Le rouge ou le noir : le tirage au sort qui angoisse les jeunes Thaïlandais
Chaque année, au mois d’avril, tous les jeunes Thaïlandais âgés de 21 ans participent à une loterie nationale qui détermine ceux qui effectueront un service militaire de deux ans. Ce moment est source de stress et d’anxiété pour beaucoup d’entre eux, illustrant un passage civique aussi crucial qu’impopulaire dans la société thaïlandaise.
Un système unique au monde
Le système de loterie organisé par l’armée thaïlandaise, unique par sa grande médiatisation et sa ritualisation, sert à combler le manque de conscrits volontaires pour le service militaire. Ainsi, en fonction du manque de conscrits, chaque Thaïlandais masculin de 21 ans et en bonne forme physique est convoqué pour cette grande cérémonie publique et médiatisée.
Chaque jeune homme se présente devant une urne, composée de bulletins de deux couleurs: rouge indiquant un service militaire à accomplir de 2 ans, ou noir, indiquant une exemption de service militaire. Si il manque par exemple 30% de conscrits dans un des districts militaires, alors l’urne ne sera dotée que de 30% de bulletins rouges.
Certains jeunes Thaïlandais préfèrent alors se porter volontaires avant leurs 21 ans, car dans de nombreux cas, cela leur assure un service militaire inférieur à deux ans. Les femmes peuvent aussi se porter volontaires avant 21 ans pour le service militaire mais ne participent pas à la loterie nationale qui reste réservée aux hommes.
Une cérémonie sous tension
La cérémonie de tirage au sort est un moment fort en émotion pour l’ensemble des Thaïlandais. Organisé dans des lieux publics comme des gymnases ou des écoles, l’événement civique est ouvert au public. Les militaires encadrent la loterie et maintiennent l’ordre dans une salle souvent composée de la famille et des proches des participants.
Très médiatisées, ces cérémonies accueillent dans les grandes villes de nombreuses chaînes de télévision qui documentent chaque année ce rite civique.
Les images, souvent partagées en nombre sur les réseaux sociaux, montrent des jeunes souvent très anxieux au moment de s’avancer à tirer leur bulletin. Les participants sont même tenus par les militaires afin de faire face aux évanouissements spectaculaires survenant au moment de l’annonce de la couleur du bulletin. C’est souvent toute une famille et des proches qui sont angoissés, des semaines même avant l’organisation de la loterie.
Un système de plus en plus contesté
Derrière l’image d’un système impartial fondé sur le hasard, le tirage au sort pour le service militaire en Thaïlande révèle de profondes inégalités. Les jeunes issus de milieux défavorisés sont largement surreprésentés parmi les conscrits. Faute de ressources ou de réseaux, beaucoup ne peuvent ni intégrer les programmes de réserve pendant leurs études, ni obtenir les certificats médicaux permettant une exemption.
À l’inverse, les jeunes des classes moyennes ou aisées disposent de moyens pour contourner le système comme des certificats médicaux de complaisance ou des relations dans l’administration. Des ONG et des médias thaïlandais dénoncent régulièrement ces pratiques, alimentant un sentiment d’injustice croissant dans la population.
À cela s’ajoutent les conditions parfois alarmantes dans lesquelles se déroule le service. Des cas de mauvais traitements, de bizutages humiliants ont été signalés au fil des années.
Un rite patriotique remis en question
Dans ce contexte, la conscription est de plus en plus perçue comme une entrave, un frein aux études et aux projets professionnels. De nombreux jeunes vivent la loterie annuelle non pas comme un rite patriotique, mais comme une loterie sociale injuste.
Face à cette contestation, des voix s’élèvent pour réclamer une réforme en profondeur. L’ancien parti progressiste Move Forward militait notamment pour la suppression du tirage au sort et la transition vers une armée professionnelle et volontaire. En 2023, une proposition de loi en ce sens avait été déposée, sans succès face à l’opposition du Parlement dominé par les conservateurs.
L’armée continue de défendre la conscription comme un pilier de la sécurité nationale, un outil de discipline et un moyen d’encadrer la jeunesse. Mais cette justification séduit de moins en moins. Mieux informée, connectée et mobilisée, une nouvelle génération de Thaïlandais remet de plus en plus en question le rôle même du service militaire obligatoire.
Par Elie Mouhica – Thailande-fr.com – 19 avril 2025
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