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Thaïlande : victorieux dans les urnes, les partis démocrates négocient pour chasser les généraux

Les mouvements Pheu Thai et Move Forward vont largement dominer l’Assemblée législative. Mais ils ont besoin d’alliés pour contrer les sénateurs, nommés par les conservateurs, et réussir à obtenir le poste de Premier ministre.

Les additions ont commencé dans la nuit. Sorties victorieuses des législatives de dimanche, les grandes formations démocrates ont lancé, ce lundi matin, leurs pourparlers pour tenter de modeler une coalition capable de chasser les militaires qui contrôlent l’exécutif du royaume depuis 2014.

Selon les dernières projections de la commission électorale, qui ne communiquera des résultats définitifs que dans quelques jours, le jeune parti réformiste de centre gauche Move Forward s’impose comme le grand gagnant du scrutin. Soutenu par la jeunesse et les citadins – il a emporté 32 des 33 circonscriptions de Bangkok -, il va contrôler au moins 150 des 500 sièges de la future assemblée.

Il devance ainsi le parti populiste Pheu Thai, qui avait emporté toutes les élections législatives des vingt dernières années sous l’impulsion de différents membres d’une même famille, les Shinawatra. Cette formation, moins réformiste, devrait obtenir 140 députés.

Déroute des partis liés à l’armée

Face à ces mouvements démocrates, les formations pilotées par les généraux, qui avaient fomenté le coup d’Etat de 2014 avant de se présenter en leaders « civils » lors des élections faussées de 2019, encaissent une lourde défaite. Le parti de l’actuel Premier ministre, Prayuth Chan-o-cha, et celui de son vice-Premier ministre, le général Prawit Wongsuwan, n’ont sécurisé, ensemble, que 76 sièges.

Dans les prochains jours, l’essentiel des tractations va donc se jouer entre ces différents acteurs politiques qui n’ont pas d’affinités politiques évidentes. S’ils dominent largement l’assemblée législative, les mouvements Move Forward et Pheu Thai ont des agendas très distincts et ne sont pas assurés de pouvoir contrôler le prochain gouvernement. Inquiets depuis des années de la popularité croissante de leurs opposants démocrates, les militaires et leurs alliés conservateurs royalistes ont, en effet, aménagé la Constitution pour diminuer l’influence du vote populaire.

Pour être nommé, un Premier ministre doit emporter la majorité absolue des votes de l’ensemble du Parlement, composée de l’assemblée élue mais également d’un Sénat, dont les 250 membres sont nommés, eux, directement par les militaires et les autres institutions conservatrices. Le futur dirigeant de la Thaïlande devra donc être en mesure de réunir, lors d’une session début juillet, au moins 376 votes de parlementaires. « Et nous pouvons assumer que la majorité des 250 sénateurs ne soutiendront pas un candidat au poste de Premier ministre qui viendrait du Pheu Thai ou du Move Forward Party », prévient le politologue Termsak Chalermpalanupap du Yusof Ishak Institute.

Ces deux formations sont perçues comme des menaces par l’establishment militaire et royaliste. Par deux fois en moins de vingt ans, les généraux ont renversé les leaders du Pheu Thai, arrivés à la tête de l’exécutif après des victoires électorales régulières. En 2006, ils avaient chassé du pouvoir Thaksin Shinawatra, l’homme d’affaires qui a créé ce mouvement populiste. Puis en 2014, ils ont organisé un autre coup d’Etat contre sa soeur Yingluck Shinawatra. Ces deux anciens Premiers ministres vivent ainsi en exil. Cette année, c’est la fille de Thaksin, Paethongtarn Shinawatra, qui a défendu les couleurs du clan et de son parti.

Des négociations sous surveillance

L’armée se méfie aussi beaucoup du leader de Move Forward, le très populaire Pita Limjaroenrat, qui propose la fin du service militaire ou encore une réforme du crime de « lèse-majesté », dont l’exécutif conservateur se sert régulièrement pour faire arrêter ses critiques. Selon l’ONG « Avocats thaïlandais pour les droits de l’Homme » (TLHR), au moins 242 personnes ont été inculpées, depuis 2020, sous ce prétexte d’une diffamation de la famille royale.

Réaffirmant sa volonté de profondément réformer le pays, Pita Limjaroenrat a indiqué, ce lundi matin dans un tweet, qu’il était prêt à prendre la direction du gouvernement. « Peu importe que vous ayez voté pour moi ou non, je vous servirai », a insisté l’élu de 42 ans qui va maintenant négocier avec les cadres du Pheu Thai. Même s’ils parviennent à surmonter leurs écarts idéologiques, les deux grandes formations démocrates savent qu’elles devront trouver d’autres alliés pour former un exécutif solide.

Les analystes évoquent un éventuel accord avec le Bhumjaithai du ministre de la Santé Anutin Charnvirakul, qui a poussé la décriminalisation du cannabis dans le pays. Sa formation, tolérable pour les militaires et les démocrates, va disposer de près de 70 sièges à l’Assemblée et devrait donc jouer un rôle clé dans les tractations des prochains jours, que l’establishment conservateur va suivre de très près. « Bien que ces élections marquent un changement générationnel important et un rejet complet du régime militaire, il serait naïf de penser que l’armée va renoncer unilatéralement aux outils dont elle dispose pour se maintenir au pouvoir », a prévenu Zachary Abuza, un spécialiste de l’Asie du Sud-est au National War College. Les experts mettent ainsi en garde contre une éventuelle dissolution, dans les prochains jours, des partis démocrates sous des prétextes fallacieux.

Par Yann Rousseau – Les Echos – 15 mai 2023

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