Le Vietnam et l’encombrant voisinage de la Chine
La croissance économique rapide du Vietnam lui confère une importance nouvelle sur la scène internationale. D’autant que le pays met en œuvre une diplomatie subtile qui favorise un multilatéralisme au service de ses intérêts nationaux. Il ménage les États-Unis et les puissances occidentales d’un côté, mais aussi, de l’autre, la Chine, son grand voisin, et profite ainsi pleinement de la rivalité sino-américaine. Mais des défis régionaux risquent d’enrayer sa montée en puissance…
Le Vietnam, pays longiligne étiré sur 1 650 km à vol d’oiseau et entouré par la mer de Chine méridionale (ou mer de l’Est) sur 3 260 km de côtes, occupe une position centrale en Asie du Sud-Est. Situé au carrefour des mondes indien et chinois et au large d’une des plus importantes routes maritimes mondiales, il compte près de 100 millions d’habitants et est toujours dirigé par un parti unique marxiste-léniniste, le Parti communiste vietnamien (PCV), né de la lutte anticoloniale et de trente ans de guerre.
À la faveur de la transition de la planification vers une économie de marché entamée au milieu des années 1980, puis de son adhésion à l’Asean (1995) et à l’OMC (2007), le pays s’impose aujourd’hui comme un acteur régional incontournable de la mondialisation.
Toutefois il apparaît de plus en plus exposé aux risques systémiques, à commencer par celui que constitue l’extension de la sphère d’influence de la Chine, avec laquelle le Vietnam a entretenu alternativement, au cours de l’histoire, des phases de coopération et de confrontation. Les deux pays partagent une frontière terrestre de 1 450 km que des troupes chinoises ont, au long des siècles, franchie à plusieurs reprises.
Fort de son expérience historique au contact de la Chine, mais conscient de l’affaiblissement des Occidentaux dans la région, le Vietnam, sans s’aligner complètement sur Pékin, prend acte de l’évolution du rapport de force dans la région et adapte en conséquence une position d’équilibre.
Le Vietnam et la rivalité sino-américaine : un dilemme stratégique
Acteur régional majeur dans la division internationale du travail, le pays dispose de 44 ports, d’une main-d’œuvre compétitive et qualifiée et d’une position géographique centrale en Asie du Sud-Est.
Il est, en outre, le deuxième pays de l’Asean en termes d’attraction des investissements directs étrangers. Son économie, en pleine expansion, se caractérise par son internationalisation, sa littoralisation et sa maritimisation, ce qui l’expose fortement aux aléas de l’économie mondiale.
Le Vietnam profite grandement, depuis les années 2010, de la recomposition des chaînes de valeur en Asie et, spécialement, des stratégies de redéploiement des entreprises multinationales hors de Chine (son premier partenaire commercial et deuxième marché d’exportation).
Toutefois, si la guerre économique sino-américaine a pu profiter aux exportations vietnamiennes vers le pays de Donald Trump, qui ont bondi de 36 % en 2019, elle risque à court terme d’exposer le pays aux sanctions des États-Unis (son deuxième partenaire commercial et son premier marché d’exportation) à cause du rôle important qu’il occupe dans les chaînes de valeur chinoises, et cela d’autant plus que la diplomatie de Washington a désormais à sa tête le très anticommuniste Marco Rubio, connu pour ses positions particulièrement fermes vis-à-vis de Pékin.
Jusqu’à présent, le Vietnam a évité de choisir un camp dans le cadre de la rivalité sino-américaine. Il refuse d’entretenir un rapport ouvertement et exclusivement conflictuel avec Pékin, et privilégie une « diplomatie Facebook », c’est-à-dire la multiplication des « amis ». Cette position, initiée dès les années 1990, vise à préserver les intérêts nationaux tout en privilégiant le multilatéralisme via la « diplomatie du bambou » (plante ferme à la base et flexible au bout).
Fidèle au principe des « trois non » (pas d’alliance formelle, de base militaire étrangère, pas de dépendance vis-à-vis d’autres pays en matière de défense), le Vietnam œuvre, d’une part, à son rapprochement avec les États-Unis et, d’autre part, au maintien de mécanismes de coopération avec la Chine sur fond de conflits territoriaux en mer de Chine méridionale.
Un « vassal encombrant » mais nécessaire pour Pékin
Ne considérant pas comme une menace sérieuse l’éventualité d’un conflit ouvert avec la Chine, même au sujet des îles Paracels et Spratleys en mer de Chine méridionale, qui sont comprises dans le territoire revendiqué par Pékin (« la langue de bœuf »), Hanoï tente plutôt de s’imposer comme un médiateur dans la région Indo-Pacifique tout en s’accommodant de son voisin septentrional, comme il l’a fait tout au long de son histoire.
Néanmoins, face au recul des Occidentaux dans la région et au poids grandissant de la Chine, le Vietnam s’est rapproché de cette dernière au cours des trois mandats (2011-2024) du secrétaire général du PCV, Nguyen Phu Trong, aujourd’hui décédé. D’ailleurs, son successeur, To Lam (ancien ministre de la Sécurité publique), a choisi de se rendre en Chine pour sa première visite officielle à l’étranger, du 18 au 20 août 2024.
Durant son histoire, le pays s’est construit avec et contre la Chine (l’actuel nord du Vietnam a été intégré à l’empire du Milieu entre -111 et 939). Aujourd’hui, Hanoï est considéré par Pékin comme un « vassal encombrant », mais il constitue une pièce essentielle de l’hégémonie chinoise en Asie du Sud-Est.
Le dispositif d’influence chinoise dans la région, qui repose sur la réactivation de grands thèmes confucéens et sur un puissant nationalisme culturel associés à des mécanismes de financement et à des politiques de développement (les Nouvelles routes de la soie), participe du retour de la Chine dans son ancien pré carré indochinois. D’après la base de données AidData, entre 2001 et 2021, on dénombrait 417 projets chinois au Cambodge, 347 au Laos et 191 au Vietnam.
Dans le même temps, tout en veillant à ne pas envoyer de signaux de défiance à son grand voisin, le Vietnam développe des relations bilatérales avec des pays occidentaux (comme le partenariat stratégique global signé avec la France en 2024) et asiatiques (comme l’Inde ou les Philippines).
Conscients du risque que la montée en puissance de la Chine, notamment sa stratégie du « collier de perles », fait peser sur la sécurité régionale, l’Inde et le Vietnam ont initié, depuis 2015, de nombreux accords en matière de défense et d’énergie nucléaire. Le rapprochement depuis 2010 avec les Philippines est quant à lui plus atypique. En effet, Manille a longtemps entretenu des différends avec Hanoï au sujet des îles Spratleys, mais elle multiplie désormais les liens bilatéraux avec le Vietnam, particulièrement en ce qui concerne la sécurité en mer de Chine méridionale.
L’enjeu du Mékong
Le Vietnam et ses voisins indochinois, le Laos et le Cambodge, conscients de leur relation asymétrique avec Pékin –, tentent de négocier avec ce dernier tout en défendant leurs intérêts nationaux. Si les trois pays ne sont pas égaux face à l’hégémonie chinoise, tous perçoivent Pékin comme une source de menaces mais aussi d’opportunités. Une ambiguïté que reflète, par exemple, le cas du Mékong.
Ce fleuve, qui traverse six pays (Chine, Myanmar, Thaïlande, Vietnam, Laos, Cambodge), cristallise un certain nombre de tensions. Les barrages hydroélectriques – onze sur le cours supérieur en Chine (le Lancang), onze sur le cours inférieur et 120 sur les affluents –, modifient considérablement son débit, ce qui entraîne d’importantes conséquences socio-écologiques.
Plusieurs structures multinationales à compétence régionale sont chargées des enjeux de gouvernance du Mékong. La coopération Lancang-Mékong (LMC), entre autres, contrôlée par Pékin, qui l’a créée, est utilisée par cette dernière afin de mettre en œuvre une diplomatie de l’« amitié entre voisins », notamment par le biais de généreux prêts octroyés aux pays de la péninsule indochinoise. La Chine utilise également la LMC comme une arène privilégiée de discussion avec ses voisins, qui lui permet d’occuper un rôle central de la fabrique du consensus en Asie du Sud-Est continentale.
Le Mékong est aussi un sujet de crispation entre les autorités vietnamiennes et leurs homologues au Cambodge, depuis que l’État concessionnaire et prébendier cambodgien – largement acquis à la cause chinoise – a lancé en août 2024 les travaux du canal Funan Techo qui vise à dévier les eaux du Mékong pour renforcer le réseau des Nouvelles routes de la soie. Ce canal de navigation du fret, financé et construit par la Chine sur le modèle de la concession, devrait relier au sein du territoire cambodgien, le port autonome de Phnom Penh et la province côtière de Kep, tout en évitant le Vietnam.
Ce canal permettrait à terme d’acheminer les matériaux nécessaires à l’installation militaire chinoise dans la base navale de Ream, située à proximité de Sihanoukville. Outre les conséquences économiques liées à la diminution du fret vers le Vietnam, Hanoï s’inquiète également des effets environnementaux que cette infrastructure engendrera dans le delta.
Par Yves Duchère – The Conversation – 12 février 2025
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