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Une photographe genevoise sur les traces du génocide cambodgien

Une ancienne déléguée du CICR retourne sur les lieux de sa première mission au Cambodge en 1989. Un travail de mémoire qui s’intéresse au massacre qui a fait 1,8 million de victimes dans les années 70.

Ce 17 avril marque les cinquante ans de la chute de Phnom Penh et du début du génocide cambodgien. Le régime de terreur des Khmers rouges a décimé 1,8 million de personnes, soit près d’un quart de la population, en trois ans, huit mois et vingt jours. Seuls deux dirigeants khmers ont été condamnés par un tribunal.

Sylvie Léget, photographe genevoise, est revenue en 2022 sur les traces d’une mission humanitaire qu’elle avait effectuée au Cambodge en 1989 avec le CICR. Envoyée à l’époque en tant qu’attachée de presse, elle s’est penchée sur la mémoire et les images mentales qui se confrontent à la réalité.

«Cette mission humanitaire a été fondatrice pour mon travail, relate Sylvie Léget. Elle m’a permis de repartir sur le terrain de l’imaginaire, sur le fantasme véhiculé par mon père, qui voyageait très souvent dans la région.»

Avant son départ en mission en 1989, la photographe s’était nourrie de lectures et de films, comme «La Déchirure», qui raconte les derniers jours avant la chute de Phnom Penh, le 17 avril 1975. «Lorsque je suis arrivée, la ville était extrêmement vide.» À l’époque, la Croix-Rouge logeait son personnel dans un hôtel mythique, celui qui avait abrité les derniers occidentaux restés sur place, notamment le journaliste du «New York Times» Sidney Schanberg et son fixeur Dith Pran. Leur histoire a d’ailleurs inspiré le film «La Déchirure», sorti en 1984 au cinéma. Un journaliste qu’elle a d’ailleurs eu la chance de croiser à Phnom Penh.

Fragilité de la mémoire

«Parmi les Occidentaux qui avaient décidé de rester jusqu’au bout se trouvait également le chef de délégation de la Croix-Rouge, André Pasquier, qui voulait poursuivre son travail de protection jusqu’au bout. Tous se sont ensuite réfugiés à l’ambassade de France.» Sylvie Léget retourne une troisième fois au Cambodge en octobre 2024 pour poursuivre son travail, grâce au soutien de la Ville de Genève. Comme le CICR à l’époque, elle loge à l’ambassade de France, invitée par des connaissances. «Une sorte de résidence informelle. Je souhaitais livrer un récit sur la fragilité de la mémoire.»

Cette succession de coïncidences a inspiré la photographe genevoise. Durant sept semaines, elle arpente le pays sur les traces du régime totalitaire gouverné par Pol Pot qui a décimé un quart de la population par des exécutions sommaires, la famine, le travail forcé ou la maladie. Elle se déplace en voiture ou en bus, accompagnée d’une fixeuse et d’un chauffeur. «En parlant avec les gens, j’ai tenté de comprendre ce qui s’était passé. J’avais beaucoup lu et pensais bien connaître le génocide, mais je me suis rendu compte qu’il reste encore de nombreuses parts d’ombre.»

Fosses communes

La photographe tente de retrouver les stigmates des crimes de masse et des exécutions. Les familles rencontrées se livrent et partagent leur histoire. Elle parvient à identifier des lieux où des fosses communes ont été creusées. «De nombreux jeunes ont encore de la peine à y croire, ils n’ont pas toujours conscience des centaines de milliers de victimes que cette guerre civile a faites. Différentes structures effectuent un travail de mémoire auprès d’eux depuis une quinzaine d’années seulement, c’est récent pour un génocide qui a eu lieu voilà cinquante ans.»

Durant son séjour, Sylvie Léget se rend plusieurs fois au musée du génocide Tuol Sleng S21. L’ancien centre de détention et de torture, transformé en musée, se trouve dans un lycée construit pas les Français. Entre 1975 et 1979, il devient la prison la plus terrible du Cambodge. Toutes les personnes arrêtées y sont systématiquement photographiées avant d’être torturées puis envoyées dans le camp d’extermination Choeung Ek.

Déchirures familiales

«Les regards des prisonniers m’ont frappé, se souvient la photographe. Ce sont les mêmes que ceux photographiés dans d’autres conflits comme en Syrie.» Le regard d’une jeune fille sur un brancard, victime d’une mine antipersonnel et croisée lors de sa mission en 1989 la hante encore. «Ces photos parlent de déchirures familiales, les proches des victimes ne savent parfois même pas où elles sont enterrées. Des drames similaires frappent encore quotidiennement des populations ailleurs dans le monde, plus près de chez nous.»

Par Judith Monfrini – La Tribune de Genève – 17 avril 2025

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