Les archives françaises sur Pridi Banomyong explorées (et bientôt publiées) ?
Yan Marchal, persona non grata en Thaïlande pour ses interventions contre le délit de lèse majesté, travaille aux côtés des dissidents thaïlandais en France. Ces derniers sont sur la trace des archives diplomatiques françaises sur Pridi Banomyong (1900-1983), qui avec ses amis du Khana Ratsadon (Parti du Peuple) avaient propagé les idées de démocratie et de monarchie constitutionnelle.
D’autres archives avaient aussi été explorées par la chercheuse Eugénie Mérieau, bien connue des lecteurs de Gavroche, à travers son pré-inventaire des “Papiers Pridi Panomyong” provenant du Fonds Judith Stowe – lien ici.
Nous publions ici le dernier post de Yan Marchal sur Facebook.
Aujourd’hui (2 janvier) j’ai accompagné les dissidents thaïlandais exilés au centre national français des archives diplomatiques. Ils savaient que de vieux documents sur Pridi Banomyong allaient juste être déclassifiés.
Pridi Banomyong était un révolutionnaire et une figure clé dans la mise fin de la monarchie absolue en 1932, en faveur d’une monarchie constitutionnelle. Il a brièvement dirigé le pays mais a été rapidement renversé par un coup d’État militaire et a dû s’exiler, d’abord en Malaisie, puis en Chine, puis en France où il a vécu jusqu’à sa mort.
Il devait y avoir deux séries de documents, mais celui qui venait d’être déclassifié n’est pas encore disponible. Les documents que nous avons consultés aujourd’hui n’ont pas apporté grand-chose de nouveau, et ils n’ont probablement pas répondu aux attentes du public qui s’accumulait.
J’ai été chargé de les lire en français et de les traduire en thaï à la volée pendant que j’étais en vidéo en direct, et c’est bien au-dessus de mes capacités. Souvent, je ne trouvais pas les mots en thaï. Beaucoup de téléspectateurs se sont plaints, comme pourquoi ne pas trouver un traducteur approprié ? Eh bien, si un traducteur approprié est prêt à se porter volontaire, je lui donnerais volontiers ma place !
De plus, ce n’était pas au goût du personnel là-bas que nous sommes venus en groupe de cinq personnes suintant l’enthousiasme tout en traitant des documents historiques. À un moment donné, ils ont coupé court à notre session parce qu’ils craignaient que les documents ne soient fragilisés.
Je n’ai donc pas pu tout lire, mais je pense avoir compris l’essentiel quand même.
La plupart des documents sont des communications entre les ambassades françaises en Asie et le ministère français des affaires étrangères à ce sujet, et ils ont lieu pendant que Pridi est en Chine et est prêt à obtenir le droit de devenir réfugié en France. Il avait deux filles en Chine avec lui et un fils étudiant en France.
La plupart de ses revenus proviennent de propriétés locatives qu’il possédait encore à Bangkok, et on dit qu’il était financièrement tendu et disposé à avoir toute sa famille au même endroit afin de réduire ses dépenses.
En Chine, il n’était pas libre de communiquer en confiance avec les fonctionnaires français car toutes les conversations étaient surveillées. Ses filles ont même dit aux fonctionnaires français d’utiliser les canaux de communication diplomatique chinois.
Pridi était caractérisé par les fonctionnaires français comme un gauchiste libéral, un idéaliste aux compétences pratiques limitées, mais pas communiste. Il était réticent à être utilisé par la Chine comme procuration pour essayer de répandre les idéaux communistes pro-chinois dans l’opinion publique thaïlandaise. On a supposé qu’il avait encore de l’influence sur les sympathisants de gauche dans le public thaïlandais.
Alors que la Chine était communiste, les États-Unis étaient prêts à promouvoir la monarchie thaïlandaise, qu’ils considéraient comme un rempart contre le communisme. Le pouvoir thaïlandais en place était royaliste et pro-américain, et ils voulaient que Pridi soit un communiste extrémiste dans une tentative de discréditer. Ils ont répandu des rumeurs selon lesquelles Pridi avait un rôle dans la mort inexpliquée du roi Ananda, âgé de 20 ans – que les responsables français ont qualifié de “probablement un suicide”.
Il y avait beaucoup de tergiversation chez les diplomates français sur la position et les mesures à prendre concernant le désir de Pridi de venir vivre en France. Ils semblaient être d’accord sur le fait qu’une Thaïlande polarisée avec un simple choix entre des royalistes pro-USA hardcore et des communistes pro-chinois radicaux n’était pas la meilleure chose, et une option intermédiaire serait préférable, surtout si elle était libérée de l’influence des superpuissances. Ils espéraient que Pridi pourrait jouer le rôle d’un leader moral dans ce sens, si tel était son état d’esprit (qu’ils devraient évaluer).
Les diplomates français craignaient que l’octroi de l’asile à Pridi immédiatement déclenche une réaction de colère de Bangkok, et nuirait à la relation diplomatique entre les deux pays.
Il s’avère que cette relation était déjà tendue dans une certaine mesure. Dans les médias thaïlandais pro-establishment, la France était souvent présentée comme un complot avec la Chine afin d’imposer le communisme dans la région. À un moment donné, quand les autorités thaïlandaises ont soupçonné Pridi d’être en France, elles n’ont pas demandé officiellement confirmation aux diplomates français. Ils ont demandé aux diplomates britanniques de se renseigner auprès de la France.
Donc, pour travailler sur les bords, les diplomates français ont suggéré que Pridi demande l’asile en Suisse d’abord, puis plus tard, se voit accorder tranquillement le droit de voyager en France, et finalement faire de la France sa maison.
Cela a cependant été jugé irréalisable par les proches de Pridi, car la Suisse ne lui accorderait pas de traitement de faveur. Il n’avait pas de passeport valide, et aucune raison crédible de vouloir vivre en Suisse.
Gavroche-thailande.com avec Philippe Bergues – 3 janvier 2024
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