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Guerre d’Indochine : ces soldats marocains qui sont restés au Vietnam

Il y a 70 ans, la bataille de Diên Biên Phu prenait fin, sonnant le glas de l’Indochine française. Pendant sept ans, des dizaines de milliers de Nord-Africains ont combattu pour la France en Indochine. La majorité est repartie après la guerre, mais certains ont refait leur vie au Vietnam.

Le 7 mai 1954, le camp retranché français de Diên Biên Phu tombait. Après plusieurs semaines de bataille acharnée contre les troupes du Vietminh, les forces françaises ordonnaient le cessez-le-feu. Cette date marque la fin de la guerre d’Indochine et la défaite de l’armée tricolore..

Entre 1947 et 1954, plus de 120 000 Maghrébins, dont la moitié originaires du Maroc, pas encore indépendant, ont garni ses rangs au cours de ce conflit colonial. Après la guerre, la plupart sont repartis, mais environ 150 Marocains, déserteurs ou prisonniers, sont restés au Vietnam communiste pendant plus d’une décennie après l’armistice. Leurs descendants défendent aujourd’hui leur mémoire oubliée des livres d’histoire.

« C’est beaucoup d’émotions pour moi », concède Le Tuan Binh, 64 ans, en portant la pierre tombale de son père Mohammed, ou Mzid Ben Ali selon l’inscription, décédé en 1968. Faute de funérailles à l’époque, le corps a été perdu, mais Binh a conservé chez lui la dalle, qui précise la nationalité du défunt : « Marocain ».

Le destin de ces Marocains offre une perspective méconnue sur la guerre qui continue de travailler l’imaginaire vietnamien comme français. En métropole, « l’histoire de l’héroïsme à Diên Biên Phu a longtemps été l’apanage des Blancs, largement majoritaires dans l’encadrement des troupes », explique Pierre Journoud, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul Valéry-Montpellier.

« Mais après 1947, c’est vers les tirailleurs coloniaux qu’on se tourne pour alimenter l’effort de guerre. Les soldats colonisés seront ensuite majoritaires », développe-t-il. « On a perdu une partie de cette mémoire » des soldats colonisés, concède le spécialiste.

Des déserteurs étrangers

Le Tuan Binh reçoit chez lui, dans la province de Phu Tho, à deux heures de route de la capitale Hanoï, dans le nord du pays, avec du thé noir, agrémenté de feuilles de menthe du jardin. « À la marocaine, mais sans le sucre », plaisante-t-il. Au village, il est surnommé « l’étranger » en raison de sa peau foncée, mais ses proches l’appellent Ali, le prénom donné par son père. 

La guerre contre les Américains et le développement économique ont dispersé les quelques familles maroco-vietnamiennes qui habitaient la région il y a plusieurs décennies. Certaines sont rentrées au Maroc dans les années 1970, mais pas lui, parce qu’il voulait rester auprès de sa mère vietnamienne et de ses deux frères. « Mon père évitait de parler de la guerre. C’était un homme de peu de mots », se souvient Binh.

Le mystère continue d’envelopper une partie de la vie de son père, qui aurait changé de camp en 1953 ou 1954. La propagande vietnamienne présente les déserteurs étrangers comme des camarades de la lutte des peuples opprimés, mais selon des chercheurs français, leurs motivations étaient éloignées de l’idéologie, comme une meilleure solde ou la peur d’une sanction à la suite d’une faute.

Après la guerre, environ 300 soldats africains et européens « qui se sont rendus », selon Hanoï, ont été installés dans une ferme collective du district de Ba Vi, à une heure de la capitale. C’est là que le père de Binh a rencontré sa femme vietnamienne, et que Binh est né, en 1959.

Une mémoire qui s’étiole

Le site a été démantelé dans les années 1970, mais aujourd’hui subsiste sur place une porte de plusieurs mètres de haut d’inspiration mauresque, construite par des ouvriers marocains en mémoire de leur pays d’origine. Le curieux monument se trouve dans le jardin d’une famille vietnamienne. Quelques visiteurs, dont des étrangers, vont la visiter chaque mois.

Dans les années 1990, période économique difficile au Vietnam, des vendeurs de ferraille frappaient à la porte pour récupérer le métal, se souvient une membre de la famille. Endommagée par un demi-siècle de quasi-oubli, la porte a retrouvé de l’allure après des travaux de rénovation en 2009 et 2018, à une période où des travaux de recherche ont aussi commencé à éclairer le recours aux combattants colonisés en Indochine.

C’est à ce moment-là que Le Tuan Binh se démenait pour une reconnaissance de son passé.  Après des années d’imbroglio administratif, il a obtenu un passeport marocain en 2016, ainsi que pour ses deux enfants, nés d’une mère vietnamienne, sous un nom de famille choisi par l’ambassade : El Mekki. 

Sa fille Leïla, 36 ans, vit aujourd’hui à Casablanca. « Mon père m’a encouragée à partir. Il parlait du Maroc depuis que je suis toute petite », explique-t-elle. Binh, lui, n’a jamais mis les pieds au Maroc : « Maintenant je suis trop vieux. J’ai laissé l’opportunité à ma fille », explique-t-il. « Je suis content maintenant. Certains de mes rêves sont devenus réalité. »

France 24 Tv avec Agence France Presse – 2 mai 2024

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