Dans une Birmanie en guerre, la junte militaire se fissure
Trois ans après le coup d’État militaire en Birmanie, le 1er février 2021, plus des deux tiers du pays sont aujourd’hui en guerre. Près de 3 millions de Birmans ont été déplacés et plusieurs milliers de civils ont été tués. Mais en dépit des multiples victoires des guérillas ethniques, la junte militaire ne s’effondrera pas du jour au lendemain.
« Si vous débarquiez aujourd’hui à Rangoun, jamais vous n’imagineriez qu’un coup d’État militaire a eu lieu il y a trois ans », confie sur sa messagerie cryptée Aung Zaw, 45 ans, professeur de mathématiques dans la plus grande ville du pays. « Les bars où la bière coule à flots sont ouverts tard le soir, les gens se promènent dans les centres commerciaux climatisés et les restaurants ne manquent pas de clientèle. Vous ne voyez même pas de soldats dans les rues », poursuit-il… tout en prévenant que tout cela « n’est qu’une illusion: quand vous allez en province l’atmosphère change totalement. Ma famille, qui vit dans le nord du pays, me parle de répression, de terreur et de combats incessants. »
25 % de la population souffre de malnutrition
« L’intensification des violences, l’augmentation du niveau de pauvreté et la détérioration des conditions de vie ont un impact dévastateur sur la vie de la population », insiste dans un rapport publié en janvier le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (UNHCR). Le Programme alimentaire mondial estimait l’année dernière que 25 % de la population souffrait d’insécurité alimentaire, et qu’un tiers avait besoin d’aide humanitaire. Les populations civiles payent au prix fort l’extension de cette guerre qui a pris une nouvelle tournure depuis le mois d’octobre dernier, avec les offensives de différentes guérillas ethniques dans toutes les zones frontalières.
« Près des deux tiers du pays (un peu plus grand que la France pour 53 millions d’habitants, NDLR) sont en guerre », estiment les Nations unies. Près de 3 millions de personnes ont été contraintes de quitter leur maison, en bonne partie à cause des affrontements de plus en plus violents et meurtriers. « Le grand bouleversement de ces derniers mois est l’entrée en guerre des trois grandes guérillas ethniques historiques de la Birmanie », analyse Guillaume de Langre, ancien conseiller à l’énergie du gouvernement civil birman qui a longtemps vécu dans le pays.
« On commence à voir les faiblesses de l’armée birmane »
« La Birmanie entre dans une nouvelle phase du conflit avec ces offensives parfaitement coordonnées sur toutes les zones frontalières, précise-t-il, car ces guérillas sont très bien armées et très bien formées, au point d’avoir repris de nombreux territoires dans le Nord, dans l’Est et le Sud-Ouest. » Selon lui, la junte contrôle moins de territoires qu’en 2021, et n’a pas les moyens aujourd’hui de les récupérer. Selon certains experts militaires, plus de 6 000 soldats birmans ont déserté et rejoint les armées de résistance. « On commence à voir les faiblesses de la junte, analyse l’ancien conseiller, et les experts, diplomates et capitales de la région constatent que la junte birmane n’a tout simplement pas réussi à écraser la rébellion. »
Il serait cependant exagéré de dire que la junte militaire birmane est sur le point de s’effondrer. « Les grandes villes du pays comme Rangoun, Mandalay et Naypyidaw sont des places fortes de l’armée et du régime, assure un diplomate occidental longtemps en poste à Rangoun, et celui-ci a encore les moyens de tenir les leviers essentiels du pouvoir. » Il est certain que le général Min Aung Hlaing, à la tête du pays, va prolonger l’état d’urgence et probablement relancer l’idée d’une élection dans un futur incertain. Mais pour de nombreux observateurs, cela ne suffira pas à prolonger éternellement son régime. « La puissante dynamique militaire ethnique est lancée et entraîne avec elle d’autres guérillas ethniques dans d’autres zones du pays », assure encore Guillaume de Langre. Pour autant, la junte militaire, retranchée dans la capitale-forteresse Naypyidaw, ne s’effondrera pas du jour au lendemain.
Par Dorian Malovic – La croix – 31 janvier 2024
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