Des échos dans la littérature québécoise
Ces dernières années, la guerre du Viêtnam a nourri plusieurs œuvres de la littérature québécoise, notamment grâce à la plume de Maï Nguyen, Kim Thúy et Bertrand Gervais. La Presse leur a parlé.
Dans l’histoire des conflits, la chanson White Christmas d’Irving Berlin est liée à l’évacuation américaine de Saigon comme le poème Chansons d’automne1 de Verlaine l’a été au Débarquement de Normandie.
La diffusion de la chanson interprétée à l’origine par Bing Crosby signifiait que la capitale sud-vietnamienne s’apprêtait à tomber, le 30 avril 1975, comme le rappellent les livres Rien de beau sur la guerre (Éditions du Passage), de Maï Nguyen et Patrick Froehlich, et Em (Libre Expression), de Kim Thúy.
Maï Nguyen et sa famille étaient à Saigon les 29 et 30 avril 1975, lorsque les derniers hélicoptères américains surchargés de gens ont quitté le toit de l’ambassade. « Mon frère a supplié le mari d’une de mes sœurs, un Américain, de nous donner un indice qu’il fallait partir, raconte-t-elle. Ma sœur travaillait à l’ambassade et a finalement entendu parler entre les branches de la chanson. »
Narrée sans filtre dans l’ouvrage, la fuite de la famille « dans un petit camion noir sans fenêtres » nous tenaille.
La famille de Kim Thúy n’a pas quitté Saigon. Parents, frères, sœurs, cousins, cousines étaient plutôt terrés au deuxième étage de leur immeuble. « Mes parents nous demandaient de nous cacher derrière le sofa, raconte l’autrice en entrevue. Évidemment, les enfants, on essayait de voir quand même. La peur s’est installée, transmise des parents aux enfants. »
Si Ru (2009), qui a lancé la carrière de l’écrivaine, se focalise sur l’arrivée de la famille de boat people au Québec en 1978, Em (2020) aborde la guerre de front. « J’ai l’impression d’avoir vieilli avec ce livre, dit Mme Thúy. Peut-être parce que c’est celui de la désillusion. En vieillissant, on ne peut plus fuir les nuances, les complexités, les contradictions. »
Les enfants racontent
Les deux autrices étaient enfants au moment des faits. Et elles ont publié leurs récits bien longtemps après leur arrivée au Québec. Alors que leurs parents ont gardé le silence.
C’était difficile à confronter. Que ce soit psychologiquement, physiquement et émotionnellement, je ne savais pas comment gérer ça toute seule.
Maï Nguyen, autrice
Après 45 ans au Québec, elle a néanmoins senti le besoin de « partager et rendre hommage à [sa] mère [Mó], qui a traversé tellement d’épreuves », et aussi donner « une compréhension » à ses propres enfants.
Le silence des parents s’explique par le fait qu’ils avaient d’autres priorités, rappelle Kim Thúy. « Lorsqu’ils sont arrivés, ils étaient occupés, lance-t-elle. Notamment à nous remettre sur les rails. Plusieurs faisaient deux, trois jobs. »
Ils n’avaient pas le temps d’écrire. Et c’est un luxe de pouvoir regarder en arrière. Eux, ils n’avaient que le présent. Quand on court, ce n’est pas le temps de tourner la tête.
Kim Thúy, autrice
Selon Bertrand Gervais, professeur associé de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et auteur du roman La dernière guerre campé, entre autres, près du mémorial des vétérans du Viêtnam à Washington, ce saut d’une génération dans la transmission des récits n’est pas surprenant.
On le voit avec les survivants de la Seconde Guerre mondiale, de la Shoah, d’Hiroshima et Nagasaki. Il faut une certaine distance, pas seulement temporelle, mais aussi critique et émotive, pour en offrir un portrait sans rationaliser.
Bertrand Gervais, professeur associé à l’UQAM et auteur
Dans son roman, l’auteur aborde le Viêtnam en s’inspirant de la trop courte vie d’Edward Henry, un soldat né et inhumé au Vermont. En fouillant dans diverses archives, M. Gervais a mis en lumière de nombreux détails de la vie de ce jeune soldat tué avant ses 20 ans. En parallèle, il explore d’autres formes de conflits, car il est plongé dans de sérieux différends avec sa conjointe, son père et lui-même. « Et c’est campé durant le printemps érable (2012), où il y a une guerre sociale au Québec. Cela crée un système de chambres d’écho qui se répondent entre les guerres », confie-t-il.
Une autre vision
Vécue de l’intérieur, la vision vietnamienne des évènements comme celle proposée par Maï Nguyen et Kim Thúy se démarque de ce qu’on trouve dans la culture populaire, notamment dans le cinéma hollywoodien, davantage tourné vers le sort des soldats.
Ma famille et moi avons notre propre compréhension de ce qui s’est passé. Parfois, la culture populaire représente mal les citoyens, la population du Viêtnam. On dépeint notamment les Vietnamiennes de façon unilatérale. Tout ce qu’on voit, ce sont des prostituées courant après les soldats. C’est difficile à regarder.
Maï Nguyen, autrice
« Le Viêtnam, c’est la première guerre visuelle, dit Kim Thúy. Ai-je besoin d’en voir plus ? Oui et non. Les images sont les mêmes. Mais chacune confirme qu’il n’y a pas de limite à notre folie. »
Et White Christmas, dans tout ça ? « Aujourd’hui, je sais comment gérer ça. J’ai fait mon bout de travail », répond Maï Nguyen. « Noël a toujours été triste pour moi, dit Kim Thúy. Un jour, je me suis dit que cette chanson avait peut-être un lien. Saigon est tombé le 30 avril, mais en décembre [1974], j’ai l’impression que la peur, la tristesse et les doutes commençaient à se manifester. Aujourd’hui, avec les enfants, il y a bien sûr les cadeaux, la famille qui se visite. Mais si tu me donnes un petit moment toute seule, c’est lourd pour moi. »
D’autres titres sur le Viêtnam
Marc Cayer a été l’un des premiers Québécois à écrire sur le Viêtnam. Prisonnier du Viêt-Cong durant cinq ans avant d’être libéré en 1973, il publie ensuite l’ouvrage Marc Cayer : prisonnier au Vietnam (Ferron), écrit par le journaliste Yves Leclerc.
Née à Hanoi en 1940, Vân Dung Nguyen évoque le parcours l’ayant menée au Québec dans Du lotus au sapin (Éditions GID).
Dans Ha Long, roman de Linda Amyot (Leméac), les parcours d’une mère biologique et d’une mère adoptive se font écho à la veille d’une adoption.
Le roman Métis Beach (Boréal) de Claudine Bourbonnais suit un jeune Québécois dont la route croise des personnages incluant des jeunes fuyant la conscription et des déserteurs dans les années 1960.
Note : cette liste n’est pas exhaustive.
Par André Duchesne – La Presse – 26 avril 2025
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