Deux embarcations antiques, mystérieux et uniques au monde, retrouvés intactes au Vietnam
Deux embarcations en bois exceptionnellement bien conservées, aux coques jumelées et à la structure inédite, ont été mises au jour en mars 2025 à Bac Ninh, près de l’ancienne citadelle de Luy Lâu. Une trouvaille unique au monde qui pourrait transformer notre compréhension du commerce fluvial ancien en Asie du Sud-Est.
En mars 2025, une équipe de l’Institut d’archéologie du Vietnam, en partenariat avec le Département de la Culture, des Sports et du Tourisme de la province de Bac Ninh, a révélé l’existence de deux embarcations en bois d’un type inconnu jusqu’alors. Retrouvées lors de travaux agricoles, ces structures navales à double coque, longues de plus de 16 mètres, reposaient enfouies sous un ancien étang, à proximité immédiate de l’ancienne citadelle de Luy Lâu.
Cette région, stratégiquement située sur les rives du fleuve Dâu, a longtemps joué un rôle clé dans les échanges commerciaux entre la Chine et le Sud-Est asiatique. La découverte, remarquable tant par sa technique de construction que par son état de conservation, soulève des questions cruciales sur les savoir-faire maritimes anciens, les usages économiques des voies fluviales, et la place centrale du delta du fleuve Rouge dans les circulations régionales entre le Ier et le XIVe siècle.
Une trouvaille fortuite au cœur du delta du fleuve Rouge
Ce qui frappe d’emblée les archéologues en arrivant sur le site, c’est l’état de conservation exceptionnel des structures. Enfouies sous une couche de limon humide depuis des siècles, les deux coques ont été préservées de l’oxygène, empêchant la décomposition du bois. Leur extraction a nécessité une rigueur méthodologique extrême pour éviter tout effondrement des parois. L’enjeu était d’autant plus crucial que les vestiges gisaient à une profondeur importante, dans un environnement instable et gorgé d’eau.
Le lieu de la découverte, dans le hameau de Cong Ha, se trouve à proximité immédiate de plusieurs sites religieux et historiques majeurs. Il se situe à un kilomètre à peine de la citadelle de Luy Lâu, et à quelques centaines de mètres de pagodes emblématiques comme celle de Dâu ou celle dédiée à Man Nương. Cet ancrage géographique alimente l’hypothèse selon laquelle la zone servait de point névralgique pour le transit marchand et rituel au sein du delta du fleuve Rouge.
Le hasard de la découverte souligne aussi la fragilité de ce type de patrimoine, souvent enfoui sous des terres exploitées. Le fait qu’une telle structure, inédite à l’échelle mondiale, soit restée ignorée jusqu’en 2024, démontre l’immensité des savoirs encore à découvrir sous nos pieds. La réaction rapide des autorités locales et scientifiques, en quelques semaines à peine, témoigne d’une prise de conscience de l’enjeu culturel. Ce premier volet de l’intervention n’a été qu’un début. De nouvelles fouilles sont déjà envisagées pour explorer les abords immédiats. Les archéologues veulent comprendre le contexte plus large de cette trouvaille inattendue.
Des embarcations d’une technicité inégalée au Vietnam
La particularité la plus frappante de ces embarcations réside dans leur conception à double coque, totalement inédite pour l’époque. Chaque élément se trouve assemblé avec une précision qui témoigne d’une parfaite maîtrise artisanale. Les deux coques, parfaitement parallèles, ne sont pas indépendantes. Elles sont reliées à l’avant par une imposante traverse en bois massif qui joue un rôle structurel fondamental. Cette poutre permet une stabilité renforcée et suggère un usage maritime ou fluvial exigeant. Il pourrait impliquer le transport de charges lourdes ou une navigation sur des eaux potentiellement agitées.
À l’intérieur des compartiments, les archéologues ont observé des systèmes d’emboîtement sophistiqués entre les planches. Les joints s’ajustent au millimètre, fixés par des chevilles de bois insérées sans colle ni métal. Un atout pour résister aux contraintes mécaniques liées à la charge et à l’humidité. Cette méthode implique non seulement un outillage précis, mais aussi une connaissance poussée des propriétés du bois utilisé. À savoir capable de gonfler ou de se contracter selon le degré d’humidité ambiant.
La structure du fond se voit taillée dans un seul tronc, assurant une étanchéité maximale. Mais c’est surtout la combinaison de techniques — creusement, assemblage à tenon, chevillage — qui rend cette construction unique. L’ensemble évoque une architecture pensée pour durer, adaptée à un usage récurrent et non éphémère. La présence probable d’un gouvernail se voit suggérée par des éléments à l’arrière. Elle laisse envisager une navigation contrôlée, peut-être sur de longues distances. Certes leur fonction exacte reste à préciser, mais ces embarcations révèlent une culture technique avancée, jusque-là peu documentée dans cette région pour des structures de cette ampleur.
Une position stratégique au cœur d’un ancien réseau commercial
La position du site, dans la commune de Ha Mãn (district de Thuận Thành), offre un éclairage essentiel sur le rôle géopolitique de la région dans l’Antiquité. Située en bordure de la rivière Dâu, un ancien bras du système fluvial Thiên Đức – aujourd’hui appelé sông Đuống –, cette zone constituait une véritable artère commerciale naturelle au sein du delta du fleuve Rouge. Cette configuration géographique favorisait les échanges entre les hautes terres du nord et les plaines côtières du sud. Le tout ouvrant une voie vers le golfe du Tonkin et les routes maritimes asiatiques.
La proximité immédiate de plusieurs pôles religieux majeurs, comme les pagodes Dâu et Tổ, suggère également une interaction constante entre les flux spirituels, politiques et économiques. La citadelle de Luy Lâu constituait la capitale régionale sous domination chinoise pendant plusieurs siècles. Elle agissait ainsi comme un centre administratif, culturel et logistique stratégique. Sa position en aval des grands centres de production de céramique et de bronze permettait d’envisager un réseau de distribution fluide. Les bateaux découverts auraient donc joué un rôle central.
Le fait que ces embarcations aient été retrouvées enfouies dans une zone de faible profondeur, aujourd’hui transformée en étang, renforce alors l’idée d’un bassin portuaire secondaire. Ou d’un point d’amarrage le long d’un axe de circulation dense. Le contenu des compartiments — principalement des graines de fruits — oriente les chercheurs vers un usage marchand. Une fois identifiés, ces restes végétaux permettront de reconstituer une carte des flux agricoles, et peut-être même de retracer des itinéraires de commerce régional.
Des embarcations entre datation incertaine et perspectives de conservation
Malgré la richesse des informations déjà révélées, l’âge exact des embarcations demeure incertain. Les spécialistes hésitent entre deux grandes périodes. Soit les dynasties Lý et Trần, entre les XIe et XIVe siècles. Soit une origine plus ancienne, possiblement liée à la culture Đông Sơn, connue pour ses traditions artisanales sophistiquées. Seules les analyses radiocarbone actuellement en cours permettront de trancher.
En attendant, l’urgence est à la conservation. Le bois, resté immergé des siècles durant, est hautement instable à l’air libre. Pour éviter sa dégradation, les archéologues ont recouvert les structures avec de la terre et des bâches. Il ont également installé un périmètre de protection. Le Dr Bùi Minh Trí, du Centre d’archéologie subaquatique, propose d’aller plus loin. Il veut conserver les bateaux sur place et produire une modélisation 3D. Le but : sensibiliser le public et pérenniser la mémoire du site.
Les autorités locales, conscientes de l’impact patrimonial de cette trouvaille, envisagent une mise en valeur touristique. Mais au-delà de l’attraction, c’est une énigme historique qui se dessine. Ces bateaux, uniques au monde, redonnent vie à un pan méconnu de l’histoire maritime vietnamienne. Ils rappellent que les réseaux fluviaux étaient bien plus que des axes de transport. Ils reliaient les peuples, les savoirs et les cultures.
Témoins silencieux d’un commerce disparu, ces navires posent encore des questions sans réponse. Leur fonction exacte, leur itinéraire, leur symbolique restent à décrypter. Mais déjà, ils réinscrivent Luy Lâu au cœur de l’histoire régionale, comme un pont entre les civilisations anciennes et les sociétés d’aujourd’hui.
Par Laurie Henry – Science-et-vie.com – 20 Mai 2025
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