Pourquoi Macron entamera sa tournée en Asie par le Vietnam
Le président de la République doit se rendre fin mai dans ce pays clé de la géopolitique mondiale, courtisé par Xi Jinping et menacé de droits de douane excessifs par Donald Trump.
Emmanuel Macron sera en visite fin mai au Vietnam, en ouverture d’une tournée du Sud-Est asiatique. Ce rare déplacement en Asie se poursuivra en Indonésie, avant la participation du chef d’État au Dialogue de Shangri-La à Singapour, pour y prononcer le discours d’ouverture de cette grande conférence de sécurité de l’Indo-Pacifique. L’étape vietnamienne comblera un long retard, car la venue du président de la République, promise depuis 2018, a été plusieurs fois reportée.
Prévue autour des 26 et 27 mai – le calendrier est susceptible d’évoluer –, cette visite d’État interviendra dans un contexte stratégique mouvementé. Début avril, la Maison-Blanche a dit vouloir frapper Hanoï de droits de douane astronomiques de 46 % – même s’ils restent loin derrière la Chine qui doit s’acquitter de 145 % effectifs.
Le Vietnam connaît depuis plusieurs années un boom économique accompagné d’une forte croissance de ses exportations vers les États-Unis, comme place manufacturière alternative à la Chine. Cette évolution, favorisée entre autres par l’implantation d’usines de groupes chinois qui délocalisent pour contourner les barrières érigées par les Américains, suscite la colère de Donald Trump. Le président américain entend rééquilibrer ces échanges et barrer cette route « clandestine » de l’industrie chinoise.
Washington a certes suspendu la menace, plaçant Hanoï comme d’autres – à part Pékin – en sursis pour 90 jours. Mais le Vietnam doit désormais négocier âprement avec la Maison-Blanche pour éviter une muraille douanière qui menacerait ses très ambitieux objectifs de croissance (8 % pour 2025, après plus de 7 % en 2024). Dans le même temps, la Chine manœuvre pour empêcher que son voisin ne cède aux pressions de l’administration Trump. Mi-avril, Xi Jinping y a effectué une visite d’État de 4 jours. Il a enjoint aux dirigeants vietnamiens, selon les communiqués transmis aux médias chinois, de « résister conjointement à l’intimidation et à l’unilatéralisme ».
Le séjour du secrétaire général du Parti communiste chinois n’était pas qu’un simple déplacement tactique dans son bras de fer avec la Maison-Blanche. Xi construit sur le long terme, alors que le Parti communiste vietnamien s’est réorganisé en 2024 en plaçant à sa tête Tô Lâm, un dirigeant soucieux de ses bonnes relations avec Pékin.
Dans toute la région, la résistance est forte face à ces ultimatums des grandes puissances pour prendre parti.Nguyen Khac Giang, chercheur
« La Chine se présente comme un partenaire fiable, décrypte Benoît de Tréglodé, spécialiste du Vietnam et directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem). En Asie du Sud-Est, elle se promène chez elle. »
Tiraillés entre les deux géants, les Vietnamiens, fidèles à leur flexible « diplomatie du bambou », poursuivent leur jeu d’équilibriste. « Dans toute la région, la résistance est forte face à ces ultimatums des grandes puissances pour prendre parti, rappelle Nguyen Khac Giang, chercheur vietnamien à l’Institut Yusof-Ishak de Singapour. Durant la guerre froide, le Vietnam a payé le prix fort d’être pris au piège entre deux superpuissances. »
« Entuber les États-Unis »
Comme le relevait une note du service économique de l’ambassade de France à Hanoï, les dirigeants vietnamiens ont soigneusement veillé à ne pas prendre parti dans la guerre commerciale : « Ni la déclaration conjointe ni les éléments de langage rendus publics par Hanoï ne font référence à l’appel de Xi à une résistance conjointe. Cela n’a pas empêché Trump d’affirmer, dès le premier jour de la visite de Xi, que celle-ci avait été l’occasion pour la Chine et le Vietnam de discuter de la meilleure façon “d’entuber” les États-Unis. » Ordonnant qui plus est à ses diplomates de snober les célébrations des 50 ans de la chute de Saïgon, le 30 avril !
Pour Benoît de Tréglodé, le président américain a marqué un but contre son camp : « La déclaration de Trump avantage la Chine dans la région, juge le chercheur de l’Irsem. L’Asie du Sud-Est est obsédée par la croissance économique, personne ne veut d’une guerre commerciale. »
Cette position de Hanoï sur une ligne de faille géopolitique offre-t-elle à Paris des opportunités ? En 2024, la France a échangé 8,5 milliards d’euros avec le Vietnam, dont 7 milliards d’importations – soit un déficit de 5,5 milliards, le 5e déficit bilatéral du commerce extérieur français, selon une note de Bercy. « Un rééquilibrage par le haut de nos échanges semble difficile à moyen terme », concluait le document de manière pessimiste.
La timide remontée des exportations françaises vers le Vietnam en 2024, à 1,5 milliard d’euros, s’explique en partie par la livraison de trois Airbus A320 Neo à la compagnie low cost Vietjet, performance qui ne se reproduira pas cette année alors que les prochains appareils prévus dans cette commande aéronautique seront assemblés en Allemagne. Pour espérer gagner des parts de marché au Vietnam, Paris doit encore ratifier l’accord de protection des investissements Vietnam – Union européenne (Evipa), signé en 2019 – et pourrait plaider à Bruxelles pour lever le « carton jaune » qui sanctionne les produits de la pêche vietnamiens.
« L’État ne peut pas tout faire », avertit cependant Benoît de Tréglodé. Depuis la visite historique de François Mitterrand, premier chef d’État occidental à retourner au Vietnam en 1993, les entreprises françaises se sont laissé distancer, renonçant à la conquête des 100 millions de consommateurs vietnamiens. Une erreur stratégique difficilement rattrapable. « Sur les 20 entreprises favorites des Vietnamiens, aucune n’est française, regrette le chercheur. Aujourd’hui, ce n’est plus uniquement un marché de réexportation. Il serait temps que la France s’en rende compte. En attendant, elle a complètement raté le coche. »
L’historien et analyste géopolitique est rejoint dans ce constat sévère par l’économiste de l’Inalco Jean-Philippe Églinger. « Il y a eu une forme de déception française sur des promesses que le Vietnam n’avait pas faites », décrit-il poliment. Autrement dit, l’ancienne puissance coloniale n’y bénéficie d’aucune préséance. Seul domaine où la France pourrait tirer son épingle du jeu : le nucléaire civil, où le Vietnam relance son programme et espère mettre en service deux centrales d’ici 2030. Une délégation d’EDF a d’ailleurs accosté à Hanoï en mars.
Frégates, radars, satellites
L’invasion de l’Ukraine a ouvert une autre fenêtre d’opportunité dans le secteur de la défense. Jusque-là, la Russie monopolisait 95 % des marchés militaires, mais l’accaparement de son industrie par le conflit avec Kiev a contraint les Vietnamiens à se tourner vers de nouveaux fournisseurs. « Le Vietnam veut diminuer sa dépendance à la Russie », confirme le chercheur vietnamien Nguyen Khac Giang, estimant que celle-ci s’est d’ores et déjà réduite à 70-80 %. Les prétendants, République tchèque, Israël et surtout Corée du Sud, se bousculent au balcon.
Et la France ? Les commémorations des 70 ans de la chute de Dien Bien Phu, au printemps 2024, avaient servi au ministre des Armées français, Sébastien Lecornu, pour ouvrir la voie à son retour. De passage à Paris en octobre 2024, le président Tô Lâm a signé avec Emmanuel Macron un « partenariat stratégique global », préalable à des « projets structurants ». KNDS a un temps espéré un contrat pour ses canons Caesar – finalement ravi par les Sud-Coréens avec leur obusier K9, début 2025, pour plus de 240 millions d’euros. Ces derniers, forts de 250 000 expatriés, opposent une féroce concurrence à la France. Outre qu’ils jouent à proximité de leurs bases, ils ne se privent d’aucun moyen pour concrétiser les ventes, selon des observateurs.
Pour gagner du terrain, les Français, eux, écument les salons d’armement de Hanoï. Thalès négocie des radars de défense, multiplie les petits contrats de satellites civils, et vise le marché des satellites de défense de même qu’Airbus – qui fait face à une vigoureuse compétition israélienne.
Il y a de la place pour une collaboration avec la France Nguyen Khac Giang, chercheur
On est encore loin de gros contrats « structurants », comme en Indonésie ou en Inde. Selon le site Intelligence Online, les Vietnamiens et Naval Group auraient avancé début 2025 dans les discussions pour des frégates. « Ça serait une belle surprise, commente Jean-Philippe Églinger, prudent. La relation entrerait dans une nouvelle ère. » Un familier du dossier prévient : « La Corée du Sud est mieux placée que nous. »
L’analyste vietnamien Nguyen Khac Giang est plus optimiste : « Jusque-là, le Vietnam ne s’est fourni en capacités maritimes qu’auprès de la Russie, mais il y a de la place pour une collaboration avec la France. Cela dépendra de deux choses : la possibilité de transfert technologique, parce que le Vietnam souhaite produire localement ; et la compatibilité de la nouvelle plateforme d’armement avec les vieux systèmes soviétiques. Si le constructeur français trouve une manière de les intégrer sans accroc, cela lui donnerait un levier pour obtenir le contrat. Enfin, il y a bien sûr la question des coûts. »
Même si la Chine incite son voisin à éviter de se fournir auprès d’un allié trop proche de Washington comme la Corée du Sud, le prix reste le déterminant numéro un dans un budget de défense qui ne devrait pas dépasser 10 milliards de dollars par an d’ici à 2029. Selon Intelligence Online toujours, un compromis pourrait être trouvé en achetant un design français, contrat beaucoup moins coûteux que la livraison de frégates sur pièce – les Vietnamiens disposant localement des capacités de construction navale avec leurs arsenaux, partenaires entre autres du néerlandais Damen.
Par Jérémy André – Le Point – 30 avril 2025
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