratie, enjeu décisif du scrutin de dimanche

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Les électeurs thaïlandais vont désigner ce dimanche leurs députés. Les deux partis pro-démocratiques, qui veulent la fin du pouvoir conservateur contrôlé par les militaires et l’establishment royaliste, sont en tête des sondages. Ils ne sont toutefois pas certains de prendre le contrôle de l’exécutif, même avec un bon score.

« Tout sauf les oncles ! » Sous une bâche, par 41 °C, sur un trottoir du quartier de Ramkhamhaeng, dans l’est de Bangkok où elle vend des soupes de nouilles à 40 baths (1,1 euro), Jade prévient qu’elle va voter, dimanche, pour le changement. Contre Prayuth Chan-o-cha, l’actuel Premier ministre, et son numéro deux, Prawit Wongsuwon, les deux généraux ultra-conservateurs, âgés de 69 et 77 ans, qui avaient orchestré le coup d’Etat de 2014 avant de se réinventer en leaders d’un gouvernement « civil », défenseur de l’ordre établi, lors des législatives faussées de 2019 .

A 34 ans, c’est la première fois que Jade se rendra aux urnes. « Ils ne font rien pour nous. J’ai un fils de huit ans et je dois faire trois jobs pour essayer de m’en sortir. Rien ne change », explique la jeune femme qui dit gagner au total 20.000 bahts (541 euros) les bons mois, avec ses autres emplois dans une école de badminton et une boutique de sports. Lors des législatives du 14 mai, où les sièges des 500 députés sont en lice, la jeune femme va voter pour le Move Forward Party, une jeune formation de centre gauche, lancée avant les législatives de 2019, puis dissoute par le gouvernement.

La poussée d’un parti de centre gauche

Désormais mené, sous une autre structure, par Pita Limjaroenrat, le parti a progressé très rapidement ces dernières semaines dans les sondages et peut espérer emporter une centaine de sièges dimanche. Dans les enquêtes d’opinion, le leader de 42 ans, un ancien cadre de la société Grab formé à Harvard et au MIT, est désormais désigné comme le candidat favori pour le poste de Premier ministre.

Le Move Forward party est particulièrement plébiscité par la jeunesse, dans les villes. « Nous voulons redonner confiance dans la démocratie », explique l’un de ses cadres, le député Worapop Wiriyaroj. Autour de lui, au siège du parti, des militants, en T-shirt bleu et orange, viennent récupérer des tracts et des posters de campagne, où les candidats sont dessinés en héros façon Marvel. Les mâchoires bien carrées et les sourcils froncés dans le combat pour la réforme. « Nous voulons montrer que la Thaïlande n’est pas bloquée dans un affrontement éternel entre la droite conservatrice, imposée par les militaires et les royalistes, et la droite populiste de Thaksin », détaille l’élu de 35 ans.

Le clan Shinawatra

Il fait référence à Thaksin Shinawatra, l’ancien Premier ministre milliardaire, en exil pour échapper à des accusations de corruption, dont le parti, plusieurs fois dissous avant d’être rebaptisé aujourd’hui « Pheu Thai », a remporté tous les scrutins depuis le début des années 2000, avant de voir ses gouvernements renversés par des coups d’Etat en 2006 et 2014. Cette année-là, c’est sa soeur Yingluck Shinawatra qui avait été chassée de l’exécutif par l’armée.

Dimanche, les espoirs du clan Shinawatra seront portés par Paethongtarn Shinawatra, la fille de Thaksin et nièce de Yingluck. Novice en politique, la jeune femme de 36 ans, qui a donné naissance à son deuxième enfant la semaine dernière, enchaîne les meetings dans les zones rurales, notamment dans le nord-est du pays très pauvre, où la formation capte toujours plus de la moitié des voix, grâce à un agenda ultra-populiste promettant moult distributions de chèques et des hausses de salaire improbables . Dans les derniers sondages, Pheu Thai semble en mesure d’emporter environ 200 sièges, quand les formations emmenées par les généraux apparaissent totalement débordées.

Agendas très différents

En théorie, les deux mouvements prodémocratiques, Move Forward Party et Pheu Thai, pourraient s’entendre et former une coalition solide pour gouverner et renvoyer les militaires. « Mais ce n’est pas si simple. Leurs agendas sont très différents et les réformes ambitieuses de Move Forward mettent très mal à l’aise le clan Shinawatra qui ne veut, lui, pas trop braquer l’establishment », explique Puangthong Pawakapan, une professeur de sciences politiques à l’université Chulalongkorn.

Les projets de Move Forward de refonte du pouvoir militaire, de soutien aux PME contre les conglomérats et de réforme du crime de lèse-majesté, qui est utilisé par les conservateurs ces dernières années pour faire arrêter leurs opposants, refroidissent l’affairiste Thaksin Shinawatra, qui espère négocier son retour d’exil pour mieux « conseiller » sa fille. « Pheu Thai ne propose aucune réforme en profondeur de la structure du pouvoir thaïlandais », rappelle l’experte.

Un vote faussé

Surtout, la constitution d’une coalition est compliquée par les règles électorales retouchées par les militaires. « Pheu Thai et Move Forward pourraient certes contrôler une majorité forte à l’Assemblée nationale, mais elle ne sera pas assez large pour désigner le Premier ministre », détaille le politologue Termsak Chalermpalanupap du Yusof Ishak Institute. « La course au poste de chef de l’exécutif est décidée par une majorité des deux chambres réunies, soit 376 voix. Or les 250 membres non élus du Sénat sont des conservateurs pro-establishment », précise-t-il.

L’un des anciens généraux, assurés du vote quasi-automatique de ces sénateurs, pourrait ainsi se maintenir au pouvoir malgré un mauvais score. « Il y a toujours ce risque. Ils peuvent aussi organiser un autre coup d’Etat dans les prochaines semaines ou bien décider de dissoudre, une nouvelle fois, le parti si notre score est trop élevé », prévient le député Worapop Wiriyaroj. « Mais nous serons toujours là. On ne dissout pas une idéologie, ni ses militants », souffle-t-il.

Par Yann Rousseau – Les Echos – 13 mai 2023

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