En Thaïlande, le crime de lèse-majesté réaffirmé malgré la soif de réforme
Un militant a été condamné à une peine historique de cinquante ans de réclusion criminelle pour avoir publié sur les réseaux sociaux des messages jugés diffamatoires à l’égard de la monarchie.
La victoire aux élections, l’an passé, du parti progressiste Move Forward (MFP) qui souhaitait assouplir la loi n’y aura rien fait. Le 18 janvier, un tribunal de Chiang Rai (nord de la Thaïlande) a condamné Mongkol Thirakot à cinquante ans de prison pour lèse-majesté. Une peine historique.
Le crime de ce vendeur de vêtements en ligne de 30 ans ? Avoir publié sur Facebook 27 posts jugés offensants à l’égard de la monarchie. Dans ce royaume d’Asie du Sud-Est, l’article 112 du code pénal protège le monarque et sa famille de toute critique. Il en coûte de trois à quinze ans de réclusion criminelle par infraction, d’où la condamnation record de ce militant pro-démocratie.
Emprise de l’axe conservateur
Malgré l’arrivée d’un gouvernement civil pour la première fois depuis le dernier coup d’État de 2014, cette loi relative au souverain continue de sévir. Elle avait été suspendue au début du règne de Rama X (2019), avant d’être réactivée par l’establishment militaro-royaliste bousculé par les manifestations historiques de 2020-2021. La jeunesse avait alors investi la rue, réclamant une réforme. Mais Move Forward Party, jugé trop radical par l’axe conservateur, s’est fait barrer la route du pouvoir. À la place, les populistes du Pheu Thai (PT) dirigent le pays, mais ils ont dû s’allier avec leurs ennemis d’hier – des partis pro-junte – pour gouverner.
« Le PT a clairement indiqué qu’il ne soutiendrait pas les personnes poursuivies pour violation de l’article 112, ni la réforme de la loi », rappelle Tyrell Haberkorn, professeure à l’université du Wisconsin à Madison. Pour cette experte, leur silence « indique le deal, implicite ou explicite, conclu pour préparer le retour au pays de Thaksin », l’influent fondateur du PT et ex-premier ministre évincé par un putsch en 2006 qui vivait en exil pour fuir la justice.
« Il était certain que les temps seraient durs pour mes clients et pour la liberté d’expression », complète l’avocate Kunthika Nutcharut, qui défend des militants poursuivis pour lèse-majesté. Que dire du verdict historique prononcé à l’encontre de Mongkol Thirakot ? « Insensé », fustige la pénaliste qui déplore un double standard : « Pendant ce temps, un député de 75 ans peut tranquillement déclarer qu’il pourrait tuer une gamine de 15 ans qui refuse de porter l’uniforme à l’école. »
Semer la peur
Depuis 2020, 262 militants ont été inculpés pour lèse-majesté. Déjà condamné à quatre ans de prison en vertu de cette loi, le célèbre avocat Arnon Nampa, figure du mouvement pro-démocratie pour avoir été le premier à demander publiquement une réforme de la monarchie, vient de prendre quatre années supplémentaires. Cela plus les autres affaires qui lui pendent au nez, ce père de famille de 39 ans pourrait passer sa vie en prison.
Le but est de semer la peur, estime Tyrell Haberkorn. « Exprimer son inquiétude ou faire preuve de solidarité, ajoute-t-elle, ce serait se faire passer pour quelqu’un qui n’est pas assez loyal envers la monarchie, donc pour quelqu’un de suspect. » Voilà pourquoi, ici, peu s’en font l’écho, que ce soit dans la presse locale ou dans la société. Même le MFP s’est montré discret. « On ne peut pas trop en parler », glisse un cadre. Son parti est menacé : la Cour constitutionnelle doit trancher à la fin du mois sur sa dissolution.
Par Valentin Cebron – La Croix – 22 janvier 2024
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