Hanoï en Mutation : Regard sur la Scène Queer et les Droits LGBT+ – ÉPISODE 1
Au cœur d’un Vietnam en pleine mutation, la communauté queer s’affirme progressivement. Dans une société encore largement imprégnée de traditions conservatrices, il est parfois difficile d’affirmer son identité.
Historiquement plus traditionnelle que le sud du pays, la région d’Hanoï voit artistes et organismes s’organiser pour rassembler les minorités sexuelles et de genre. Parallèlement, les récentes réformes législatives, notamment en matière de transition de genre, illustrent l’engagement du gouvernement vietnamien à soutenir les droits des LGBT+, bien que de nombreux défis demeurent.
Irina applique soigneusement de la poudre sur ses joues, puis attrape dans la foulée sa brosse à cheveux. Ce soir, elle se produira lors d’un drag show dans le quartier japonais de Hanoï, sur le rooftop R7, réputé pour son atmosphère gay-friendly. L’appartement est rempli de tenues scintillantes, de talons aiguilles vertigineux et de perruques colorées. Soudain, les lumières du salon s’éteignent. La chaleur d’août a une fois de plus mis à mal le système électrique du quartier de Tay Ho, situé au bord du lac de l’Ouest à Hanoï. Le flash du téléphone d’un ami se transforme en projecteur improvisé, et les artistes continuent de se préparer. Ce soir, tout doit être parfait.
« Les mentalités évoluent. À Hanoï, ce n’était pas vraiment populaire il y a quelques années »
Sous son nom de scène Irina, se produit dans des drag shows à Hanoï depuis plus d’un an. « Les mentalités évoluent. À Hanoï, ce n’était pas vraiment populaire il y a quelques années, les drag shows étaient encore très nouveaux. À Ho Chi Minh Ville, la scène est plus ouverte et il y a beaucoup plus de gens impliqués, avec davantage d’expérience dans le drag », explique l’artiste. Contrairement à Saigon, centre économique du pays et historiquement plus ouvert sur le monde, la scène drag est en plein essor dans la capitale.
L’ex-petit ami d’Irina était impliqué dans les communautés queer de Hanoï. « Malheureusement, il est décédé. Pour lui rendre hommage, j’ai décidé de devenir drag queen et de réaliser son rêve. C’est aussi devenu un moyen d’exprimer mon amour pour l’art queer, et de créer une forme d’art ‘iconique’ », raconte Irina. Dès son plus jeune âge, l’artiste a appris la danse classique. Son iPhone affiche 22h15, il est temps de se rendre au spectacle. « Je ne ressens jamais de pression, je suis assez préparée. Je me produis tous les week-ends depuis 11 mois maintenant. Je ne peux pas encore vivre entièrement de mon art, mais cela me permet d’avoir des revenus significatifs », confie Irina.
« Je pense que la scène drag va devenir énorme à Hanoï »
Une cinquantaine de personnes prennent place sur les toits de la ville, au-dessus du brouhaha des passants pressés et des klaxons. L’ambiance est électrique, Irina et sa ‘sœur’ donnent tout sur scène. Les acclamations fusent, les cocktails se vident. « Je me sens bien et en sécurité ici. C’est vraiment une bouffée d’air frais d’avoir des lieux comme celui-ci », se réjouit un spectateur. « Je pense que la scène drag va devenir énorme à Hanoï. Il y aura sûrement plus de maisons, pas seulement deux ou trois comme aujourd’hui. Nos performances seront plus élaborées, et nous pourrons peut-être rivaliser avec des pays comme la Thaïlande, où le drag est déjà bien établi », précise Irina.
Rapprocher les communautés et sensibiliser
Signe que la scène queer se développe d’année en année, le 22 septembre dernier, l’organisme Hanoi Pride a organisé une journée des fiertés dans un bar de la ville. Un millier de personnes ont participé à divers ateliers, conférences et projections de films. Les manifestations étant très restreintes dans la capitale communiste, les participants ont défilé à vélo avant de se retrouver au point de rendez-vous. Depuis 2011, des journées de Pride sont organisées chaque année à Hanoï. L’événement, qui a pris de l’ampleur, attire un nombre croissant de participants, soutenus par des associations comme ICS (Information Connecting and Sharing), l’une des plus importante au Vietnam.
Le nord du Vietnam est réputé pour être l’une des régions les plus conservatrices du pays. À Hanoï, le regard des passants et les brimades à l’encontre des communautés queer restent une réalité, bien que, selon Irina, « la majorité des discriminations proviennent des personnes âgées ».
« Nos réseaux ont été une bouée de sauvetage pour beaucoup de personnes queer »
Depuis 2015, l’association non gouvernementale Hanoi Queer crée des espaces de parole et des activités communautaires dans la ville. Très active sur les réseaux sociaux, Ha, représentante de l’organisme, commente : « Nos réseaux ont été une bouée de sauvetage pour beaucoup de personnes queer, surtout pour celles vivant dans des zones rurales ou conservatrices, où elles ne peuvent pas être elles-mêmes ouvertement. Grâce aux réseaux sociaux, elles peuvent se connecter avec des communautés en ligne, trouver du soutien, s’exprimer et se sentir moins isolées. Cela a également permis à des personnes queer de partager leurs histoires, leurs victoires et leurs défaites ainsi que de sensibiliser et de défier les stéréotypes en montrant la diversité des expériences queer. » Sur Facebook, l’association compte 24 000 abonnés.
« Il n’y a pas beaucoup d’endroits spécifiquement identifiés comme des lieux de soutien pour les personnes queer à Hanoï. Peu de bars ou cafés gay accueillent spécialement ces communautés. Nous organisons des événements, des ateliers et des projets pour créer des espaces sécurisés où les gens peuvent librement exprimer leur identité », explique Ha, membre d’Hanoi Queer. Selon elle, le manque d’éducation et de sensibilisation sur les questions LGBT+ freine la compréhension des enjeux. Avant la pandémie de Covid-19, le collectif organisait des rencontres hebdomadaires dans un petit appartement de la capitale. « La pandémie a mis fin à nos activités régulières, mais nous nous concentrons désormais sur des projets culturels », précise Ha.
L’organisme travaille actuellement sur un projet intitulé « Croissance des LGBT », qui se concentre sur les perspectives des personnes queer à l’âge adulte et sur leurs expériences durant l’enfance. En 2022, avec le soutien d’historiens vietnamiens, l’association a publié une série de travaux sur la place des personnes LGBT+ dans l’histoire du Vietnam. L’exposition Il était une fois, qui a duré six jours à Hanoï, a attiré près de 1000 visiteurs et suscité plus de 40 000 interactions sur les réseaux sociaux. L’émergence d’événements liés aux questions LGBT+ est relativement récente dans l’histoire contemporaine du Vietnam. Le gouvernement vietnamien s’engage, année après année, à valoriser les droits des personnes LGBT+.
Dans le prochain épisode de la semaine prochaine, nous reviendrons sur la place des communautés LGBT dans l’histoire du Vietnam et sur les récentes avancées du gouvernement en matière de droits.
Par Guillaume Marchal – Lepetitjournal.com – 20 novembre 2024
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