Microfinance au Cambodge : des pratiques abusives en dépit d’obligations vertes
Accusées de pratiques de prêts abusifs, certaines institutions de microfinance au Cambodge se tournent vers les obligations vertes pour financer des projets durables. Mais les emprunteurs, déjà accablés par la dette, craignent de nouvelles menaces financières.
Au Cambodge, les institutions de microfinance, accusées de pratiquer des prêts abusifs, se tournent vers les obligations vertes, tandis que les emprunteurs, accablés par la dette et les changements climatique, luttent pour leur survie
En début de l’année, Davuth a pris du retard dans le remboursement de son prêt de microfinance. Un agent de crédit s’est rendu chez lui, presque tous les jours, dans la province de Ratanakiri. Il l’a incité à emprunter auprès de ses voisins ou à vendre ses terres agricoles, sa principale source de revenus et de subsistance.
J’ai répondu que si je vendais mes terres, qui comprennent mes cultures de noix de cajou et de manioc, je préférerais mourir.
A déclaré Davuth au mois d’août, un membre de l’ethnie kachok. Craignant des représailles, Il a demandé à ce que son nom soit changé.
Il affirme que l’agent de crédit, représentant l’institution de microfinance LOLC Cambodge, l’a menacé et intimidé jusqu’à sa première tentative de suicide en mars. Sa femme est intervenue juste à temps pour lui sauver la vie.
Davuth n’est pas le premier à faire état de telles menaces. LOLC fait actuellement l’objet d’une enquête par l’organisme de surveillance de la Société financière internationale (IFC) concernant des pratiques de prêt contraires à l’éthique, comme l’a précédemment rapporté Dialogue Earth.
Malgré ces accusation, LOLC a été sélectionnée en juin pour le programme Cambodia Sustainable Bond Accelerator, conçu pour aider à l’émission d’obligations durables sur la bourse cambodgienne. Les obligations vertes émises dans le cadre de ce programme – qui en est à sa deuxième phase – sont destinées à financer des projets tels que des centrales solaires et des bâtiments écologiques
La LOLC prévoit d’émettre des obligations de développement durable d’un montant de 50 millions d’USD pour des projets « verts » et « sociaux », avec le soutien de partenaires tels que la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie et le Pacifique (UNESCAP). L’UNESCAP , qui a déjà tenté d’alléger le fardeau de la dette des emprunteurs cambodgiens, soutient aujourd’hui les institutions mêmes qui sont accusées de l’aggraver.
L’UNESCAP s’est refusée à tout commentaire lorsque Dialogue Earth l’a contactée pour obtenir une réponse. Deux autres partenaires du programme, le Securities and Exchange Regulator of Cambodia et le Global Green Growth Institute, n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
Davuth connaît de très près les menaces environnementales qui pèsent sur les agriculteurs cambodgiens, alors que les précipitations deviennent plus imprévisibles et que les inondations et les sécheresses sont de plus en plus fréquentes. Il n’est pas optimiste quant aux récoltes de cette année. « Si le changement climatique entraîne une mauvaise récolte, je n’ai aucune idée de la manière dont je rembourserai mes prêts », a-t-il déclaré.
La microfinance a été conçue pour sortir les gens de la pauvreté. Au lieu de cela, pour Davuth et beaucoup d’autres, elle est devenue un piège. « Je suis désespéré par ma dette ; je ne peux même pas nourrir correctement ma famille », dit-il. « Tout l’argent que je gagne sert à rembourser le prêt. »
La microfinance cambodgienne : une histoire semée d’embûches
Le Cambodge a le taux d’endettement par habitant le plus élevé du monde dans le domaine de la microfinance, et des emprunteurs sont victimes de prêts abusifs dans tout le pays. Des chercheurs et des ONG ont recensé des cas où les prêteurs ont fait pression sur les emprunteurs pour qu’ils vendent leurs terres ou contractent des prêts à taux d’intérêt élevé auprès de prêteurs de leur quartier. De nombreux Cambodgiens endettés quittent leur foyer pour aller travailler dans les villes ou dans d’autres pays, tandis que les enfants abandonnent l’école et que les familles réduisent leurs achats de nourritures pour rester à flot.
Aujourd’hui, alors que les critiques s’accumulent, les institutions de microfinance changent de cap et se présentent comme des vectuer d’adaptation au changement climatique. Ce changement de cap coïncide avec une tendance plus large dans les secteurs de la finance et du développement, avec des institutions telles que les Nations unies et la Banque mondiale qui lancent des programmes d’obligations vertes. La Banque asiatique de développement, dont le fonds fiduciaire est un partenaire du programme d’accélération des obligations vertes du Cambodge, se présente comme la « banque climatique de l’Asie et du Pacifique ». Les institutions de microfinance ont saisi cette opportunité, utilisant les obligations vertes comme un nouveau moyen de financer leurs opérations, tout en s’engageant en faveur de la durabilité.
« L’agenda vert et le changement climatique ont été une sorte de coup de fouet éthique pour beaucoup de ces institutions », a déclaré Laurie Parsons, maître de conférences en géographie humaine à Royal Holloway, Université de Londres. « Elles ont pu écologiser une grande partie de leurs activités et les revendre comme une forme d’adaptation ».
Nous passons notre temps à essayer de trouver l’argent pour les rembourser… Nous sommes pris au piège.
Selon Laurie Parsons les obligations vertes émises par les institutions de microfinance pourraient alimenter certaines des mêmes pratiques de prêt abusives, y compris les menaces et l’intimidation de la part des agents de crédit.
« Comment ces institutions peuvent-elles continuer à se développer alors que chaque personne dans le pays a déjà obtenu un prêt et que nous sommes déjà le pays le plus surendetté du monde ? Je ne sais pas exactement comment ces institutions parviendront à trouver suffisamment d’adeptes sans les tactiques agressives qui ont fait leur réputation dans le cas des prêts de microfinance. »
Sreyna (un pseudonyme), une autre villageoise de la province de Ratanakiri, raconte qu’elle a été victime d’un harcèlement similaire de la part des agents de crédit de LOLC en juillet. Après avoir pris du retard dans ses paiements en raison des fortes pluies qui avaient détruit ses récoltes de soja, un agent de crédit a affiché une lettre d’avertissement sur sa maison (une pièce) , où elle vit avec son mari et ses quatre enfants. Les agents lui ont suggéré de vendre sa terre, le seul bien qui lui reste, pour couvrir sa dette.
« Ils m’ont même dit de ne plus envoyer mes enfants à l’école », continue Sreyna. « Même si je suis pauvre, je suis prête à faire des sacrifices pour leur éducation. »
Son mari, incapable de supporter la pression, a signé un nouveau prêt en juillet, plongeant la famille dans un endettement encore plus important. « Nous passons notre temps à essayer de trouver l’argent pour les rembourser », dit-elle.
Nous sommes pris au piège.
Son histoire n’est pas unique. Des agents de crédit de la LOLC ont été accusés de faire pression sur les emprunteurs pour qu’ils vendent leurs terres. Un débiteur se serait suicidé après que les agents de crédit l’ont encouragé à contracter d’autres prêts pour rembourser celui qu’il avait contracté auprès d’eux. En réponse à ces allégations, Cerise+SPTF, un organisme international de normalisation, a demandé que la certification de LOLC en matière de protection des clients soit réexaminée.
Dans un courriel, un porte-parole de LOLC Cambodge a déclaré que l’institution de microfinance dispose d’un « solide mécanisme de plaintes et d’un système d’audit interne qui n’a jamais été confronté à des accusations de cette nature ». Le porte-parole a ajouté que la Banque nationale du Cambodge et l’Association cambodgienne de la microfinance disposent également de mécanismes de plainte. « Dans ces conditions, nous avons toutes les raisons de croire que les déclarations fournies ne reflètent pas fidèlement les expériences de nos clients », a indiqué le porte-parole.
D’autres entreprises participant au programme d’obligations vertes du Cambodge sont également en proie à la controverse. Amret PLC, choisie en 2023 pour émettre des obligations de développement durable de 50 millions de dollars, fait également l’objet d’une enquête de la part de l’organe de surveillance de la SFI. Le président de la société immobilière Golden Tree Co, qui a reçu un soutien pour des obligations vertes de 25 millions de dollars, a été arrêté pour fraude en août dans le cadre d’un fonds d’investissement dont il était membre du conseil d’administration. En outre, deux entreprises du conglomérat cambodgien Royal Group, Wing Bank et Royal Group Phnom Penh SEZ, ont également reçu un soutien pour un montant collectif de 60 millions de dollars en obligations durables. Le propriétaire de Royal Group, le magnat Kith Meng, a été associé à l’exploitation forestière illégale et à la destruction de l’environnement.
Les ONG Licadho et Equitable Cambodia ont déposé une plainte auprès de l’organe de surveillance de la SFI en 2022, accusant six institutions de microfinance, dont LOLC et Amret, de s’être livrées à des pratiques de prêt prédatrices, impliquant la coercition et les menaces. L’enquête initiale de l’organe de surveillance a révélé des « indications préliminaires de préjudice » pour les emprunteurs.
Malgré les enquêtes en cours, certains responsables affirment que la finance verte offre une voie à suivre. Munho Choi, spécialiste principal de l’investissement au Credit Guarantee and Investment Facility (CGIF) de la Banque asiatique de développement, partenaire du programme d’obligations vertes, a reconnu l’existence de l’enquête, mais a déclaré que le CGIF avait décidé de participer parce que l’un de ses principaux mandats consistait à fournir des garanties pour les obligations vertes et sociales.
« L’objectif principal de ce programme est de soutenir les futures émissions d’obligations vertes ou durables au Cambodge », a-t-il déclaré. « Bien entendu, si nous fournissons la garantie, nous devons également faire preuve de diligence raisonnable sur ces questions dans le cadre de notre processus. »
Le partenaire du programme, GuarantCo, a déclaré dans un communiqué qu’il fournissait un soutien technique au renforcement des capacités et qu’il pourrait fournir une garantie de crédit pour les obligations émises « sous réserve d’une diligence raisonnable complète, d’un comité de crédit et d’autres approbations internes ». GuarantCo, financé par les gouvernements du Royaume-Uni, de la Suisse, de la Suède, des Pays-Bas, de l’Australie, du Canada et de la France par l’intermédiaire de leurs institutions de financement du développement et de diverses fiducies, n’a pas répondu à d’autres questions.
Dans un courriel, le porte-parole de l’Association cambodgienne de microfinance, Kaing Tongngy, a déclaré que l’association avait une « tolérance zéro pour toute mauvaise pratique de la part de ses membres », qui doivent se conformer à son code de conduite et à ses directives en matière de prêts. Il a ajouté que LOLC détient un certificat d’or en matière de protection des clients, ce qui démontre « son engagement à respecter les normes internationales en matière de gestion des performances sociales, y compris les principes de protection des clients ».
Certains chercheurs ont exhorté la communauté internationale du développement à réorienter le financement de la lutte contre le changement climatique vers des subventions plutôt que des prêts. Ils recommandent de financer des coopératives de crédit détenues par leurs membres ou des banques de développement communautaire publiques qui ont fait leurs preuves en matière de promotion du développement durable.
Même si le programme d’obligations vertes vise à soutenir des projets présentant des avantages environnementaux et sociaux, certains sont sceptiques quant à son potentiel d’aide. Rajom Sang, un représentant de la communauté de Ratanakiri, explique que les prêts de la microfinance ont laissé les habitants de son village criblés de dettes, les obligeant à émigrer à la recherche d’un travail mieux rémunéré. Les familles ont vendu leurs terres et réduit leur achats de nourriture.
« Si ces agences internationales financent des institutions de microfinance pour lutter contre le changement climatique, je doute que cela apporte un changement positif », a-t-il déclaré. « Si ce programme s’avère être le même [que les projets précédents], les emprunteurs seront toujours confrontés au surendettement. »
Par Leila Goldstein & Eung Sea – Dialogue Earth / Lepetitjournal.com – 21 octobre 2024
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