Décès du père François Ponchaud, témoin et acteur de l’histoire cambodgienne
Le père François Ponchaud, figure emblématique du Cambodge contemporain, s’est éteint. Défenseur des droits de l’homme et témoin clé des atrocités des Khmers rouges, il a œuvré pour la justice, la foi et la réconciliation.
Le père François Ponchaud vient de nous quitter, laissant derrière lui un héritage exceptionnel qui a marqué l’histoire contemporaine du Cambodge. Figure emblématique et infatigable défenseur des droits de l’homme, il a consacré sa vie au service de la vérité et de la réconciliation.
Né en 1939 à Sallanches en Haute-Savoie, en Savoie, France, François Ponchaud rejoint les Missions Etrangères de Paris (MEP) et arrive au Cambodge en 1965. Profondément touché par les drames traversés par le peuple cambodgien, il devient un témoin privilégié et un analyste perspicace de la période des Khmers rouges. Son ouvrage phare, Cambodge année zéro (Julliard 1977), est l’une des premières sources occidentales à exposer au monde les atrocités du régime de Pol Pot (source : Cambodge année zéro).
« Je ne pouvais pas rester silencieux sur ce que j’avais vu et ce qu’avaient fait les Khmers rouges. Ce n’était pas par souci idéologique, mais simplement parce que ce qui était relaté était faux, »
nous a-t-il confié en 2021.
Le 15 septembre 1978, il déposa son témoignage à la Commission internationale des droits de l’homme de l’ONU.
Concernant les CETC, les tribunaux des Khmers rouges établis à Phnom Penh, le père Ponchaud saluait les efforts de justice tout en soulignant leurs limites. « Ces procès sont indispensables pour la mémoire collective, mais ils doivent avant tout servir à réconcilier une nation brisée, » déclarait-il en 2010. Il regrettait toutefois que ces tribunaux peinent à inclure un plus grand nombre de responsables et que la portée éducative des audiences reste limitée au Cambodge rural.
Pendant des décennies, il s’est engagé dans la reconstruction du tissu social et religieux au Cambodge. Il a joué un rôle déterminant dans la traduction de la Bible en khmer, offrant ainsi aux fidèles une ressource précieuse pour leur foi. Sa contribution ne s’est pas limitée au domaine religieux : il a également milité pour l’éducation, la justice sociale et la protection des plus vulnérables.
François Ponchaud était reconnu pour son franc-parler et sa capacité à aborder les sujets les plus sensibles avec intégrité et compassion. Sa mauvaise humeur cultivée n’a rien enlevé à son engagement en faveur de la paix et de la compréhension interculturelle restera un exemple pour les générations futures.
Il en subsistera particulièrement ses ouvrages tels que Cambodge année zéro (1977), La cathédrale de la rizière : 450 ans d’histoire de l’Église au Cambodge (1990), Brève histoire du Cambodge (2018), 16 conférences sur le bouddhisme et Ensemble à la recherche de la lumière pour ne citer que les publications en langue française. Il faudrait ajouter à cette liste les livres dont il est le sujet principal : Prêtre au Cambodge : François Ponchaud, l’homme qui révéla au monde le génocide (1999) et L’Impertinent du Cambodge : Entretiens avec Dane Cuypers (2013). Le père Ponchaud a également préfacé de nombreux ouvrages dont L’Abnégation de ma Cambodgienne (2020) et Une Vie avec les ouvriers du Cambodge (2022) pour ne citer que les derniers.
Père Will Conquer, prêtre Franco Américain, arrivé au Cambodge en 2019. lui aussi envoyé en mission par société des Missions Étrangères, nous confie à propos du père Ponchaud :
« Dans l’histoire du Cambodge, peu d’étrangers et encore moins de Français, laisseront une telle empreinte, quand bien même discrète.
Le père Bouillevaux aura été à l’origine de la redécouverte internationale d’Angkor Wat, Monseigneur Miche aura permis le rétablissement des frontières du Cambodge et la réintégration des provinces de Siemreap, Battambang et Sisophon et le père Ponchaud ?
Il a crié dans le désert alors que le Cambodge menaçait d’être englouti par les ténèbres. Premier étranger à rendre compte de l’atrocité des Khmers rouges, il n’aura de cesse de défendre la dignité de ceux dont la vie était bafouée. Il a crié pour ceux qui par l’offrande de toute sa vie, au nom de Dieu, il a voulu aimer. Aimé jusqu’à parfois s’en énerver. Le père Ponchaud comme tout prophète était un écorché vif remonté contre les injustices du monde et ses propres contradictions.
Comme disaient les fondateurs de la société des Missions étrangères, voici le pont commencé. Et ce pont, 360 ans après sa fondation, est encore chaud (Spien-kdau, était son surnom). François Ponchaud a été ce pont entre la France et le Cambodge, entre chrétiens et bouddhistes, entre le passé et demain. En 2019, ce doyen m’a accueilli ici comme benjamin malgré toutes nos différences et tous nos désaccords, nous avions en commun l’amour de ce pays et surtout la foi, cette foi qui nous a sauvés.
Merci François, et pardon, et à bientôt. »
Le Petit Journal du Cambodge adresse ses sincères condoléances à sa famille, à ses proches et à tous ceux qui ont eu le privilège de croiser son chemin. Sa disparition laisse un vide immense, mais son œuvre et son esprit continueront d’inspirer.
Yann Defond a contribué à la rédaction de cet article
Par Raphaël Ferry – Lepetitjournal.com – 18 janvier 2025
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