Guerre civile en Birmanie : le trafic illégal de teck accélère la déforestation
La Une en Asie vous emmène aujourd’hui en Birmanie, pays qui abrite les dernières forêts de teck naturel au monde. Le trafic illégal de ce bois précieux, très prisé par l’industrie nautique notamment, explose depuis la guerre civile et accélère la déforestation.
Plusieurs enquêtes ont démontré que le phénomène s’était amplifié depuis le putsch militaire en 2021 qui a plongé le pays dans la guerre civile. La dernière enquête menée par un journal birman, Frontier Myanmar, dans la région centrale de Bago Yoma, a mis au jour un développement effréné de trafic de teck, aussi bien par la junte militaire que les groupes rebelles, dont les insurgés de la Force de défense du peuple (PDF).
Un commerce juteux
Les journalistes qui ont enquêté dans cette région montagneuse et très boisée ont constaté un mouvement incessant de camions chargés de ce bois précieux. Les villageois ont raconté qu’ils se livraient aussi à ce commerce juteux pour arrondir leurs fins de mois, en transportant le teck à bord de charrettes tirées par des bœufs vers les points de collectes. Les troncs sont ensuite acheminés vers Rangoun ou Mawlamyine, capitale de l’État Mon, et troisième plus grande ville du pays, où la marchandise est récupérée par les trafiquants pour être transportée ensuite vers les marchés internationaux.
Embargo contourné
L’exportation du teck est pourtant soumise à des sanctions européennes et américaines depuis le coup d’État, l’embargo ayant pour objectif de restreindre les financements à la junte qui détient le monopole sur de nombreux secteurs dont l’industrie du bois et qui s’appuie sur l’exploitation des ressources naturelles.
Or, dans la pratique, l’embargo est allègrement contourné. L’entreprise d’État, la Myanma Timber Entreprise, contrôlée par la junte, continue chaque mois de vendre du teck aux enchères, une manière de s’approvisionner en devises. Les monnaies acceptées sont l’euro, le dollar, le yuan chinois et le baht thaïlandais. La dernière enchère remonte au 4 juin où l’entreprise proposait à la vente 351 tonnes de teck. Le commerce continue.
Si l’importation est interdite dans l’Union européenne et les États-Unis, les sanctions sont bafouées de différentes manières. Les commerçants et les divers intermédiaires exportent le teck vers des pays tiers, la Malaisie, l’Indonésie, l’Inde et l’exporte sous un faux certificat de provenance vers l’Occident.
Environnement menacé
Ce commerce qui nourrit toutes les parties en conflit a des effets dévastateurs sur l’environnement.
C’était déjà le cas dans le passé, avant que le gouvernement démocratique dirigé par Aung San Suu Kyi n’impose en 2016 un moratoire sur l’exploitation forestière. La suspension dans la partie centrale arrive à échéance l’an prochain. Malgré ce moratoire, les factions se livrent plus que jamais à un juteux pillage des ressources, l’abattage illégal bat son plein et personne dans un pays en guerre n’a la capacité d’endiguer ces activités, qui rapportent beaucoup et permettent aux parties en conflit de se procurer de la nourriture, des armes, des munitions et d’autres fournitures. À titre d’exemple, un camion transportant cinq tonnes de teck doit débourser un peu moins de 400 euros par trajet. L’argent est payé comptant aux checkpoints contrôlés par les rebelles ou la junte. Un seul tronc peut se vendre – en fonction de sa qualité – entre 340 et 2400 euros.
La situation est donc hors de contrôle et tout le monde en profite. Le grand perdant c’est bien sûr l’environnement. On estime que la Birmanie a perdu en 20 ans, 20% de sa couverture forestière, augmentant les risques d’inondations et de perte de sa biodiversité.
Par Jelena Tomic – Radio France Internationale – 19 juin 2025
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