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La ville frontière de Myawadi est tombée aux mains des rebelles Karens

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Les rebelles Karens contrôlent désormais Myawaddy. Bien que d’autres passages frontaliers plus au nord (Mae Sai – Tachileik (État Shan)) et plus au sud (Ranong – Kawthaung (région du Tanintharyi)) demeurent ouverts avec la Thaïlande, le coup psychologique de la chute de Myawaddy le 10 avril est très rude pour la junte militaire.

La défaite intervient là où les Thaïlandais ont fait transiter le 25 mars leurs premiers convois humanitaires transfrontaliers. Pire, dorénavant Bangkok n’a pas seulement à s’inquiéter de l’ampleur des personnes déplacées de l’autre côté de sa frontière mais la Thaïlande doit faire face à l’arrivée de plus de 5 000 civils venus pays kayin.

Après avoir vu ses soldats fuir par dizaines vers l’Inde ou le Bangladesh, le Conseil de l’administration de l’État (SAC) est désormais confronté à des départs par unités entières vers la Thaïlande et la Chine. Sous la pression militaire conjuguée des groupes ethniques armés kayin et kachin, auxquels viennent prêter main forte les insurgés au coup d’État du 1er février 2021, la junte n’a pas d’autre choix que de négocier, avec tous, ses voisins le rapatriement de ses hommes et celui de leurs familles.

Quoi de plus humiliant que de telles discussions avec des interlocuteurs que les putschistes voudraient convaincre de leur centralité, de leur puissance et de leur légitimité ? Comment, dans un tel contexte, ne pas nourrir des interrogations dans les casernes et parmi les officiers sur la stratégie choisie par le commandement ? Comment garder le moral alors que les revers opérationnels s’accumulent les uns après les autres depuis quatre mois ?

Le chef de la junte est, de fait, sur la sellette

En ayant depuis trois années fait du haut commandement militaire le cœur du pouvoir exécutif, le chef de l’armée s’est accaparé l’ensemble des leviers du pays. Tous les échecs politiques et militaires lui sont donc imputables. Sa responsabilité personnelle est d’autant engagée que les institutions politico-administratives connaissent une grande instabilité de leurs ressources humaines.

Depuis 2021, le SAC a connu 7 remaniements et 33 changements de titulaires Le cabinet des ministres a, lui, été ajusté à 6 reprises, voyant 56 changements de portefeuilles. On est loin de la stabilité gouvernementale passée. De fait, le turn over a été 2 fois plus important sous le régime du général Min Aung Hlaing qu’à l’époque du général Thein Sein et 6,2 fois plus élevé que sous l’ère de Daw Aung San Suu Kyi.

Considérant cette instabilité politico-militaire chronique, combien de temps encore la Tatamadaw va-t-elle accepter une telle perte de face ? Combien de temps encore le général Min Aung Hlaing pourra t-il tenir son rang de commandant-en-chef des services de défense et de premier ministre ?

La question est d’autant plus prégnante que d’autres coups durs sur les champs de bataille, notamment kachin et rakhine voire de la région de Sagaing, semblent s’annoncer avant l’arrivée des pluies de mousson le mois prochain. Plus inquiétant peut être pour le généralissime : les officiers généraux du plus haut rang sont de moins en sécurité là où ils se trouvent.

La vie des généraux est régulièrement menacée par la voie des airs

Ces dernières semaines, les attaques par drones ciblant le haut commandement se sont multipliées. Prenant en exemple le modus operandi ukrainien, l’opposition s’en est prise à la capitale et à son environnement. Le 4 avril, l’unité Shar Ttoo Waw, agissant pour le compte du gouvernement d’opposition (NUG), a attaqué avec une trentaine de plateformes la résidence du numéro 1 du SAC et du gouvernement, le quartier général de l’armée et la base aérienne de Nay Pyi Taw.

Deux jours plus tard, le vice-premier ministre, ministre des Transports et des communications, le général Mya Tun Oo, a été pris à partie par voie aérienne alors qu’il visitait un projet d’aérodrome dans l’État Môn. Les 8 et 9 avril, ce fut au tour du numéro 2 de l’armée et du gouvernement, le général Soe Win, d’être confronté à cette menace alors qu’il tenait des réunions avec le commandement militaire du sud-est à Mawlamyine.

Ces attaques n’ont fait que des dégâts légers et que quelques blessés mais elles sont lourdes de sens, tout comme celles à coups de pièces de mortiers le 8 avril contre le campus de l’Académie de défense à Pyin Oo Lwin (région de Mandalay). L’armée, ses installations et ses chefs sont menacés où qu’ils soient. Manifestement pour mener à bien ces assauts, les groupes d’opposition sont parvenus à conserver voire élargir leurs collectes de renseignements d’intérêt militaire. Une réalité qui laisse supposer des complicités à l’intérieur même des forces armées sensées être totalement inféodées au SAC et à tous ses chefs.

Non seulement le nombre d’unités de la résistance employant des drones grossit mais les plateformes larguent des engins explosifs de plus en plus lourds. Depuis le début du mois d’avril, les opposants ont pu ainsi viser la production d’armements de la junte dans la région de Magwe, un camp d’entraînement dans la région de Sagaing ou encore des unités d’infanterie dans l’Etat Rakhine.

Ces opérations sont dorénavant menées par plusieurs dizaines de drones sur un même théâtre. Certes, la Tatmadaw parvient à en neutraliser un grand nombre mais ils n’en demeurent pas moins des menaces persistantes sur les soldats en opération, leurs lieux de stationnement et cela sur l’ensemble du territoire. Ces dangers ne font rien pour améliorer le moral des troupes et de leurs entourages, déjà bien bas.

L’armée perd le contrôle des villes commerçantes aux frontières internationales

Les hommes de la junte perdent inexorablement du terrain dans les zones rurales face à tous leurs adversaires mais le nombre de centres urbains commerciaux passant aux ennemis de la Tatmadaw ne cessent de croître. Le dernier en date en voie de quitter l’orbite du SAC est la ville de Myawaddy, à la frontière thaïlandaise. Cette ville d’échanges n’est pas n’importe laquelle. Il s’agit du principal point d’entrée par voie terrestre pour les biens venant du Royaume riverain et s’écoulant dans tout le pays via l’Asia Highway. La perte durable de son contrôle entraînera un manque à gagner non négligeable pour un régime militaire déjà à cours d’argent. Les échanges y avaient déjà chuté de près de 30 % en 2023. Mais dorénavant, les routes à emprunter seront secondaires, plus longues, plus coûteuses et praticables pour des camions de transport plus petits.

Se préparant au pire, le gouvernement royal thaïlandais a décidé dès le 9 avril de rehausser sa capacité d’accueil temporaire à 100 000 personnes. Mais faisant un constat plus politique, le premier ministre Srettha Thavisin a reconnu que le régime militaire de Nay Pyi Taw « commence à perdre de son poids » et considère que cette nouvelle donne ouvre, peut-être, la voie à des discussions plus prometteuses. Rien de moins sûr ! Pour faire avancer diplomatiquement les choses encore faut-il adopter une approche « nouvelle », pour ne pas dire disruptive.

Dans les débats que suscitent la situation politico-militaire birmane, chacun demeure arc-bouté sur ses approches passées. L’ASEAN répète à l’envie la centralité de ses 5 points de consensus et n’innove en rien depuis des mois. La communauté internationale n’est pas mieux disant. Elle réitère sans détail son soutien à cette approche, comme on a pu le constater dans la grande majorité des interventions diplomatiques le 4 avril lors du premier débat public au Conseil de sécurité des Nations unies consacré à l’État Rakhine et à la Birmanie. Quant au Secrétaire général de l’ONU, le choix de sa nouvelle Envoyée spéciale en la personne de l’ex-ministre des Affaires étrangères australienne, Mme Julie Bishop, et sans ajustement de son mandat, cela ne laisse rien présager de prometteur à court terme.

Sur le terrain, les Birmans payent, eux, un lourd tribut à l’absence de toute sortie de crise autre que par la voie des armes. En mars 2024, 18 000 d’entre eux ont été déplacés par les combats dans l’État Kachin, 5 000 autres dans la région de Myawaddy, faisant monter ainsi à plus de 2,5 millions le nombre des personnes ayant fui dans le pays les affrontements et l’insécurité provoqués par le coup d’Etat de 2021.

Dans cette longue liste de drames, une statistique particulièrement alarmante est à retenir : les victimes des mines anti-personnel et autres engins explosifs ont augmenté de 270 % en un an. Ces engins meurtrissent, chaque jour, au moins 3 personnes dont plus d’un quart sont des enfants. Une des horreurs appelée à perdurer !

Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 11 avril 2024

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