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Critique : L’Arbre aux papillons d’or

Après la mort de sa belle-sœur dans un accident de moto à Saigon, Thien se voit confier la tâche de ramener son corps dans leur village natal. Il y emmène également son neveu Dao (5 ans), qui a miraculeusement survécu à l’accident. Au milieu des paysages mystiques de la campagne vietnamienne, Thien part à la recherche de son frère aîné, disparu il y a des années, un voyage qui remet profondément en question sa foi.

LE GRAND CHEMIN

Un bar de rue, des discussions, de la nourriture et de l’alcool disposés sur les tables. Des supporters qui s’excitent devant leur écran, une serveuse qui vient poliment proposer une bière. La pluie, puis soudain un accident violent et inattendu : la première scène de L’Arbre aux papillons d’or est une déclinaison très proche du court métrage de Pham Thien An , Stay Awake, Be Ready, qui fut primé à la Quinzaine en 2019. Dans ce film, le cinéaste dépeignait une miniature (juste un coin de rue) mais aussi tout un vaste monde : la vie s’invite, dans le cadre comme hors du cadre.

C’est un procédé narratif que l’on retrouve régulièrement dans L’Arbre aux papillons d’or. Cela peut être une longue discussion, puis la caméra panote et tout à coup il y autre chose qui entre dans le cadre. Un homme se confie à un autre, en un cut la lumière change et la réalité semble différente. Un protagoniste chante pinte à la main au karaoké puis la caméra est sur une route brumeuse, aux lumières multicolores du club succèdent les phares aveuglants des motos. Il y a chez Pham Thien An un art du montage et de la juxtaposition qui est tout simplement prodigieux ; pour celles et ceux qui s’y plongeront, l’effet sera plus spectaculaire que n’importe quels effets spéciaux.

« La réalité du film s’exprime par ces contrastes », commentait le jeune cinéaste au sujet de son court. Cela s’applique également à ce long, où le quotidien (une promenade ici, une dame qui commande un bánh mì au coin de la rue) côtoie le merveilleux – comme cet inexplicable tour de magie que le héros réserve à son neveu. Il y a une attention particulière apportée aux décors chez Pham Thien An : il y a d’abord ce qu’on voit, et puis peu à peu il y a tout un monde qui se déploie, comme on déroulerait une image qui s’étend beaucoup loin que ce que l’on croit. Qu’est-ce qu’un travelling avant sur une discussion ou un plan séquence embarqué sur une route peuvent bien saisir ? La mise en scène chez le réalisateur est un stupéfiant outil narratif, un moyen hypnotisant de pénétrer le mystère.

« Depuis combien de temps négligez-vous votre âme ? », demande une femme âgée. Dans L’Arbre aux papillons d’or, Thien accompagne la dépouille de sa belle-sœur dans le Vietnam rural. C’est aussi – surtout – à sa quête existentielle que nous assistons. Depuis combien de temps Thien néglige-t-il son âme ? « Elle dit ça à tout le monde » se moque une protagoniste ; mais la question pourrait bien s’adresser au plus grand nombre. Le voyage spirituel de Thien est un envoûtement. Doit-on s’en remettre à Dieu, aux superstitions, et quels seraient leurs plans ? L’Arbre aux papillons d’or rappelle la radicalité magique de cinéastes chinois contemporains tels que Bi Gan ou Yang Heng. Au fil des errances apparaît le merveilleux. L’immersion visuelle et sonore est extraordinaire. Les temporalités semblent se chevaucher dans ce séduisant labyrinthe. On s’y baigne, comme dans le temps, les souvenirs, les sentiments, les rêves et les regrets. Ce premier film est une splendeur qui révèle un talent majeur.

Par Nicolas Bardot – Lepolyester.com – 20 septembre 2023

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