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Stop aux violations systématiques du droit du travail au Cambodge

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Au moins 20 coalitions syndicales indépendantes de premier plan, des associations et des organisations de soutien aux syndicats ont présenté un rapport thématique sur la situation du droit du travail au Cambodge pour la pré-session de l’Examen périodique universel (EPU) qui se tiendra à Genève ce mardi. Khun Tharo, directeur de programme au Center of Alliance of Labor and Human Rights (CENTRAL), nous en résume la teneur.

Lors du précédent cycle de l’EPU, des pays comme les États-Unis, la Suède, la France, la Belgique et la Finlande avaient formulé des recommandations concrètes sur l’amélioration du droit du travail à l’intention du gouvernement royal du Cambodge (GRC). Ces nations avaient demandé au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les libertés fondamentales des travailleurs au Cambodge soient pleinement respectées et que les syndicalistes puissent mener leurs activités dans un climat exempt d’intimidation, de menace ou d’atteinte à leur sécurité. Ces pays ont demandé au gouvernement de veiller à ce que le cadre législatif et les politiques du travail permettent aux syndicats d’exercer leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

Au cours des trois dernières années, il y a eu des empiètements significatifs sur l’espace civique, comme en témoigne l’intensification des attaques contre les syndicats indépendants et les organisations syndicales. Nous constatons que le mouvement syndical indépendant au Cambodge n’est pas seulement menacé, mais qu’il est spécifiquement et systématiquement pris pour cible. La récente décision de la Commission européenne de retirer partiellement le Cambodge du système de préférences commerciales “Tout sauf les armes” (TSA) était basée sur l’identification de graves violations systématiques des principes de la Convention internationale sur les droits civils et politiques (ICCPR), notamment les droits à la liberté d’association et à la liberté de réunion tels que décrits dans les recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui font référence à la violation des conventions fondamentales de l’OIT n° 78 sur la liberté d’association et n° 98 sur la négociation collective.

Bien que le gouvernement royal du Cambodge et le ministère duTravail et de la formation professionnelle aient introduit des amendements aux lois sur le travail et les syndicats, ces changements sont largement symboliques, car ils ne s’attaquent guère aux problèmes fondamentaux de ces lois et ne les alignent pas non plus sur les normes internationales.

Des travailleurs encore très peu protégés 

Tout d’abord, nous sommes confrontés à de graves difficultés en matière d’enregistrement des syndicats et de négociation collective. La lourdeur des procédures d’enregistrement des syndicats et de collecte des cotisations dans les usines ayant conclu des conventions collectives entrave la liberté d’association, un droit protégé par les conventions de l’OIT et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous observons un schéma inquiétant de rejet des demandes d’adhésion à un syndicat pour des erreurs insignifiantes, ainsi qu’un processus ardu de certification du statut de représentant, qui entrave la capacité des travailleurs à se syndiquer. D’après les données compilées, au moins un enregistrement de fédération et 32 enregistrements de syndicats au niveau de l’entreprise restent en suspens en février 2024, certains depuis plus d’un an.

Deuxièmement, l’obstruction du système judiciaire dans la résolution des conflits du travail a limité l’accès à la justice. On observe une tendance émergente à la mauvaise classification des conflits du travail pour éviter l’arbitrage, associée à un manque de recours juridiques efficaces et opportuns pour les travailleurs dans les tribunaux nationaux. Cette classification erronée des litiges et l’inaccessibilité actuelle du Conseil d’arbitrage pour les litiges individuels en matière de travail sont préoccupantes. Les travailleurs subissent des retards injustifiés dans l’examen de leurs affaires et l’absence d’un système judiciaire indépendant et impartial complique leur quête de justice. En février 2024, nous avons recensé au moins 69 cas de décisions judiciaires injustes et de classifications erronées qui n’ont pas pu être portées devant le Conseil d’arbitrage, ce qui fait que les tribunaux nationaux sont les seuls à pouvoir statuer sur les litiges.

Troisièmement, nous souhaitons souligner l’utilisation systématique des contrats à durée déterminée (CDD) comme outil de discrimination antisyndicale. Les directives du ministère du travail ont sapé le droit du travail établi, permettant aux employeurs d’éviter la transition des travailleurs vers un statut d’emploi permanent, affaiblissant ainsi la sécurité de l’emploi et les droits de négociation collective. D’après les données recueillies par des syndicats et des fédérations indépendants, au moins 33 923 travailleurs de 49 usines sont encore employés sous contrat à durée déterminée (CDD) alors qu’ils devraient légitimement être sous contrat à durée indéterminée (CDI). Au total, 630 travailleurs sous CDD n’ont pas été réembauchés après avoir créé un syndicat.

Restrictions des rassemblements et criminalisation des syndiqués

Les restrictions en matière de rassemblement pacifique et d’expression ont été exacerbées par la mise en œuvre des règlements COVID-19, qui ont été utilisés pour limiter les protestations et les grèves. Il s’agit là d’une violation flagrante des droits inscrits dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans la Constitution cambodgienne. Après que NagaWorld ait licencié 1 329 employés de casino en avril 2021 et que les employés du Labor Rights Supported Union of Khmer Employees aient entamé une grève pacifique et médiatisée, la police a physiquement agressé et arrêté les grévistes sous le prétexte de la réglementation COVID-19.

Nous observons également une tendance inquiétante à la criminalisation et à la discrimination à l’encontre des dirigeants syndicaux et des militants des droits du travail. Le harcèlement judiciaire, les accusations criminelles et les menaces à l’encontre des membres des syndicats sont monnaie courante, ce qui crée un environnement de peur et de répression. Les syndicats indépendants et les intérêts des travailleurs ne sont pas suffisamment représentés dans les conseils gouvernementaux et le développement de règles et de politiques pour les travailleurs des secteurs sous-représentés est inégal.

 Discriminations à l’encontre des femmes et des migrants 

De plus, les mécanismes de protection contre la violence sexiste restent en deçà des normes internationales nécessaires, ce qui a un impact considérable sur les femmes. Les abus largement répandus dans des secteurs tels que la confection et le divertissement comprennent des pratiques discriminatoires à l’encontre des travailleuses enceintes et des personnes handicapées, ainsi que le harcèlement ciblé des dirigeantes syndicales.

Enfin, le cadre institutionnel et normatif du Cambodge ne protège toujours pas les travailleurs migrants. Les frais de recrutement n’étant pas limités par le gouvernement, de nombreux travailleurs s’endettent pour couvrir les dépenses liées à la migration. L’absence de documents appropriés limite leur accès à la justice, à la sécurité sociale et aux soins de santé dans les pays d’accueil. 

Recommandations 

Pour relever ces défis, le gouvernement royal du Cambodge doit prendre des mesures concrètes et mettre en œuvre les recommandations suivantes :

  • Simplifier l’enregistrement des syndicats et les processus de certification du “statut le plus représentatif”.
  • Une classification appropriée des conflits du travail et un conseil d’arbitrage efficace et indépendant.
  • La révocation des directives ministérielles qui sapent le droit du travail, en particulier en ce qui concerne les contrats à durée déterminée.
  • La modification des réglementations qui limitent les rassemblements pacifiques et le droit de grève.
  • La protection des dirigeants syndicaux contre la violence, la discrimination et la criminalisation.
  • La représentation inclusive des syndicats indépendants dans les conseils des salaires et du travail.
  • Des protections juridiques clairement définies contre la violence sexiste au travail et la ratification de la convention C190 de l’OIT.
  • Des protections renforcées pour les travailleurs migrants et la ratification des conventions pertinentes, telles que la convention 181 de l’OIT sur le recrutement et la convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Il est essentiel de répondre aux préoccupations existantes en matière de droits de l’homme et de droits du travail pour rétablir pleinement les préférences commerciales au titre de l’initiative TSA et pour préparer le Cambodge à obtenir le système généralisé de préférences (SGP) des États-Unis, un système de préférences commerciales qui exige un engagement réel et crédible de la part du gouvernement cambodgien. 

Par Khun Tharo – Cambodianess / Lepetitjournal.com – 26 février 2024

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