Birmanie : l’enfer des rescapés du cyclone, privés d’aide humanitaire par la junte
Les Birmans qui ont survécu, en mai dernier, au passage du cyclone Mocha luttent encore pour leur vie : la junte a décidé de couper les aides aux zones dévastées. Dans cet enfer, les tensions sont exacerbées entre la majorité bouddhiste et les déplacés rohingya dans l’état Rakhine.
La junte a décidé de couper les aides aux zones dévastées par le cyclone Mocha, où vivent 5 millions de Birmans, contrairement à ce que l’on peut lire, ce mardi matin, dans *Global New Light of Myanmar (*page 6). Le journal officiel birman salue l’arrivée, lundi soir à l’aéroport de Rangoun, de l’aide humanitaire fournie par l’Indonésie. Le quotidien birman nous montre, d’ailleurs, d’énormes colis déchargés d’un avion orange et bleu, aux couleurs de la compagnie My Indo Airline. Un ministre assure que tous ces vivres et ce matériel – des tentes, des bâches, des couvertures, des générateurs, de la nourriture instantanée – seront « livrés rapidement à toutes les personnes vivant dans les zones touchées par la catastrophe naturelle, y compris dans l’État Rakhine », à l’ouest de la Birmanie. Mais la BBC, libre, elle, de s’exprimer, l’assure : l’armée birmane, qui avait suspendu, au début du mois, l’aide humanitaire, verrouille désormais tout. Cette décision a « transformé un événement météorologique extrême en une catastrophe d’origine humaine », selon l’ONG Human Rights Watch, interrogée par la radio-télévision britannique.
« Il n’y a pas assez d’eau ni de nourriture, et trouver l’un ou l’autre est encore plus difficile avec la mousson qui a commencé, explique un birman qui vit à Sittwe, la capitale de l’État Rakhine, l’un des états birmans déjà les plus pauvres du pays, où près de huit personnes sur 10 vivaient sous le seuil de pauvreté, avant même le passage du cyclone Mocha le 14 mai. Depuis, les choses ont encore empiré, explique la BBC. Dans les semaines qui ont suivi la tempête, si l »es habitants ont reçu du riz, de l’eau potable et de l’huile de l’extérieur », depuis, la junte refuse l’accès aux groupes humanitaires qui veulent opérer dans la région. Un autre birman se désole à la BBC, de devoir « rester assis sous la pluie toute la journée, sans pouvoir dormir. Les enfants tentent d’étudier dans une école sans toit. » Seule une fraction des maisons endommagées ont été réparées, selon l’ONU. L’armée de l’Arakan, un groupe ethnique d’insurgés de l’Etat Rakhine, a déclaré que la tempête avait détruit plus de 2 000 villages et 280 000 maisons dans l’État. La junte affirme que le cyclone a tué 145 personnes, mais le gouvernement clandestin d’unité nationale estime que le bilan était plus proche de 500, précise la BBC.
Ce désastre a exacerbé les tensions entre la majorité bouddhiste et la minorité musulmane rohingya : l’Etat Rakhine affirme que les ONG ne voulaient distribuer de l’aide qu’à la communauté musulmane, aux rohingya persécutés, dans un pays à majorité bouddhiste, rappelle la BBC. 740 000 hommes, femmes et enfants ont fui vers le Bangladesh voisin mais l’ONU estime que plus d’un demi-million d’entre eux vivent encore dans le nord de l’Etat Rakhine, en Birmanie. Les Rohingyas, eux, ont expliqué à la BBC, à Londres, et à la chaine Al Jazeera, basé au Qatar, que leur vie est devenu un enfer sans fin, depuis le passage du cyclone le 14 mai : « augmentation spectaculaire du prix de la nourriture et des produits de base », pas assez de médicament, les toilettes de camps de déplacés rohingya ont été détruites. Un birman Abdul Hussein, témoigne de son terrible quotidien, à la chaîne américaine CNN, a vu son épouse et leurs trois filles emportées par les eaux, alors qu’elles tentaient de s’abriter du cyclone. Il a également tout perdu sur le plan matériel, alors qu’il lui reste six enfants et petits-enfants. Abdul Hussein doit dormir sous un abri précaire fait de feuilles et de branches, avec ses proches rescapés. « Beaucoup de familles sont comme nous, nous n’avons rien à manger, on ne sait pas quoi faire ce soir, ce que l’on va bien pouvoir manger demain midi », témoigne ce père birman.
Détournement de l’aide humanitaire : Claire Gibbons de l’ONG Partners Relief & Development, présente en Birmanie, affirme à la BBC que si la junte birmane a décidé de couper l’aide humanitaire, c’est pour mieux revendre les produits qu’elles a reçus sur le marché noir, alors que le pays est sous le coup de sanctions internationales. Ce procédé illégal et immoral a déjà été mis en place, lorsque le cyclone Nargis a frappé la Birmanie en 2008. Selon le magazine Frontier Myanmar, l’économie locale pourrait attendre « jusqu’à une décennie pour se remettre complètement du cyclone Mocha ». Dans un édito, le Guardian affirme que « le problème n’est pas que les gouvernements du monde entier ignorent ce qui se passe en Birmanie. C’est qu’ils n’en font pas assez pour arrêter la junte. Depuis que l’armée a pris le pouvoir lors d’un coup d’État au début de 2021, […] le carnage est incessant », tandis que la Russie et la Chine continuent d’envoyer des armes, déplore le Guardian.
Radio France Culture – 27 juin 2023
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