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Entretien avec Pham Thien An • L’Arbre aux papillons d’or

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Lauréat de la Caméra d’or (prix du meilleur premier film) au dernier Festival de Cannes, L’Arbre aux papillons d’or est un splendide labyrinthe de trois heures, à la radicalité magique. Le cinéaste Pham Thien An, dont nous vous parlions déjà en 2019 à l’époque de son court métrage Stay Awake, Be Ready, est notre invité et nous parle d’un des films immanquables de l’année, en salles le 20 septembre.

La dernière fois que nous avons échangé c’était au sujet de votre court métrage Stay Awake, Be Ready, qui avait été primé à la Quinzaine des cinéastes en 2019. Or, la toute première séquence de L’Arbre aux papillons d’or reprend justement l’action et le décor de ce film. Qu’est-ce qui a motivé ce clin d’œil ?

Quand j’ai commencé à écrire le scénario de L’Arbre aux papillons d’or, mon intention première était effectivement d’y intégrer ce court métrage exactement tel qu’il était. Puis il nous a fallu deux ans de tournage, le temps de compiler toutes les scènes que j’avais écrites, et une fois que je les ai assemblées et que j’ai revu Stay Awake, Be Ready, je me suis rendu compte que le rythme ne correspondait en fait plus à ce que je venais de tourner. Rétrospectivement, l’action s’y déroulait trop rapidement par rapport au rythme que je voulais donner à l’ensemble. J’ai donc décidé de tourner à nouveau cette scène d’ouverture, en changeant les dialogues et les mouvements de caméra afin de mieux l’adapter au reste du long métrage.

Par ailleurs, j’ai réalisé que beaucoup de personnes avait vu ce court métrage et s’attendaient à ce que j’en tourne une suite. Apporter des modifications permettait de ne pas enfermer le long métrage dans la stricte case de « la suite ». Je tenais à offrir ces variation aux spectateurs comme un cadeau surprise et j’ai passé beaucoup de temps à chercher un nouveau lieu de tournage qui pourrait convenir.

Votre mise en scène donne en effet un poids fondamental aux décors. Selon vos critères, qu’est-ce qui fait un bon décor de cinéma ?

Ce qui motive mes choix pour un tournage, ce sont les lieux uniques où les paysages obéissent à une composition unique que l’on ne peut retrouver ailleurs. Il faut également qu’il s’agisse d’espaces suffisamment larges pour anticiper les cadrages et le mouvements de caméra. Pour ce film, nous n’avions pas beaucoup de budget. Nous devions donc choisir des lieux de tournage qui ne soient pas trop éloignés les uns des autres afin de pouvoir facilement déplacer les équipements et les acteurs.

Vous mentionnez que le tournage a duré deux ans, j’imagine qu’une grande partie de ce temps à donc été consacrée aux repérages ?

Oui effectivement, j’ai perdu beaucoup de temps à choisir ces lieux. Je dis ça parce qu’il y a beaucoup d’endroits que j’avais présélectionnés et qui se sont révélés être mal adaptés. Il y a aussi des lieux que j’ai bien aimés mais qui étaient hors budget, ou bien pour lesquels nous n’avons pas pu obtenir d’autorisation de tournage. Au début, j’ai trouvé frustrant de devoir faire beaucoup de changements, mais j’ai fini par me dire que c’était une chance de réaliser un film avec un budget contraignant car cela nous a obligés à faire beaucoup de recherches et d’anticipations.

Vous parlez de l’importance du rythme dans le film. Avez-vous des méthodes de travail précises pour atteindre votre rythme idéal ou bien s’agit-il plutôt d’une question d’instinct ?

Le rythme est très calculé. La lenteur des mouvements de caméra et la lenteur des déplacements des acteurs sont là pour s’adapter au rythme biologique interne des spectateurs. Je veux donner à ces derniers le temps de réfléchir et de pénétrer chaque personnage et chaque paysage.

Vous composez vos images en apportant un soin particulier aux variations d’échelles : parfois un personnage apparait minuscule dans un décor immense, ou parfois un décor que l’on croyait exigu se révèle gigantesque par un mouvement de caméra. Cela rejoint la même idée ?

Oui, exactement. Si je choisis souvent de filmer des personnages lointains dans un très grand paysage pour progressivement me rapprocher d’eux, c’est pour en revenir à cette notion de donner au spectateur le pouvoir de pénétrer le film par lui-même.

Cela signifie-t-il que les déplacement des interprètes dans le cadre sont strictement chorégraphiés à l’avance ?

Pas nécessairement. De façon générale, je ne fais pas de préparation trop méticuleuse en amont avec les comédiens. Je m’occupe davantage des mouvements de caméra, ça c’est quelque chose qui est très chorégraphié en avance. Parfois je m’amuse et j’improvise des mouvements supplémentaires en fonction de ce que proposent les acteurs, mais je les laisse globalement libres de faire ce qu’ils désirent.

Votre travail particulier sur le son participe à la dimension hypnotisante du film. Est-ce un travail qui se fait uniquement en post-production ou bien cela fait-il aussi partie de la préparation au tournage méticuleuse dont vous parlez ?

Je suis très exigeant avec le son. Tout à l’heure je disais que chaque décor doit être spécifique, eh bien chaque son doit lui aussi être spécifique. Par exemple, lorsque je filme une mobylette de telle marque et tel modèle, il n’est pas question que l’on entende le bruit d’une autre type de mobylette. C’est pour cela que pendant le tournage, je plaçais des micros absolument partout pour enregistrer chaque son. Une fois chaque scène tournée et bouclée, je choisissais la meilleure option d’accompagnement parmi les différents sons que nous venions d’enregistrer.

Mais même ça, ce n’était pas toujours suffisant pour moi : j’ai souvent demandé à l’équipe technique de revenir avec moi sur certains lieux de tournage pour faire de nouvelles prises de son. Par exemple, nous avons tourné une scène dans un lieu qui sert d’unique habitat à une espèce d’oiseau qui possède un chant unique. Pour que l’on puisse bien distinguer ce chant dans le film, il nous a fallu revenir à cet endroit très précis et refaire des enregistrements. J’ai moi-même effectué le montage du film, et cela m’a permis de faire ce que je préférais, à savoir privilégier les prises de son directement effectuées lors du tournage plutôt que d’avoir recours à du bruitage et d’autres effets de post-production.

Quand vous arrivez au montage, le film est-il déjà précisément construit dans votre esprit, ou bien s’agit-il d’une étape qui laisse place à une forme de réécriture ?

Le tournage a duré très longtemps, et s’est étalé sur plusieurs périodes. A chacune de ces périodes, je tourne une dizaine de scènes et je les monte aussitôt. C’est une question d’organisation mais cela aide aussi à maintenir une harmonie. S’il m’arrive de réaliser a posteriori qu’il me manque tel ou tel détail, j’adapte alors le scénario, mais globalement lorsque j’en arrive à l’étape du dernier montage, le film est déjà presque fini. D’ailleurs, la toute première version de L’Arbre aux papillons d’or durait 3h40. Les producteurs m’ont dit que c’était beaucoup trop long et qu’il fallait couper. J’ai vraiment eu du mal mais j’ai réussi à enlever 40 minutes et je me suis rendu compte que ça ne changeait pas grand chose (rires). En réalité j’ai davantage raboté le début et la fin des séquences plutôt que supprimé des scènes entières.

Ce montage intégral sera-t-il visible un jour ?

Ah oui, j’ai toujours cette version sous le coude et je compte bien la montrer.

Quel est le dernier film que vous ayez vu et qui vous a donné l’impression de voir quelque chose de nouveau ?

Ce n’est pas tout à fait un film récent mais j’ai découvert le film Nuages de mai de Nuri Bilge Ceylan. Je l’avais raté à sa sortie et je suis ravi d’avoir pu le rattraper cette année sur grand écran. Je sais bien qu’il a fait un nouveau film cette année, Les Herbes sèches, mais celui-là aussi j’ai réussi à le rater. Je suis sûr qu’il me plaira beaucoup aussi (rires).

Par Gregory Coutaut – Lepolyester.com – 20 septembre 2023

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