La junte au pouvoir projette la tenue d’élections sur fond de violence
La junte qui a pris le pouvoir en Birmanie en 2021 par un coup d’État projette de tenir des élections alors qu’elle a perdu le contrôle de vastes pans du territoire.
L’annonce du scrutin, prévu en décembre 2025 ou en janvier 2026 selon des médias d’État, est accueillie avec scepticisme par de nombreux analystes.
La directrice adjointe pour l’Asie de Human Rights Watch, Bryony Lau, a indiqué en entrevue lundi que des élections dans le contexte actuel ne pourraient d’aucune manière s’avérer « libres et équitables ».
Les groupes armés qui combattent les militaires dans plusieurs régions du pays ont gagné « beaucoup de terrain » au cours de la dernière année, limitant la portée éventuelle de toute consultation populaire.
Selon une récente étude de la BBC, la junte contrôle pleinement 21 % du territoire national comparativement à 42 % pour les factions armées opposées, le tiers restant étant disputé.
Les limites du contrôle gouvernemental ont été mises en relief à la fin de l’année dernière par la tenue d’un recensement ayant permis de couvrir moins de la moitié du pays.
L’opposition dissoute
La situation des partis d’opposition est un autre facteur empêchant la tenue d’élections crédibles, relève Mme Lau.
« La junte affirme que plus d’une cinquantaine de partis participeront à l’élection, mais ce sont des formations alignées sur les militaires », note-t-elle
Les véritables partis d’opposition ont été dissous depuis le coup d’État, y compris la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi.
La lauréate du prix Nobel de la paix, qui avait remporté avec sa formation les élections de 2015 et de 2020, a été condamnée après le coup d’État à plus de 30 ans de prison lors de procédures jugées « absurdes » par Amnistie internationale.
Le « gouvernement d’unité nationale » qui a été constitué informellement par des élus déchus, des acteurs de la société civile et des leaders de groupes armés a déjà décrié l’idée d’élections organisées par les militaires.
L’International Crisis Group (ICG) affirmait récemment, en écho aux mises en garde de Human Rights Watch, qu’il est difficile d’imaginer comment la junte pourrait organiser autre chose dans le contexte actuel que des élections « Potemkine » devant servir à des fins de propagande.
L’annonce selon laquelle la junte entend inviter des observateurs de Biélorussie pour témoigner de la qualité du processus ajoute au scepticisme.
Le dirigeant du pays, Alexandre Loukachenko, est un dictateur prorusse qui a récemment remporté un septième mandat d’affilée lors d’une élection décriée.
La Chine maintient son soutien
Bien que le scrutin en Birmanie ait peu de chances de conférer la moindre légitimité internationale à la junte, il est vu d’un bon œil par la Chine, qui demeure l’un des principaux alliés des militaires.
Le sujet a notamment été discuté en novembre lors d’une visite en Chine du général Min Aung Hlaing, qui a concentré le pouvoir entre ses mains.
Selon l’ICG, le gouvernement du président chinois Xi Jinping juge le dirigeant birman « peu compétent » et souhaite utiliser le scrutin pour réduire son pouvoir tout en évitant de faire basculer le pays dans le chaos.
Jason Tower, un spécialiste de la Birmanie rattaché au United States Institute for Peace, notait dans une récente analyse que Pékin avait intensifié ses pressions en soutien à la junte l’année dernière après que des groupes armés avaient pris le contrôle d’une région importante du Nord-Est, près de sa frontière.
L’analyste relève que la Chine a demandé en contrepartie au régime de changer les lois en vigueur pour permettre le déploiement d’agents de sécurité chinois qui seraient chargés de protéger directement ses investissements dans le pays.
Le général Min Aung Hlaing, note M. Tower, pourrait libérer du même coup une partie de ses effectifs militaires. Il courrait cependant le risque que les forces chinoises déployées sur place agissent éventuellement d’une manière contraire à ses intérêts.
Frappes aériennes
En attendant d’hypothétiques élections, les militaires continuent de frapper agressivement les zones contrôlées par les groupes armés en Birmanie en profitant de l’avantage que leur confère le contrôle des airs, note Mme Lau. La population paie un « lourd prix » pour ces attaques, qui visent à la fois à punir les civils et à forcer leur déplacement pour décourager d’autres offensives.
Les frappes continuent parce que la junte réussit malgré les sanctions en place à s’approvisionner à l’étranger, y compris pour acquérir du combustible, note l’analyste, qui presse la communauté internationale de serrer la vis aux militaires.
Selon les Nations unies, les combats ont fait en quatre ans plus de 6000 victimes civiles et forcé le déplacement de plus de 3 millions de personnes.
Environ 20 millions de personnes, soit plus du tiers de la population du pays, ont aujourd’hui besoin d’aide humanitaire pour survivre.
Par Marc Thibodeau – Lapresse.ca – 11 mars 2025
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