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La « guerre secrète » des États-Unis : pourquoi le Laos est le pays le plus bombardé de l’histoire

Alors qu’il n’a jamais été officiellement en guerre avec Washington, le pays d’Asie du Sud-Est a été confronté à une campagne de bombardement sans comparaison dans l’histoire.

1975, Saïgon tombe, le Viêt Nam est réunifié par le nord communiste. Les États-Unis se sont retirés de ce conflit deux ans plus tôt, après des années plongés dans un bourbier où 58 000 Américains sont morts.

Mais la supériorité technologique écrasante de Washington sur le Việt Cộng a entraîné des dégâts colossaux sur le pays… ainsi que ses voisins, dont le Laos. Ce pays, qui n’a jamais été officiellement en conflit avec les États-Unis, a pourtant été le pays le plus bombardé de l’histoire relativement à sa population, une tragédie qui a été cachée à l’époque au public américain.

Une guerre sans fin pour l’indépendance

Le Laos fait partie en 1940 de l’Indochine française, alors que le Japon commence à occuper la région. C’est sur les cendres de cette occupation japonaise que naît le régime qui gouverne toujours le Laos moderne : le Pathet Lao.

En mars 1945, alors que la Seconde Guerre mondiale entre dans sa dernière phase, Tokyo force le Royaume du Laos à déclarer son indépendance, mais le conflit s’achève peu après. Le prince Phetsarath fonde alors un gouvernement révolutionnaire, le Lao Issara, qui vise à empêcher le retour des Français ; il emploie alors le terme Pathet Lao, « l’État lao ».

Son demi-frère le prince Souphanouvong fonde en parallèle l’Armée de libération et de défense lao. Mais le retour de l’administration coloniale français chasse le gouvernement indépendantiste, et des réformes satisfont une partie du gouvernement Pathet Lao. Le Laos redevient une monarchie gouvernée par Sisavang Vong.

Tout pourrait donc s’arrêter là, si ce n’était Souphanouvong, qui continue la lutte avec ses partisans, avec le soutien d’un nouvel allié de poids : le Việt Minh. Car si la paix est revenue sur la quasi-totalité du Laos, dans le Viêt Nam voisin, Hồ Chí Minh et les communistes prennent le contrôle du pays et s’opposent aux Français lors de la guerre d’Indochine.

Le mouvement Pathet Lao s’ancre alors à l’extrême-gauche et collabore avec les forces vietnamiennes, mais ne parvient pas à s’imposer. Le royaume du Laos obtient son indépendance de même que les autres pays de la région en 1954, ne stoppant pas la lutte interne au sein du royaume.

Le Viêt Nam voisin est divisé en deux, entre un Sud allié aux États-Unis, et un Nord Viêt Nam marxiste-léniniste, qui entre presque directement en conflit avec son ennemi basé à Saïgon : la guerre du Viêt Nam succède à la guerre d’Indochine, et le Laos va devenir une victime collatérale du conflit.

La guerre du Viêt Nam et le début des bombardements

Une phase alternant entre cessez-le-feu, gouvernements de coalition et affrontements se met en place au Laos en parallèle de la guerre du Viêt Nam dans laquelle Washington investit de plus en plus de moyens.

En 1959, les troupes de Nord Viêt Nam, qui mènent des incursions récurrentes au Laos, commencent la construction de la Piste Hô Chi Minh, ensemble de routes, sentiers et réseaux souterrains reliant Laos, Cambodge et Viêt Nam. Ce dernier permet aux combattants du Việt Cộng, la nouvelle organisation militaire communiste du Nord Viêt Nam, de circuler sans risques malgré la suprématie aérienne des États-Unis.

L’intensification du soutien américain au gouvernement de Saïgon se prolonge également jusqu’au Laos : la CIA fournit de l’aide à l’armée royale qui est intégralement financée par Washington, face au Pathet Lao qui contrôle désormais une partie de l’Est du pays, dans les zones frontalières avec le Viet Nam.

Les États-Unis souscrivent alors pleinement la théorie des dominos, fille de la doctrine de l’endiguement, et qui consiste à soutenir qu’une victoire communiste dans un pays d’Asie du Sud-Est ferait basculer la région dans le marxisme-léninisme. Le soutien américain se transforme alors en guerre vicieuse mais jamais déclarée contre le Pathet Lao : les bombardements commencent en 1964 sous l’exécutif de Lyndon B. Johnson et sont bientôt regroupés sous l’opération Barrel Roll.

C’est via cette opération que les États-Unis larguent alors 260 millions de bombes sur le Laos en un peu moins de 9 ans, soit plus d’une bombe par seconde sans interruption. Sont alors employées des armes à sous-munition, qui lâchent des dizaines de projectiles après avoir explosé en l’air, du défoliant tel que de l’agent orange, dont 1,8 million de litres ont été largués rien qu’au Laos…

« Le paysage semblait par endroits lunaire, percé à perte de vue par des cratères de bombes », écrivait en 1997 Yves Goudineau, anthropologue spécialiste du Laos, après avoir voyagé dans les provinces du sud de Saravane et Sékong, où passait la piste Hô Chi Minh. « Certaines rivières pour les mêmes raisons restaient insalubres » selon lui, suite aux polluants déversés par les forces américaines.

La campagne américaine est par ailleurs financée par le trafic d’opium cultivé par l’ethnie Hmong, utilisée comme supplétif anticommuniste sans que Washington n’ait à déployer de soldats sur place : la « Secret War », telle qu’elle est appelée par la CIA bat son plein.

Les États-Unis ne visent alors cependant pas tout le pays mais principalement deux zones : le sud du pays, particulièrement près de la piste Hô Chi Minh, et la région de Xieng Khouang : cette dernière est la zone la plus bombardée de l’histoire. Sa capitale provinciale éponyme a été virtuellement effacée de la carte à l’époque et ne compte plus qu’environ 5 000 habitants aujourd’hui.

L’épicentre de ces frappes vise la Plaine des Jarres, un des monuments archéologiques laotiens les plus fascinants. Cette plaine située 1 200 mètres en altitude abrite des centaines de jarres de plusieurs mètres de haut en pierre dont la fonction n’est toujours pas connue, construites entre 500 ans avant et 800 ans après Jésus-Christ. Les bombes non explosées font qu’une partie de la plaine n’est toujours pas accessible au public aujourd’hui.

Les effets des bombardements encore visible aujourd’hui

Mais malgré ces chiffres cataclysmiques, la piste Hô Chi Min se maintient et le Pathet Lao garde ses positions. Une partie du Pathet Lao se réfugie dans les grottes de Viengxay, un réseau de grottes utilisées comme gigantesque abri, avec un hôpital, un théâtre, des écoles, un temple… 23 000 personnes, dont Souphanouvong, s’y réfugient.

Les États-Unis se retirent finalement du Viêt Nam suite aux accords de paix de Paris en 1973, alors que l’opinion publique américaine est opposée à la poursuite d’une guerre sans fin. Le cessez-le-feu au Laos, proclamé dans le sillage des accords de Paris, ne tient pas : tandis que Saïgon est prise en 1975 par le Nord, le Pathet Lao accède au pouvoir et met en place un régime de parti unique communiste toujours au pouvoir.

Les États-Unis ont employé 2 093 100 tonnes de bombes au Laos, autant que les 2,1 millions larguées par les États-Unis en Europe et en Asie pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Laos ne comptait que 2,38 millions d’habitants en 1965 : Washington a donc largué l’équivalent de près d’une tonne de bombe pour chaque habitant.

Le bilan humain est en conséquence très lourd : environ 30 000 personnes tuées pendant la guerre et 20 000 depuis en raison des plus de 80 millions de bombes non exposées. Le Viêt Nam revendique de son côté 14 549 morts de ses combattants au Laos, qui ne sont cependant pas tous décédés suite aux bombardements.

Mais si la guerre du Viêt Nam est restée ancrée dans les esprits américains et joue une influence capitale sur la culture américaine des années 70, les bombardements du Laos n’ont pas marqué les esprits outre-Atlantique. La reconnaissance de la participation américaine à la « guerre secrète’ n’intervient qu’en 1997, tandis que le processus de reconnaissance du rôle des Hmong, dont une partie a émigré aux États-Unis, est toujours en cours.

Les effets de la guerre secrète se ressentent par ailleurs toujours aujourd’hui dans les régions bombardées : « une bonne partie du mobilier urbain (pilotis, escaliers des maisons, portiques d’entrée ou murs d’enceinte des villages…) était assemblée à partir de containers de bombes à fragmentation ou de carcasses métalliques d’engins militaires divers », relate Yves Goudineau.

Selon le congrès américain cité par nos confrères du Guardian, il faudra encore 100 ans pour débarrasser le Laos des dernières bombes. Si les États-Unis n’ont pas réussi à empêcher le Pathet Lao de prendre le pouvoir, leur objectif de rendre la zone invivable pour les guérilleros, lui, a si bien réussi qu’il continue 50 ans plus tard de mettre en danger des civils.

Par Benjamin Laurent – Geo.fr – 16 juillet 2023

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