En Birmanie, un festival met à l’honneur la culture sur brûlis malgré son impact environnemental
Dans l’est de la Birmanie, un village perpétue un festival célébrant l’agriculture sur brûlis, en dépit de la pollution de l’air qui intoxique ses habitants, d’autres méthodes plus respectueuses restant inaccessibles en raison de la guerre civile.
« C’est une tradition de nos ancêtres« , explique Joseph, 27 ans, un responsable en charge de la jeunesse à Tha Yu, dans l’Etat Shan. « C’est la seule façon pour nous de survivre« , ajoute le jeune homme, qui ne porte qu’un seul nom.
Entre janvier et avril, un brouillard de pollution enveloppe l’Asie du Sud-Est, notamment à cause des feux allumés par les agriculteurs pour défricher les terres, qui émettent des microparticules PM 2,5 tellement fines qu’elles pénètrent profondément dans les poumons.
Les Birmans perdent ainsi 2,3 années d’espérance de vie en raison de la pollution de l’air, selon des données de 2022 analysées par l’Energy Policy Institute de l’université de Chicago. Aucun bilan chiffré n’est toutefois connu en Birmanie sur la part attribuée à l’agriculture sur brûlis dans la pollution de l’air, à laquelle contribue d’autres secteurs.
Le conflit civil ravivé par le coup d’Etat de 2021, et la crise multidimensionnelle qu’elle a ouverte, a relégué au second plan les inquiétudes liées à la qualité de l’air. Mais les habitants de Tha Yu ont bien conscience du sujet, sans pour autant pouvoir y remédier.
« Nous n’avons pas d’autre travail ni d’autres possibilités dans notre région« , explique Joseph, alors que la brume engloutit les collines derrière lui, pour faire place à des champs de riz, de piments et de maïs. « Nous sommes donc contraints de respecter cette tradition chaque année« , qui se déroule début avril, assure-t-il.
Une pratique agricole « pour survivre »
Dans la plupart des cas, les agriculteurs incinèrent les résidus de la récolte précédente pour nettoyer le champ de manière peu onéreuse, en vue de la saison à venir.
Mais la fumée qui s’élève autour du village de Tha Yu provient de l’agriculture itinérante, essentiellement pratiquée en zone tropicale humide, qui consiste à brûler des parcelles de végétation sauvage pour obtenir un tapis de cendre sur lequel pousseront les cultures, lors d’un cycle réduit de quelques années.
« Si c’était possible, nous essayerions d’autres méthodes agricoles, mais nous ne disposons d’aucune technologie et personne ne nous a enseigné« , a déclaré Joseph.
Les défenseurs de l’environnement, dans leur majorité, affirment que l’agriculture sur brûlis détruit des étendues de plantes existantes qui, autrement, absorberaient les émissions de dioxyde de carbone. Toutefois, une étude réalisée en 2023 au Belize suggère que cette méthode pratiquée par les autochtones sur des parcelles de taille intermédiaire peut avoir un effet positif sur la diversité des forêts en ouvrant l’espace à de nouvelles pousses.
Lors de la cérémonie du Tha Yu, des villageois portant des bandeaux blancs dansent sur scène avant d’allumer un faisceau symbolique de broussailles, se balançant et frappant des mains en rythme.
Des volutes de fumée s’élèvent dans le ciel. « Je peux affirmer que nous ne nous enrichissons pas grâce à la culture itinérante« , affirme Khun Be Sai, membre du comité culturel de la région. « Nous le faisons simplement pour survivre au jour le jour« .
Autour du village, des conséquences déjà visibles
Il est difficile d’établir un bilan chiffré des dégâts de la pollution de l’air en Birmanie, en raison du conflit civil, mais ses conséquences pourraient être désastreuses.
« L’air pur est très important pour la santé« , a déclaré Witsanu Attavanich, économiste de l’environnement à l’université thaïlandaise Kasetsart.
Sans bonne qualité de l’air, « vous avez des gens en moins bonne santé, un capital humain de moins bonne qualité. Comment le pays peut-il s’améliorer s’il n’est pas en bonne santé?« , s’interroge-t-il. Khun Be Sai explique que des centaines de villages de la région pratiquent encore l’agriculture sur brûlis, mais que Tha Yu est le seul endroit où cette pratique fait l’objet d’un festival.
Cependant, il ne voit pas de raison de se réjouir du fait des dégâts du changement climatique autour du village. « Les catastrophes naturelles se multiplient. Les forêts s’éclaircissent et la rétention d’eau diminue. Les fortes pluies provoquent l’érosion des sols« , décrit-il.
Si la cérémonie fait l’éloge d’une pratique qui assure la subsistance de la communauté, Khun Be Sai y voit également un affaiblissement de son mode de vie. « Les gens partent et vivent dans des endroits différents« , explique-t-il. « Nos identités, nos origines, notre langue et notre littérature disparaissent et sont avalées par d’autres« .
Géo Magazine avec Agence France Presse – 2 mai 2025
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