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Téhéran, une capitale amie pour les militaires birmans

Le ministre des Affaires étrangères, membre statutaire du Conseil national de sécurité et de défense, n’était pas à Nay Pyi Taw le 31 juillet pour proroger un semestre de plus l’état d’urgence appliqué à son pays. A cette date, l’officier retraité U Than Swe était en mission à Téhéran, en nom et place du général Min Aung Hlaing. 

 Invité par le président du parlement de la République islamique, il s’est joint à la cérémonie d’investiture du nouveau chef de l’Etat, Masoud Pezeshtian. Ce déplacement iranien a eu son lot d’obligations protocolaires (ex. banquet d’État donné aux chefs de délégation en l’honneur du président récemment élu) et de visites culturelles (ex. musée national, musée d’archéologie islamique). Bien évidemment, ce ne sont pas ces dernières qui ont attiré l’attention des observateurs mais les portées politiques du voyage lui-même, les échanges pouvant donner lieu à une coopération militaire renforcée.

La junte veut saisir toute invitation internationale pour expliquer ses efforts de « paix et développement »

Alors que l’Iran des mollahs et la Birmanie des généraux entretiennent depuis quatre décennies des relations distantes, voici que le chef de la diplomatie du Conseil de l’administration de l’État (SAC) vient d’effectuer deux missions en deux mois à Téhéran. La visite de la semaine dernière a fait suite à celle du 26 juin, tenue dans le cadre de la 19ème réunion ministérielle du Dialogue sur la coopération en Asie (ACD). Dans cette enceinte multilatérale macro-régionale, le SAC est considéré comme le représentant légitime de la République de l’Union du Myanmar.

A la différence de l’ASEAN, la place des représentants politiques du régime putschiste n’y est pas contestée et ne l’a même jamais été. Les États les plus rétifs à la junte ont beau faire valoir que l’ACD à l’instar d’autres sous-organisations régionales auxquelles la Birmanie est un État-partie (ex. ACMECS, BIMSTEC, Lancang-Mékong), le SAC n’en fait pas moins valoir sur sa politique intérieure combien ces institutions font droit aux représentations internationales des putschistes. En outre, ces assemblées sont loin de limiter les échanges entre délégations aux seuls sujets de coopération aux politiques de développement.

La Birmanie est un membre fondateur de l’ACD (2002).

Un tel forum permet au gouvernement militaire de se montrer « coopératif » et de développer auprès des États-membres son propre narratif sur les développements sanglants récents et les perspectives électorales de l’année prochaine. Peut-être plus important encore, il offre l’opportunité d’échanges entre quatre yeux avec les délégations asiatiques qui le veulent bien (35 États-membres). Hors de toute présence occidentale, des réunions ont pu cette fois-ci se tenir avec les ministres thaïlandais, népalais et qatari. La cérémonie d’investiture du 30 juillet du président iranien a offert le même type d’opportunité puisque près de 80 délégations étrangères ont été annoncées à Téhéran.

Au-delà de la courtoisie diplomatique d’un moment multilatéral s’esquisse des coopérations irano-birmanes nouvelles

Tout comme les monarchies du golfe persique (Arabie Saoudite, Koweït, Qatar), l’Iran ne voit pas dans le sort passé et présent des musulmans Rohingyas un obstacle majeur aux relations avec les chefs de la Tatmadaw qui se sont emparés du pouvoir le 1er février 2021.

Si les relations anciennes et profondes avec Israël ont pu constituer un frein au développement de relations irano-birmanes dans le domaine de la défense, il n’en est désormais plus rien. Depuis le coup d’État, Jérusalem a abaissé ses relations diplomatiques au niveau d’un chargé d’affaires mais plus significatif l’État hébreu a asséché ses exportations d’équipements de sécurité et de défense. Paradoxe du moment, Israël entretient à Rangoun une ambassade alors que l’Iran n’y dispose d’aucune représentation diplomatique permanente. Toutefois, cette absence de plénipotentiaire iranien résident n’est pas, à ce stade, un frein à des contacts avec les Pasdarans (Gardiens de la Révolution) et à des livraisons d’équipements militaires létaux (ex. missiles) ou de composants pour l’armement (ex. moteurs de drones).

Ce commerce se réalise en toute discrétion, sans publicité d’un côté et de l’autre. Néanmoins, des observateurs non-gouvernementaux avertis dans le transport aérien international (cf. Flighradar24) ont identifié plusieurs trajets de gros porteurs aériens ayant apportés des armes d’Iran en Birmanie depuis la fin 2021. Il n’est pas exclu que certaines de ces livraisons aient pu être opérées pour le compte d’autres fournisseurs étrangers (ex. Chine, Pakistan). La ministre des Affaires étrangères du gouvernement d’opposition birman (NUG) s’est émue de ces approvisionnements en faisant valoir, urbi et orbi, qu’ils contrevenaient à des attentes internationales et acheminaient en Birmanie des matériels rapidement employables contre des cibles civiles. Les vecteurs aériens, aujourd’hui cruciaux dans les opérations défensives et offensives de la Tatmadaw, semblent être au cœur de la relation bilatérale.

Les contacts entre les deux armées de l’air existaient déjà en 2016 – 2017.

Ils ont été initiés par le régime militaire passé. Ils se sont poursuivis du temps de l’administration civile, même s’il est plus que probable qu’en dépit du caractère extrêmement sensible du sujet la Conseillère pour l’État et ministre des Affaires étrangères Daw Aung San Suu Kyi n’ait pas été mise dans les confidences de ces rapprochements militaires. La Tatmadaw ne peut développer ses coopérations de défense qu’avec un nombre limité de partenaires étrangers. Si Moscou, Pékin, Pyongyang et aujourd’hui Téhéran constituent des interlocuteurs disposés à des coopérations sensibles dans les domaines de la défense et de la sécurité, ces échanges ne sont pas seulement des aubaines pour que la Tatmadaw lutte mieux contre des opposants volant de succès militaires en succès militaires, ils font système et constituent un rapprochement idéologique et politico-militaire pleinement assumé.

La Birmanie devient le partenaire « junior » d’un alignement adversaire aux Occidentaux

En tout état de cause, l’armée commandée par le général Min Aung Hlaing coopère avec des partenaires étrangers sulfureux. Des cadres de haut rang des Pasdarans sont venus à Nay Pyi Taw en janvier 2022.

Des livraisons d’armement depuis l’aéroport de Meshed ont été assurées à plusieurs reprises par la compagnie aérienne Qeshm Fars Air sous sanctions américaines. Le recours à un tel transporteur traduit à la fois l’internationalisation du conflit birman et l’agrégation croissante du SAC à d’autres tyrannies. Le régime militaire de Nay Pyi Taw s’enferme peu à peu dans des relations extérieures structurées par des partenariats politico-militaires avec la Biélorussie, la Chine, la Corée du nord, l’Iran et la Russie. Certes avec Téhéran, comme avec les autres capitales, de l’ex- Axe du mal chère à l’administration Bush (2005), les relations bilatérales ne se limitent pas au seul domaine de la défense mais ce dernier n’en est pas moins la colonne vertébrale. Ce ne sont pas les exportations de feuilles de thé ou de produits de la mer et les importations d’engrais qui nourriront une relance significative d’une croissance birmane aujourd’hui en berne.

Si le ministre U Than Swe avait avec lui des représentants du ministère de l’Énergie dans ses discussions avec son homologue le Dr. Ali Bagheri Kani, les débouchées coopératives, si elles se matérialisent un jour, devraient nécessiter de longues et tortueuses négociations. En attendant, ce sont deux États parias qui se rapprochent. Tous les deux font l’objet de mesures restrictives américaines, australiennes, britanniques et européennes.

Ils sont également inscrits sur la même liste noire du Groupe d’action financière (FATF) qui mène une action mondiale pour lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération. Ils partagent le même rejet de l’Occident et les valeurs des États de droit mais si la Birmanie des généraux se met à s’associer politiquement et militairement aux prémices de l’alliance renforcée entre la Chine, la Corée du Nord, l’Iran et la Russie (RICNK), le SAC va antagoniser plus que jamais ses relations extérieures.

Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 5 août 2024

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