Au Vietnam, une possible dérive autoritaire du nouveau président et chef du Parti communiste To Lam
Le pays a un nouveau dirigeant, au terme d’une période tumultueuse liée à la mort du précédent chef du Parti communiste vietnamien. Mais sa prise de pouvoir, paradoxalement, fragilise l’équilibre institutionnel du pays.
Le discret To Lam parviendra-t-il à concilier le mélange de stabilité politique intérieure, de pragmatisme diplomatique et d’ouverture économique qui a fait du Vietnam la success story asiatique des dernières années ? Les observateurs internationaux de ce pays ultra-dynamique ont les yeux rivés sur cet apparatchik depuis sa nomination au poste de Secrétaire général du Parti communiste la semaine dernière, qu’il cumule désormais avec la présidence du pays. Car elle dénoue une crise politique interne, mais place le Vietnam sur une pente autoritaire préoccupante.
To Lam semble à la fois être la solution et le problème de son pays. En 2012, son prédécesseur au poste de Secrétaire général, Nguyen Phu Trong, avait lancé une vaste campagne anti-corruption et anti-dissidence sur le modèle — et avec les outils et les méthodes — de son voisin chinois Xi Jinping. Nom de l’exécutant : To Lam. Cette opération de nettoyage, baptisée Fournaise ardente, a mis sous silence les opposants, mais elle a plongé le pays dans l’instabilité institutionnelle.
« Cette année, deux présidents de la République et un président de l’Assemblée nationale ont quitté leur poste en cours de mandat. C’est inédit », observe un investisseur étranger sur place. Depuis 2021, sept membres du bureau politique du Parti communiste vietnamien (PCV) ont été purgés et remplacés par des cadres au profil davantage « sécuritaire » (policiers, militaires…) qu’économique.
Pas de ralentissement
Ce tour de vis n’a pas ralenti l’économie. Avec 5,8 % de croissance en 2023 (chiffres du FMI), le Vietnam demeure un des pays les plus dynamiques au monde, fort d’une classe moyenne gigantesque en pleine formation — la population vient de dépasser les 100 millions d’habitants. Les investisseurs étrangers ont placé le Vietnam comme première option de leur stratégie « Chine + 1 », en renfort voire en remplacement, notamment manufacturier, de la Chine en Asie. Mais ce pays conserve des faiblesses.
Il est gêné par « un approvisionnement en électricité irrégulier, des infrastructures médiocres, une corruption endémique, une mise en œuvre lente des politiques, des coûts de main-d’œuvre en hausse et peu de cadres qualifiés en haute technologie », énumère crûment l’universitaire américain Zachary Abuza dans les colonnes du quotidien japonais Nikkei. Selon lui, vis-à-vis des investisseurs, le Vietnam souffre aussi de la concurrence de la Malaisie et des Philippines, devenues politiquement plus rassurantes. Mais personne ne songe à refermer le pays. « L’ouverture est essentielle pour la croissance économique, qui renforce la légitimité du Parti communiste vietnamien », analyse Benoît de Tréglodé, directeur de recherche à l’IRSEM et historien spécialiste du Vietnam. To Lam a tout de même la réputation d’être plus pragmatique que son prédécesseur, lui marxiste convaincu.
Nguyen Phu Trong est décédé au terme d’une longue maladie le 19 juillet. L’annonce a précipité son remplacement par To Lam, qui a veillé à tuer dans l’œuf une possible guerre de succession. Mais le nouveau chef du PCV se retrouve tout-puissant dans un pays qui cultivait traditionnellement l’équilibre entre postes pour éviter d’être dirigé par un seul « homme fort ». Le pouvoir est divisé en quatre fonctions-clés : Secrétaire général du parti (premier d’entre eux), président de la République, président de l’Assemblée nationale et Premier ministre. Et To Lam occupe désormais les deux premiers. Il n’est pas certain qu’il accepte d’en céder un des deux lors du prochain congrès du Parti, prévu en janvier 2026. « On ne voit rien en public, mais en coulisses, les luttes de pouvoir ont commencé », assure un homme d’affaires.
Un jeu d’équilibriste
La question la plus passionnante est l’évolution de la place du Vietnam dans la région et dans le monde. Les Vietnamiens ont une expression pour caractériser leur position sur l’échiquier mondial : ils parlent de « diplomatie du bambou », en référence aux qualités de solidité et de souplesse de cette plante. Hanoï entretient en effet les meilleures relations avec la Chine, la Russie, la Corée du Nord et… les États-Unis, ou encore la France. « Washington ne déplore jamais le déficit commercial américain avec le Vietnam, pourtant énorme (plus de 100 milliards de dollars en 2023, selon l’administration américaine, NDLR). Cela montre à quel point les États-Unis attachent de l’importance à ce pays », relève un investisseur étranger.
Signe récent de cette exceptionnelle souplesse : Phu Trong a reçu Joe Biden en septembre dernier pour signer un « partenariat stratégique complet », puis Xi Jinping en décembre pour vanter l’« avenir en commun » sino-vietnamien. Avant de recevoir Vladimir Poutine le mois dernier, la Russie étant le principal fournisseur d’armement du Vietnam.
To Lam pourra-t-il jouer encore longtemps les équilibristes ? Il pourrait être tenté de basculer en faveur de la Chine, comme les Philippines le firent un temps sous Rodrigo Duterte, avant de redevenir pro-américains sous Ferdinand Marcos Jr. La France pourra en tout cas bientôt se faire directement une idée du nouvel homme fort du pays : To Lam a promis d’être présent, début octobre, au sommet de la francophonie à Villers-Cotterêts.
Par Régis Arnaud – Challenges.fr – 24 juillet 2024
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