Laos : une meilleure sécurité foncière pour les communautés forestières
En 2024, l’Assemblée nationale du Laos a adopté une résolution visant à renforcer la sécurité foncière des communautés vivant dans les zones classées forestières du pays. Elle permet la reconnaissance de leurs droits fonciers et leur donne la possibilité d’obtenir des titres ou des certificats d’usage des terres. Cette décision devrait avoir un impact positif pour plus de 3 000 villages.
Le projet Mekong Region Land Governance (MRLG)[1], mis en œuvre par le Gret et Land Equity International (LEI), a travaillé activement avec le gouvernement du Laos pour améliorer la sécurité foncière des agriculteur·rice·s. Dans cette interview, Antoine Deligne, chef de projet au Gret et coordinateur du MRLG, revient sur cette avancée majeure et sur les défis qui restent à relever pour garantir un accès sécurisé aux terres.
Quels sont les enjeux liés à l’accès à la terre pour les communautés vivant dans les zones forestières du Laos ?
La majorité des agriculteur·rice∙s et des villageois·e∙s ne possèdent pas de titres, certificats ou documents attestant de leurs droits fonciers. Ceux qui vivaient dans une zone classée forestière, ne pouvaient pas obtenir ces documents légalement.
Qu’est-ce qu’une zone classée forestière ?
Afin de protéger et de conserver les forêts, le gouvernement s’est fixé pour objectif de classer 70 % du territoire national comme « terres forestières », indépendamment de la couverture forestière actuelle, le but étant que cette dernière augmente progressivement.
Comment cette résolution a-t-elle été adoptée ?
C’est le fruit d’un processus. En 2018, le gouvernement a engagé une révision de la loi foncière. En 2019, l’Assemblée nationale a modifié le texte pour préciser que les droits fonciers des habitant·e∙s des zones forestières devaient être sécurisés et reconnus officiellement. Cependant, un problème persistait : la loi foncière prévoyait cette reconnaissance, mais la loi forestière disait le contraire, et aucun mécanisme ne permettait de mettre en œuvre cette disposition.
La résolution de l’Assemblée nationale votée en 2024 avait donc pour but de clarifier que des titres fonciers et certificats d’usage pourraient effectivement être délivrés aux personnes occupant des terres forestières depuis longtemps, à des fins agricoles ou résidentielles.
Quel rôle a joué le MRLG ?
Le MRLG a commencé par travailler avec le Département des terres du Ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement afin de tester différentes approches. Un projet pilote a été mis en place pour enregistrer officiellement l’usage permanent des terres pour des agriculteur·rice∙s et villageois·e∙s dans plusieurs types de zones classées forestières. Mais malgré l’indentification et le mesurage des parcelles, le ministère ne pouvait pas délivrer de titres fonciers, car la loi ne l’autorisait pas.
Nous avons alors travaillé avec le ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement et celui de l’Agriculture et des Forêts pour trouver une solution. Deux options étaient sur la table : retirer ces zones du classement forestier, ou bien modifier la loi foncière pour permettre l’émission de titres fonciers en zone classée forestière. La résolution adoptée en mai 2024 a permis de modifier la loi foncière : ces zones restent classées comme terres forestières, mais il est maintenant possible d’y attribuer des titres fonciers et certificats d’usage, selon des critères spécifiques.
Concrètement, qu’est-ce que cette résolution va changer ?
L’insécurité foncière est un problème majeur au Laos, notamment en raison des projets d’infrastructure et de développement – mines, barrages hydroélectriques -, des investissements privés en agriculture commerciale et de l’expansion des aires protégées.
Sans titre foncier, les villageois·e·s sont vulnérables à l’expropriation et n’ont aucun recours juridique solide. En cas de conflit, posséder un titre foncier leur permet de négocier, demander une compensation ou engager une action en justice.
Par ailleurs, la sécurisation des terres facilite les projets de développement, car elle apporte de la clarté sur les droits fonciers. Enfin, un titre foncier permet d’accéder à des prêts bancaires, la terre pouvant désormais servir de garantie.
Quels défis restent à relever ?
L’un des principaux défis est la mise en application effective de la résolution. Le MRLG travaille actuellement avec le Département des terres pour élaborer des directives opérationnelles sur l’enregistrement des terres et l’attribution des titres et des certificats.
Un autre enjeu crucial concerne la reconnaissance des droits collectifs sur les terres forestières et les zones de culture itinérante. Des outils fonciers complémentaires, comme le “Contrat de protection et de conservation de la gestion forestière villageoise”, signé entre un village ou un groupe d’agriculteur·rice∙s et le Département des forêts, pourraient permettre d’assurer une meilleure reconnaissance des droits des communautés.
Enfin, il sera essentiel de suivre l’impact de cette résolution sur la conservation des forêts et la biodiversité.
[1] Le MRLG est un projet collaboratif visant à protéger les droits fonciers et à promouvoir le développement durable dans la région du Mékong. Il est mis en œuvre par Land Equity International (LEI) en partenariat avec le Gret et soutenu par la Deutsche Gesellschaft fűr Internationale Zusammenarbeit (GIZ).
Gret.org – 4 mars 2025
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