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L’œil attentif de Pékin sur les troubles en Birmanie, « quasi Etat satellite » de la Chine

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Une alliance de groupes ethniques minoritaires a lancé une offensive au nord de la Birmanie et la Chine a rapidement fait part de son « vif mécontentement »

La Birmanie est au bord de l’éclatement. Des groupes ethniques minoritaires armés ont lancé une offensive dans le nord du pays, à la frontière avec la Chine. La junte militaire, au pouvoir depuis son coup d’Etat en 2021 et l’éviction d’Aung San Suu Kyi, fait face à une sérieuse menace. De l’autre côté de leur frontière commune, longue de plus de 2.100 kilomètres, Pékin fronce le nez. La Chine a rapidement exprimé son « vif mécontentement » et sa préoccupation. Mais pourquoi l’Empire du milieu a-t-il été si rapide dans sa condamnation des heurts ? En quoi la Birmanie est-elle stratégique pour Pékin ? 20 Minutes vous explique tout, grâce à l’éclairage d’Emmanuel Véron, spécialiste de la Chine contemporaine et enseignant-chercheur associé à l’Inalco.

Quelles relations la Chine entretient-elle avec la Birmanie ?

« La Birmanie est quasiment un Etat satellite de la Chine. Presque entièrement entre ses mains », souligne d’emblée Emmanuel Véron qui ajoute que les deux pays sont extrêmement proches depuis « plusieurs décennies ». A la fin des années 1980, Chine et Birmanie ont simultanément souffert des sanctions économiques par les Occidentaux. Pékin a alors décidé de renoncer au soutien du parti communiste birman pour se concentrer sur sa domination sur le pays et investir massivement. Au fil du temps, l’influence de l’Empire du milieu au Myanmar s’est transformée en quasi-dépendance pour Naypyidaw. En 2021, près du tiers du commerce extérieur de la Birmanie était destiné à la Chine.

Preuve de cette proximité, la longue frontière sino-birmane est constellée d’incursions chinoises. « Depuis quinze ans, on voit une installation chinoise durable côté birman. La Chine déborde de ses frontières. Le long du tracé, des villes doublons, dominées par le commerce chinois, ont fleuri », illustre l’enseignant-chercheur à l’Inalco qui évoque une « grande frontière terrestre investie par la Chine ». De nombreux Chinois se rendent en Birmanie chaque jour pour travailler et l’obtention de visas a été facilitée afin de favoriser ces échanges quotidiens. Mardi, Pékin a d’ailleurs évoqué des « victimes côté chinois » dans le nord de la Birmanie, sans préciser toutefois si ces dernières avaient été blessées ou tuées dans les combats. Le Parti communiste au pouvoir en Chine a fait part de son « vif mécontentement ».

Pourquoi la Chine s’intéresse-t-elle tant à la situation intérieure de la Birmanie ?

Outre l’essentielle question de la sécurité de la myriade de ressortissants chinois qui vivent ou évoluent régulièrement dans le nord de la Birmanie, Pékin y dispose aussi d’importants intérêts stratégiques. « La Chine a développé de nombreux intérêts dans cette zone et sa présence économique y est très forte », note Emmanuel Véron. Le Myanmar constitue en effet une merveilleuse réserve de ressources naturelles entre gaz, bois et jade. L’extraction et la vente de cette dernière représentaient à elle seule la moitié du PIB du pays en 2015, selon l’ONG britannique Global Witness. « Certains champs gaziers en mer, comme Swe, sont exploités par les Chinois », précise le spécialiste de la Chine. Financièrement, Pékin a donc de nombreux intérêts en Birmanie. D’autant plus que le pays, dont la position géographique est stratégique, est intégré au projet des Nouvelles Routes de la Soie.

« La Chine a construit de nombreuses infrastructures (comme des routes) qui traversent la Birmanie et lui donne accès à l’océan Indien », explique Emmanuel Véron. Une nouvelle ligne ferroviaire a été construite en 2021 afin de relier les deux pays. Ces infrastructures permettent à Pékin de faciliter son commerce maritime. Pour toutes ces raisons, « la Birmanie est bien trop importante stratégiquement pour la Chine pour qu’elle la laisse tomber, peu importe la couleur politique du pays », affirme l’enseignant-chercheur à l’Inalco. En 2021, Pékin a rapidement soutenu la junte, alors qu’elle entretenait au préalable des relations apaisées avec Aung San Suu Kyi, qui a été rapidement reçue dans la capitale chinoise après sa victoire électorale en 2015. « Le coup d’Etat a été une surprise pour la Chine mais ses intérêts dans la région sont tels qu’elle a rapidement envoyé de forts signaux à la junte qui jouit aujourd’hui d’un soutien de Pékin », détaille Emmanuel Véron.

L’Empire du milieu pourrait-il intervenir en Birmanie ?

Compte tenu de ses intérêts stratégiques et économiques en Birmanie, Pékin surveille de très près les troubles qui secouent le nord du pays. L’alliance de groupes ethniques minoritaires a d’ailleurs bloqué plusieurs routes commerciales vers la Chine. « Pékin va d’abord se concentrer sur la réouverture des routes et des canaux de communication avant de reprendre la main sur l’économie », prédit Emmanuel Véron qui ajoute que tout sera toutefois fait « de manière clandestine ». Car, en réalité, la Chine est déjà intervenue en Birmanie.

Pékin finance la junte, lui fournissant notamment du matériel militaire. Mais aussi certains groupes ethniques de Birmanie. Ainsi, « l’Etat séparatiste du Wa est d’obédience chinoise, soutenu et équipé par les Chinois », illustre le spécialiste de la Chine. Si ce groupe ne fait pas partie de l’alliance à l’origine de l’offensive qui meurtrit aujourd’hui le nord de la Birmanie, la Chine fait toutefois preuve d’ambivalence. « S’il existe une faiblesse politique dans un Etat considéré comme crucial pour la Chine, Pékin peut garder la mainmise sur ce dernier », glisse Emmanuel Véron. Avec cette doctrine du « divisez pour mieux régner », la Chine tente donc d’éviter donc une cohésion politique qui permettrait à la Birmanie de se tourner vers de nouveaux investisseurs et ainsi, de s’affranchir, au moins partiellement, de la coupe chinoise. L’exercice est toutefois particulièrement complexe et l’aggravation des troubles pourrait, au contraire, s’avérer délétère pour le commerce chinois.

Par Diane Regny – 20minutes.fr – 9 novembre 2023

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