Coup d’état au Myanmar : une position ambiguë pour la Chine
Le Myanmar, connu sous le nom de Birmanie avant 1989, est un pays d’Asie du Sud-Est qui borde le golfe du Bengale, partageant des frontières avec des pays tels que la Chine, l’Inde, la Thaïlande et plus encore. Depuis son indépendance en 1948, le Myanmar a un historique de coups d’État important qui fait en sorte que ce pays ait connu peu d’années démocratiques et plusieurs années de contrôle sous une junte militaire [1].
Un évènement qui bouleverse le pays
Le 1er février 2021, l’armée met en état d’arrestation la dirigeante de facto du pays, Aung San Suu Kyi, plusieurs dirigeants régionaux, des étudiants ainsi que des défenseurs des droits de la personne [2]. Peu de temps après, l’état d’urgence est déclaré dans le pays et un nouveau dirigeant est mis en place [3]. C’est le fameux général Min Aung Hlaing qui prend le contrôle du Myanmar. Il est connu pour être un des responsables du déplacement de la minorité des Rohingyas dans le pays, un évènement qui a été fortement critiqué par la communauté internationale [4].
Le coup d’État n’a pas été ignoré par la population. Dans les journées qui ont suivi, des mouvements de résistance se sont mis à pousser partout dans le pays. Il y a eu plus de 4700 manifestations à la fin de juin 2021, mais elles sont restées majoritairement pacifiques [5]. Dans l’espoir de nuire au pouvoir militaire en place, certains travailleurs se sont mis à cesser l’ouvrage pour paralyser l’appareil du gouvernement [6]. Cependant, selon l’organisme Human Rights Watch, de la force létale a été utilisée lors d’une manifestation causant la mort de plus de 1200 personnes [7]. Depuis, la situation dans le pays a dégénéré et plusieurs mouvements de résistance armée se sont formés, ce qui a plongé le Myanmar en guerre civile.
La Chine aux aguets
Le Myanmar étant un voisin direct de la Chine, il est certain que de voir celui-ci tomber en guerre civile peut causer un certain inconfort au sein du Parti communiste chinois (PCC). Le coup d’État a amené plusieurs personnes à s’interroger sur le côté que la Chine allait choisir. Sans surprise, elle a fait profil bas et n’a pas vraiment choisi de côté. Pendant les premiers mois, Beijing s’est retenu de faire des visites diplomatiques officielles, démontrant une certaine ambiguïté en allant même encourager l’adoption du plan de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est pour mettre fin à la crise [8].
Cependant, des rumeurs circulaient à l’effet que la Chine avait une connexion avec le coup d’État, ce qui a causé des manifestions contre le PCC dans la ville de Yangon [9]. En réaction des visites de plus en plus officielles de la puissance avec les putschistes, des investissements stratégiques chinois dans le pays ont été attaqués par les groupes de rebelles pro-démocratie [10]. Contrairement à ce qu’elle essayait de faire paraitre, la Chine s’est rapprochée d’un côté, soit la junte militaire. Cette décision de se rapprocher de la junte provient de calculs stratégiques: défendre ses intérêts économiques tels que les ports, les oléoducs et les infrastructures de gaz nature [11]. Des intérêts qui sont cruciaux pour une diversification de l’économie chinoise. Sur environ 7 800 combats enregistrés, 300 d’entre eux étaient à proximité de projets chinois importants [12]. Pour ce qui était de Moscou, le support était clair et moins vague que celui du gouvernement chinois.
Avec le conflit qui a grandi en intensité et avec des groupes de rebelles motivés par un retour démocratique, l’armée du général Min Aung Hlaing a perdu beaucoup de territoire depuis sa prise de pouvoir. Le support de Moscou se fait moins fort dû à la guerre en Ukraine qui ne se passe pas comme prévu. On observe aussi une perte de confiance du gouvernement militaire du côté de la Chine et une baisse massive du nombre de troupes qui contribuent à ces pertes de territoires [13]. La Chine pourrait possiblement reformuler sa politique étrangère envers le Myanmar et jouer ses pions stratégiquement si elle espère garder une certaine influence dans ce pays.
Par Étienne Minier – Perspective Monde – 20 février 2024
Médiagraphie
[1] MAIZLAND, Lindsay, Myanmar’s Troubled History: Coups, Military Rule, and Ethnic Conflict, Council on Foreign Relations, 31 janvier 2022, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 [2] Amnesty International, Myanmar: Aung San Suu kyi, other arrested as military coup underway, 1er février 2021, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 [3] Al Jazeera, « Timeline: Two years since the Myanmar military coup », 1er février 2023, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 [4] RASHEED, Zaheena, « Why Myanmar’s military seized power in a coup », Al jazeera, 1er février 2021, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 [5] BYNUM, Elliott, Myanmar’s Spring Revolution, ACLED, 22 juillet 2021, URl [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 [6] Ibid. [7] Human Rights Watch, Myanmar: protesters targeted in March Massacre, 2 décembre 2021, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 [8] RAMACHANDRAN, Sudha, China’s Collaboration with the Myanmar Junta: A Case f strategic Hedging ?, The Jamestown Foundation, 7 juillet 2023, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 [9] KIRONSKA, Kristina, China’s stance toward Myanmar following the 2021 military coup, CEIAS, 2 octobre 2023, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 [10] KURLANTZICK, Joshua, China’s Support for Myanmar Further Shows the World Dividing Into Autocracy versus Democracy, Council on Foreign Relations, 4 avril 2022, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 [11] KIRONSKA, Kristina, Op. Cit. [12] Ibid. [13] KLYSZCZ, Ivan U. et CHAMBERS, Harold, « The Myanmar Junta Is Losing Its Foreign Backers », The Diplomat, 27 janvier 2024, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024 HEIN, Ye Myo, Myanmar’s Military Is Smaller Than Commonly Thought – ans Shrinking Fast, United States Institute of Peace, 4 mai 2023, URL [hyperlien] Consulté le 18 février 2024
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