Une ville « mirage » en Birmanie cache des centres d’escroquerie en ligne au profit de mafieux chinois
Une équipe de la BBC a pu entrer à Shwe Kokko, une ville qui a émergé « comme un mirage », dans le sud-est de la Birmanie ? Des casinos et hôtels de luxe ont été construits mais la ville est accusée d’avoir été fondée sur l’escroquerie, de blanchiment d’argent et de trafic d’êtres humains.
Shwe Kokko, ville « mirage » en Birmanie : La guerre ravage le pays depuis quatre ans maintenant. La junte birmane a encore visé des civils, cette semaine, bombardant un camp de déplacés, alerte le journal birman Irrawaddy; et tuant au moins 8 civils, dont des enfants. Dans le chaos de la guerre, les trafics prospèrent comme le montre cette « ville étrange, comme il y en a peu sur terre », prévient d’emblée le journaliste de la BBC qui a été invité à se rendre à Shwe Kokko, une ville birmane, près de la frontière avec la Thaïlande.
« Il y a huit ans, il n’y avait rien dans l’État Karen. Juste des arbres, quelques bâtiments en béton de construction sommaire », précise la BBC, mais aujourd’hui, les gratte-ciels s’élèvent à perte de vue, des casinos, des hôtels de luxe ont émergé ; presque « un mirage », admet la BBC, dans un pays où la misère a empiré à cause de la guerre civile. « Shwe Kokko ressemble à une ville de province de Chine, avec des adresses et de noms de bâtiments, écrits en chinois. Pourtant, nous ne sommes pas en Chine, mais dans l’Etat Karen », dans le sud-est de la Birmanie, précise le journaliste de la BBC, « l’une des régions les plus pauvres et les plus isolées d’Asie, où les insurgés ont pris les armes contre la junte.
Alors pourquoi une entreprise chinoise, Yatai, a-t-elle choisi d’y construire la ville de Shwe Kokko, avec un projet de 15 milliards de dollars comprenant des casinos et des villas luxueuses ? Ses détracteurs affirment que c’est pour y cacher des centres d’escroquerie, du blanchiment d’argent et du trafic d’êtres humains », explique le journaliste de la BBC, depuis cette ville birmane où les constructions se poursuivent. « Le patron de l’entreprise Yatai, d’ailleurs, croupit actuellement dans une prison en Thaïlande, en attente d’une extradition vers la Chine. Pékin accuse She Zhijiang d’être le cerveau d’une organisation criminelle.
Les escroqueries en ligne se poursuivent, malgré les dénégations officielles : Les proches de She Zhijiang, qui gèrent la ville birmane de Shwe Kokko veulent redorer leur image, liée à la cybercriminalité, dans l’espoir que des reportages plus favorables pourraient même permettre à She Zhijiang de sortir de prison, explique la BBC. L’entreprise Yatai qui a constuit la ville a donc invité la BBC à parcourir les rues nouvellement pavées, en entrant dans des casinos flambant neufs, mais finalement vides, où seules des hôtesses sont autorisées à être vues par la caméra du média public britannique. A chaque plan, ou presque, d’ailleurs, du reportage la présence intimidante de policiers en tenue noire, des officiels qui encadrent cette visite. Jonathan Head, le journaliste de la BBC, n’a pas pu librement circuler dans la ville de Shwe Kokko mais des habitants, sous couvert d’anonymat, ont confié que la criminalité et les arnaques en ligne se poursuivaient, malgré les dénégations officielles. D’ailleurs, le journaliste de la BBC s’interroge sur la présence de barreaux, visibles derrière les fenêtres de certains bâtiments.
Ces escroqueries sont devenues un business de plusieurs milliards de dollars
Cybercriminalité à l’échelle mondiale : Ces arnaques et escroqueries en ligne permettent désormais aux criminels transnationaux, aux mafias chinoises, notamment, d’empocher des milliards de dollars par an. Elles « impliquent des milliers de travailleurs de Chine, d’Asie du Sud-Est, d’Afrique et du sous-continent indien », énumère la BBC. « Souvent attirés par la promesse d’emplois bien rémunérés ou d’autres opportunités alléchantes, les travailleurs sont retenus contre leur gré et contraints de commettre des fraudes en ligne dans des locaux fortement surveillés, où d’anciens détenus affirment que les coups et la torture sont monnaie courante », ajoute CNN. Une jeune femme a indiqué à la BBC que son travail consiste « à faire partie d’une équipe de mannequins chargées de nouer une relation intime, en ligne, avec des personnes âgées », pour leur soutirer de l’argent, au fil du temps.
Des Chinois de plus en plus ciblés pour être envoyés dans les centres d’escroquerie en Birmanie : Le mois dernier, un acteur chinois avait été sauvé d’un centre d’escroquerie à la frontière, après avoir été attiré en Thaïlande par une offre de travail sur un tournage de film puis enlevé et emmené jusqu’en Birmanie. « Sa disparition avait suscité une avalanche de questions sur les réseaux sociaux chinois, obligeant les autorités thaïlandaises et chinoises à lancer une opération conjointe pour le libérer. », rappelle la BBC. Nous en avions d’ailleurs parlé ici même. Par crainte de tomber dans les griffes de cybercriminels en Birmanie, ajoute le New York Times, de Chinois annulent leurs voyages en Thaïlande : 20 à 30 % des vols annulés, estime Thai PBS, la radio publique thaïlandaise. Pour augmenter, encore, leur profit, les réseaux semblent cibler, désormais, les célébrités, rapporte le journal chinois Global Times, afin d’obtenir une rançon substantielle pour libérer leurs victimes.
Lutte encore inefficace de la part des autorités en Birmanie, Thaïlande et Chine : La Chine a déjà promis de « mener des efforts régionaux » pour lutter contre les escroqueries en ligne et autres activités criminelles transnationales, note The Diplomat. Le magazine spécialisé dans la couverture de l’Asie – Pacifique et CNN relaient également des sanctions venues de Thaïlande : les autorités ont suspendu l’électricité, Internet et l’approvisionnement en carburant vers trois provinces birmanes voisines, où sont établis des centres d’arnaque en ligne. Ces mesures ont été annoncées alors que la Premiere ministre thailandaise se rende en Chine, visite d’Etat au cours de laquelle elle devrait discuter des efforts de lutte contre les escroqueries avec Xi Jinping. Mais « une vue de la ville de Shwe Kokko à Myawaddy, mercredi soir, montre qu’environ 40 % des lumières normalement visibles étaient éteintes », écrit le Bangkok Post. « Les hommes d’affaires ont de l’argent pour acheter des générateurs d’électricité et travailler pour leurs entreprises. Mais nous, les pauvres du coin, nous ne pouvons pas nous permettre d’acheter des générateurs », regrette un habitant auprès de CNN.
Par Catherine Duthu – Radio France Culture – 7 février 2025
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