La monnaie khmère , le « Riel » porterait-elle le nom d’un poisson ?
Chea Serey, nouvelle gouverneure de la Banque nationale du Cambodge, a guidé Leang Delux, cofondateur de ThmeyThmey News et Cambodianess dans une visite du musée SOSORO à Phnom Penh afin de décrypter les différents aspects de la monnaie du pays. La création de ce musée a également pour but d’encourager les Cambodgiens à utiliser et à promouvoir les riels khmers alors que le dollar a encore très largement cours dans le Royaume.
Leang Delux : Tout d’abord, puisque beaucoup de gens se posent souvent la question, pourquoi avons-nous choisi le nom de « riel » pour notre monnaie nationale ?
Chea Serey : L’origine du mot « riel » n’a jamais été identifiée . Il existe de nombreuses hypothèses à ce sujet. Cependant, la première utilisation de ce nom peut être observée sur une piastre imprimée pendant l’ère indochinoise (à la fin du 19e et au début du 20e siècle) qui circulait au Cambodge, au Viêt Nam et au Laos.
Une hypothèse fait allusion, au prahok, ce condiment fermenté populaire au Cambodge qui utilise comme ingrédient un type de poisson d’eau douce appelé « riel ». Lorsqu’elles sont exposées à la lumière du soleil, les écailles ce poisson reflètent la couleur argent [et en khmer, le mot « prak » signifie à la fois argent et monnaie]. C’est peut être pour cette raison que nous aurions nommé notre monnaie “riel”, en référence à la couleur du poisson. Cependant, nous ne pouvons pas savoir si c’est vrai ou non.
Une autre hypothèse suggère que le nom a été influencé par les commerçants espagnols au cours des siècles passés. Des pays du Moyen-Orient comme le Yémen et le Qatar et le Brésil en Amérique du Sud ont des noms de monnaie similaires. En fin de compte, la vérité reste encore à déterminer.
Leang Delux : Comment pouvez-vous rendre l’histoire de notre monnaie intéressante et facile à comprendre pour le grand public ?
Chea Serey : Ce musée reflète les efforts déployés par la Banque nationale du Cambodge pour fournir davantage d’informations sur notre monnaie au public. Hélas, malgré nos recherches, les documents dont nous disposons sont assez limités. Ce qui est important, c’est de comprendre la valeur de notre monnaie et sa relation avec notre souveraineté, notre politique et notre économie.
Leang Delux : A quels objectifs répondaient la création de ce musée ?
Chea Serey : Tout d’abord, nous voulons promouvoir notre monnaie, le riel. Ensuite, nous voulons exposer certains aspects historiques documentés par notre équipe de la Banque nationale du Cambodge. Il s’agit d’informations dont le public n’est pas ou pas suffisamment informé.
Par ailleurs, l’histoire de notre pays est le plus souvent abordée sous l’angle politique. Ici, notre approche, qui est unique, est de l’envisager plutôt d’un point de vue économique. Lorsque nous avons invité les banques centrales d’autres pays à visiter notre musée, elles ont applaudi notre concept. Nous en sommes fiers. Notre travail pour créer cette institution remonte à une décennie avant son inauguration officielle. Nous avons dû rassembler des documents et, surtout, installer cette machine à battre la monnaie qui est la seule – ou peut-être deux – au monde à avoir été découverte à ce jour.
Leang Delux : Quels sont les défis à relever pour créer un musée qui émerveillera les visiteurs ?
Chea Serey : C’était bien sûr un défi. Après la guerre, les gens ne prêtaient pas beaucoup d’attention à la valeur de l’Histoire, les gens avaient besoin de produits de base pour survivre. Lorsqu’ils trouvaient des pièces sous terre, ils n’en faisaient pas grand-chose. Ils pouvaient les faire fondre ou les vendre quelque part. Nous avons perdu une grande partie de notre patrimoine historique à cause de cela. À d’autres moments, ils les ont aussi vendues à l’étranger. Pour les pièces dont nous avons pu retrouver la trace, les propriétaires ont tout simplement fixé des prix trop élevés pour que nous puissions les acheter.
Faute d’objets à exposer, le ministère de la Culture et des Beaux-Arts nous a prêté quelques artefacts, comme des bijoux de l’Antiquité, qui auraient pu servir à des transactions commerciales.
Leang Delux : Devant nous, nous pouvons voir une réplique d’une machine à battre la monnaie de l’époque du roi Ang Duong [qui a régné des années 1840 à 1860]. La vraie est conservée dans une section extérieure du musée. Comment a-t-elle été découverte ?
Chea Serey : La machine a été découverte dans l’ancienne ville d’Oudong (un site historique situé à environ 45 kilomètres au nord de Phnom Penh). Comme on peut le voir sur une image ici, la machine était placée sous un arbre.
Les gens lui témoignaient souvent un respect religieux en lui offrant des bâtons d’encens et des fleurs. Si la population locale n’avait pas vénéré cette machine, l’objet aurait peut-être été vendu à la ferraille. Les villageois ne voulaient pas vraiment nous le vendre, car il s’agissait pour eux d’un objet en quelque sorte sacré. Nous avons tout de suite su qu’il s’agissait d’une presse à frapper la monnaie, car nous disposons d’archives indiquant que le roi Ang Duong l’avait achetée aux Anglais via Singapour. Grâce aux connaissances de nos experts, nous avons pu identifier cette machine à battre la monnaie.
Leang Delux : Quelle est la raison qui nous a poussés à revenir de la piastre au riel ?
Chea Serey : Au départ, nous n’avions jamais eu notre propre monnaie officielle. Sous le règne du roi Ang Duong et de son prédécesseur, le roi Chey Chetta II [qui a régné au début du XVIIe siècle], des mesures ont été prises pour créer une monnaie officielle, mais elles ont été de courte durée.
À l’époque coloniale, une monnaie commune, la « piastre », est mise en circulation. Cela permit aux populations de l’époque de se familiariser avec la monnaie. Cependant, l’inconvénient de l’utilisation d’une monnaie commune est qu’elle est liée à l’économie des autres pays. Pour compliquer les choses, la piastre était également liée au franc. La mise en œuvre de la nouvelle monnaie ne s’est donc pas déroulée conformément au mécanisme prévu.
Après avoir obtenu l’indépendance du pays, le roi Norodom Sihanouk a mis en place des infrastructures telles que la Banque nationale du Cambodge, qui a commencé à fonctionner en 1954. L’utilisation du riel khmer s’est ensuite étendue de 1955 à 1975. Cependant, au début des années 1970, les gens ont perdu confiance dans le riel à cause de la guerre. Le taux de change n’était pas fiable et les gens étaient très mécontents.
Leang Delux : Quelle est la relation entre la monnaie et la souveraineté ?
Chea Serey : Lorsqu’une pièce est frappée, elle arbore le nom du roi ou d’une nation. Quel que soit l’endroit où cette pièce est utilisée, le lieu doit plus ou moins appartenir au roi. Plus la monnaie est utilisée loin, plus la souveraineté est grande.
En outre, lorsqu’un pays utilise sa propre monnaie, l’autorité financière a plus de contrôle sur son évaluation ou sa dévaluation en fonction des besoins de son économie. Lorsque la piastre était utilisée, la monnaie et l’économie étaient fortement séparées. La piastre était appréciée parce qu’elle était liée au franc français. La situation est similaire à celle que nous connaissons aujourd’hui, puisque nous utilisons également le dollar américain. Lorsque le dollar américain est élevé, nos exportations sont également très chères, ce qui rend nos produits moins compétitifs sur le marché.
Lepetitjournal.com / Cambodianess – 18 septembre 2023
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