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Cambodge : le futur canal à 1,7 milliard de dollars qui menace la stabilité dans la région

Le Cambodge s’apprête à démarrer la construction d’un gigantesque canal devant relier le Mékong au golfe de Thaïlande. Un projet porteur d’espoir, qui soulève toutefois des inquiétudes tant de la part des populations locales que des États voisins.

Un canal pour « respirer »: le Cambodge se prépare à célébrer le lancement d’un chantier colossal pour relier le Mékong au golfe de Thaïlande, mais l’impact du projet, présenté comme un catalyseur pour l’économie, inquiète riverains et analystes, faute de transparence.

« On ne sait pas ce que pense le gouvernement, parce qu’on ne nous a rien dit. (…) On n’est pas seulement surpris, mais aussi effrayé », concède auprès de l’AFP Lim Tong Eng, 74 ans.

L’agriculteur à la retraite regarde impuissant les excavatrices qui ont commencé à creuser le futur canal Funan Techo, soulevant de terre de la poussière qui retombe en partie dans son jardin.

Dans la province de Kandal (sud-est), à environ une heure de route de la capitale Phnom Penh, les travaux ont démarré en amont de la cérémonie officielle de pose de la première pierre, le 5 août.

La date correspond à l’anniversaire de Hun Sen, l’ancien homme fort du royaume d’Asie du Sud-Est qu’il a dirigé d’une main de fer durant plus de 30 ans, avant de laisser les rênes à son fils, Hun Manet, l’an dernier.

Le canal Funan Techo, estimé à 1,7 milliard de dollars, s’insère dans sa stratégie de développement d’infrastructures à tout-va, souvent avec un appui chinois, pour moderniser l’un des pays les plus pauvres d’Asie du Sud-Est, qui se relève de décennies de guerre civile.

Le futur tracé doit permettre aux navires naviguant sur le Mékong de rejoindre le golfe de Thaïlande en évitant de passer par le Vietnam, où se trouve l’embouchure du plus long fleuve d’Asie du Sud-Est.

Un projet controversé

Hun Sen a loué les « avantages énormes » de l’infrastructure, comparé à un « nez pour respirer », qui limitera la dépendance du Cambodge envers son voisin vietnamien, bien plus influent, et créera des dizaines de milliers d’emplois.

Mais les bénéfices économiques vantés se heurtent à un flot d’incertitudes sur l’usage du canal, son financement et son impact sur le débit du Mékong.

Les autorités cambodgiennes ont suggéré que China Road and Bridge Corporation (CRBC) paierait pour une partie de l’infrastructure, or l’entreprise chinoise n’a pas encore officialisé sa participation.

CRBC n’a pas répondu à une demande de commentaire de l’AFP.

Bien que le Cambodge soit un allié de la Chine, Hun Sen a réfuté que le projet entrait dans le cadre des « Nouvelles routes de la soie » promu par Pékin.

Des questions subsistent aussi autour du coût du chantier.

Il y a « beaucoup d’inconnues et d’incertitudes au sujet des vrais bénéfices et coûts économiques », explique Vannarith Chheang, analyste politique et président de l’Angkor Social Innovation Park.

Des experts soulignent la menace supplémentaire que représente le canal pour le débit du Mékong, déjà soumis à la pression de la pollution, du minage de sable, du changement climatique et d’infrastructures mal conçues.

Le Vietnam réclame des précisions dans le cadre d’accords signés avec la Thaïlande, le Cambodge et le Laos pour gérer conjointement le fleuve vital à leur agriculture et alimentation.

Le Comité du Mékong (MRC), géré par ces pays, a indiqué qu’il n’avait reçu « aucun document sur le débit du fleuve » et qu’il « attendait » des informations supplémentaires demandées à Phnom Penh.

Enjeux locaux et internationaux

Une étude commandée par l’État cambodgien a estimé que l’impact du canal allait être minime sur le débit du fleuve en saison sèche, selon un responsable gouvernemental, mais le document n’a pas été rendu public.

L’irrigation, l’un des bénéfices mis en avant par les autorités, suscite d’autres doutes, puisqu’un projet de la sorte « nécessite un accord entre les quatre pays membres » du MRC, souligne Brian Eyler, expert Mékong au groupe de réflexion Stimson Center.

« Il est possible que les impacts environnementaux et sociaux pour le Cambodge et le Vietnam soient potentiellement faibles », poursuit-il.

« Mais aujourd’hui, on n’en sait pas assez sur le projet pour le savoir. »

Phnom Penh a aussi nié des allégations sur l’utilisation du canal par l’armée chinoise, et des analystes ont assuré que les routes maritimes et terrestres existantes restent plus simples à emprunter.

Le cœur du canal, estime Vannarith Chheang, se trouve dans sa valeur politique.

« C’est un projet comme un héritage, avec une signification historique et politique », estime l’expert.

« Le gouvernement le fera et le finira par tous les moyens, à tout prix… Ils doivent prouver quelque chose ».

Géo Magazine avec Agence France Presse – 18 juillet 2024

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