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Les exilés Thaïlandais en France parlent aux lecteurs de Gavroche (2)

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Suite de notre série d’entretiens avec Jaran Ditapichai, Khunthong Faiyen et Chom Faiyen, exilés Thaïlandais en France. Cette fois, quid de leur vie quotidienne ?

Comment votre vie s’est-elle transformée depuis que vous avez déménagé en France ? Quels sont les points positifs et négatifs ? Si vous pouvez retourner en Thaïlande, continuerez-vous à jouer le rôle d’activistes politiques ?

Jaran D. : Je suis heureux ici, en France, je suis actif, je peux me déplacer librement et m’exprimer au niveau international. Je vis ici et je reçois ma pension. J’ai maintenant une maison. En résumé, j’ai énormément gagné à être ici en France. Je suis reconnaissant envers la France et les Français. Je me sens parfois coupable de ne pas contribuer suffisamment. En comparaison, lorsque j’étais en Thaïlande, j’avais beaucoup d’amis, un salaire, de la bonne nourriture et beaucoup de plaisir dans la vie. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir plus de valeur ici. J’approche de la fin de ma vie et je suis reconnaissant. J’ai pu me concentrer et écrire ma biographie de 448 pages (en langue siamoise) et je ne pense pas que j’y serai parvenu en Thaïlande. J’ai acquis des connaissances et des diplômes ici en France (deux Masters en histoire sociale et en philosophie). Beaucoup de gens m’ont demandé s’il y avait une grâce si je retournerai en Thaïlande : je ne l’accepterai pas. Je resterai ici pour toujours.

Khunthong F. : Pour moi, le fait d’être ici en France me permet de voir les gens vivre en liberté. Un vrai pays démocratique, comme il se doit. Je veux la même liberté pour la Thaïlande ! En tant qu’être humain soutenu par l’État, promouvant la meilleure qualité de vie grâce à une sécurité sociale adéquate. J’ai acquis une grande expérience ici. Si vous me demandez si je referais les mêmes activités si je retournais en Thaïlande, je vous répondrai que j’en ferais encore plus pour exprimer mes convictions.

Chom F. : Quant à moi, dès le premier jour où j’ai posé le pied sur le sol français, je me suis senti comme un véritable être humain, je me suis senti libre, moi qui me sentais esclave depuis toujours. Contrairement à la Thaïlande, où nous ne disposons pas de la  liberté  pour exprimer nos pensées concernant le Roi et les inégalités de richesses. J’ai ressenti dans mon pays l’absence de liberté d’expression, mais une fois ici, je ressens la liberté. Cette liberté que les Français apprécient le plus. Le sentiment d’infériorité a disparu, avec mon travail ici, je reçois un salaire de 11 euros minimum de l’heure, alors qu’en Thaïlande, je recevais 32 bahts de l’heure (0,85 euro). Je ne retournerai jamais à cette vie en Thaïlande, j’ai choisi de rester ici où je me sens vraiment comme un être humain normal, où je suis payé équitablement, où je bénéficie de la sécurité sociale du gouvernement et ainsi de suite. La seule chose est qu’il est un peu difficile de trouver mes insectes frits préférés à manger. Seule la nourriture de rue locale me manque !

Pensez-vous que les différents groupes d’exilés politiques thaïlandais (en Europe et dans le monde) peuvent travailler ensemble de manière harmonieuse pour atteindre leurs objectifs ?

Jaran D. : En général, pour les Thaïlandais, si vous avez des opinions différentes, que ce soit politique ou idéologique, vous ne vous retrouvez normalement pas dans le même groupe. C’est pourquoi il y a maintenant des fractions d’idées entre les partisans du Pheu Thai et ceux du Kao Klai (Move Forward). Et je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose que la plupart des Thaïlandais en dehors de la Thaïlande soient des partisans du Kao Klai. Il y a environ 20 % de partisans du Pheu Thai et 80 % de partisans du Kao Klai. Ceux du Pheu Thai étant beaucoup moins nombreux, il devient difficile de créer des actions ou mouvements politiques collectifs. Nous devrions essayer d’unir nos forces, mais ce ne sera pas facile. Deuxièmement, j’espère vivement que, dans les pays étrangers, nous devrions tous unir nos forces parce que l’ennemi est encore très fort. Si nous ne nous unissons pas, nous avons peu de chances de gagner. En outre, je ne pense pas que nous devrions prendre à cœur les principes/offres des différents partis politiques. Je peux maintenant dire que je ne suis ni Pheu Thai ni Kao Klai, parce que mes principes personnels sont bien plus élevés que les leurs.

Khunthong F. : Pour ma part, comme Arjarn (Professeur) Jaran l’a déjà mentionné, lorsque j’organise un atelier ou un programme, nous rappelons toujours aux participants que nous devons sortir du cadre de nos partis politiques. Nous ne sommes pas des ennemis, nous ne devons pas tomber dans le piège de la lutte entre nous, pour devenir la risée de tous. La solidarité est nécessaire, c’est le seul moyen de renverser le système. Nos ennemis ne sont pas les jaunes ou les rouges. Nous avons un problème avec le système monarchique, et avec les militaires qui, selon nous, interdisent la démocratie.

Chom F. : Je n’ai jamais considéré qu’il s’agissait de groupes de chemises de couleurs différentes, rouges ou jaunes. Je pense que tous ceux qui ressentent des difficultés et des divergences avec le système monarchique en place, doivent se serrer les coudes et unir leurs forces.

Quels conseils donneriez-vous aux nouvelles générations et à ceux qui vivent en dehors de la Thaïlande pour qu’ils s’engagent politiquement ?

Jaran D. : Je connais bien les jeunes générations, elles sont ce qu’elles sont, elles ont leurs propres idées. Il y a 50 ans, je faisais partie de la jeune génération tout comme eux, j’avais des émotions extrêmes et de fortes rébellions. Les différences remontent à l’époque où le parti communiste nous guidait. Il nous a fallu quelques années pour l’assimiler, mais selon moi aujourd’hui, il n’y a pas d’organe dirigeant pour guider ces jeunes qui publient beaucoup sur les médias sociaux. Il semble que les jeunes Thaïlandais aient besoin de moins de temps pour parvenir à une conclusion sur les mesures à prendre. Je voudrais encourager les gens de ma génération à soutenir ces jeunes, à être ouverts d’esprit et à ne pas les critiquer sévèrement, mais à leur montrer leur soutien.

Khunthong F. : Je voudrais juste rappeler aux jeunes de ne pas se battre entre eux. Le camp orange et le camp rouge doivent cesser de se battre et voir dans la même direction  Je leur dirai d’unir leurs forces pour réaliser des actions en commun. Ils doivent toujours être conscients de la puissance qui manipule ces désaccords à l’intérieur.

Chom F. : Je ne devrais pas conseiller les nouvelles générations sur ce qu’il faut faire parce qu’elles ont leurs propres méthodes. Je ne fais plus partie de la nouvelle génération et je ne peux donc pas donner de conseils. Mais si vous me posez la question du point de vue de quelqu’un qui a déjà fait partie de la nouvelle génération, je dirai, boycottez le système, refusez-le et n’y participez pas. Ne répétez pas la même erreur que celle que j’ai commise en luttant durement et directement, car cela n’a pas fonctionné. Par exemple, nous nous sommes battus pour obtenir des cautions suite aux arrestations de militants accusés de crime de lèse-majesté il y a 12 ans, aujourd’hui il n’y a rien de nouveau. Il n’y a rien de nouveau. Travaillez plus intelligemment et résistez. Et pour ceux qui se sentent étouffés et menacés, prenez le risque d’aller vers des terres (pays) plus libres où on n’est pas pourchassé pour son expression.

Par Philippe Bergues – Gavroche-thailande.com – 2 novembre 2023

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