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Birmanie : tourments intérieurs, drames et malheurs, indifférences extérieures

La Birmanie disparaît-elle des écrans radars ? Alors que la « Dame de Rangoon », Aung San Suu Kyi, l’icône de la démocratie birmane aujourd’hui écrasée, vient de fêter son 80e anniversaire en prison, le pays reste plongé dans la terreur dans une indifférence quasi-générale.

La junte poursuit ses exactions contre les populations civiles, mais elle est confrontée à une résistance féroce qui marque des points à l’approche d’élections législatives en décembre prochain qui ne seront qu’une triste farce de plus dans ce pays déchiré par des combats sanglants et sans fin.

N’était-ce les rares échos macabres d’un conflit domestique lointain (quand la junte bombarde aveuglement des populations civiles* par exemple) ou d’une dramatique catastrophe naturelle séculaire (cf. séisme de magnitude 7.7 du 28 mars 2025 dans le centre du pays) au bilan humain insoutenable, la Birmanie s’est progressivement effacée ces dernières années – et plus encore ces derniers mois – des grands titres d’une actualité régionale, il est vrai d’une effarante densité.

Force est de constater qu’entre les récentes hostilités indo-pakistanaises au Cachemire début mai, les frictions récurrentes en mer de Chine du Sud entre la Chine et les Philippines, les frasques grotesques de la Corée du Nord et son inquiétant rapprochement avec Moscou, l’imbroglio politico-institutionnel du semestre écoulé au sud du 38e parallèle en Corée du Sud, ou encore les incursions quotidiennes des forces armées chinoises dans l’espace aérien et maritime de Taïwan*, l’horizon Indo-Pacifique est pour le moins saturé par les sujets de préoccupation, les crises et les contentieux plus ou moins inextricables.

Pourtant, comment imaginer déplacer à l’été 2025 l’actualité birmane sous l’angle d’une simple quelconque problématique régionale périphérique de seconde zone, méritant une attention moindre ou relative. Ce serait là déplacé et même odieux.

Un triste anniversaire pour Aung San Suu Kyi

Ces derniers jours, à la faveur d’un calendrier pointant du doigt le 19 juin le 80e anniversaire d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix et icône emblématique de la démocratie embastillée par les généraux depuis la confiscation du pouvoir par la junte en février 2021, un très éphémère intérêt des médias s’était à nouveau porté sur ce pays en souffrance et en développement. La Birmanie, il est vrai, n’est qu’une destination lointaine pour l’observateur occidental, pays éreinté par la faiblesse et l’avidité des hommes en uniforme vert kaki, la mauvaise gouvernance et quatre années de guerre civile balafrant de toutes parts ce territoire plus étendu que l’Hexagone, ouvert à la fois sur le Sud-Est asiatique, le sous-continent indien et le Monde Chinois.

De fait, celle qui de facto présidait (en qualité de State Counsellor et de ministre des Affaires étrangères) aux destinées des 55 millions de Birmans entre 2016 et 2021 – à la faveur d’un scrutin parlementaire remporté haut la main par son parti, la Ligue nationale pour la Démocratie (LND) n’est plus apparue en public depuis 52 mois. Elle a donc vécu dans la solitude et l’austérité de sa geôle un bien triste 80e anniversaire. Sans pour autant être oubliée des siens : depuis le Royaume-Uni, ses fils qui restent sans aucune nouvelle directe de leur mère depuis deux ans se sont démenés lors d’une campagne globale* pour collecter 80 000 messages vidéo de soutien venus du monde entier. Elle n’est pas oubliée d’une population la portant toujours majoritairement dans son cœur.

Bien entendu, il était par définition absurde de penser que le State Administrative Council – la dénomination absconse du régime militaire au pouvoir depuis 2021 – userait de quelque largesse et ferait (très exceptionnellement) montre d’une quelconque empathie pour la circonstance vis-à-vis de celle que ses tribunaux martiaux ont condamné (avec l’impartialité et la rigueur juridique que l’on devine) à 27 années de prison.

Les Birmans, unis, font front commun contre la junte assassine

Sourde aux demandes et suppliques des Birmans, totalement indifférente aux pressions extérieures, principalement de l’Occident démocratique, la junte du général Min Aung Hlaing a bien d’autres priorités sur sa martiale feuille de route : l’organisation en décembre 2025 – janvier 2026 d’un scrutin législatif (dont seront naturellement exclues la LND et toute autre formation prodémocratie hostile au discours des militaires) ; la reconstruction de son étrange nouvelle capitale Naypyidaw isolée du pouvoir militaire et de ses infrastructures (ministères, routes, casernes et lieux de vie des officiers et fonctionnaires de la junte) détruites par le séisme du printemps dernier* ; reprendre le terrain perdu ces deux dernières années dans la quasi-totalité du pays face à la résistance farouche mais hétéroclite coalition des forces citoyennes, civiles, ethniques, politiques à la tatmadaw (armée birmane) et à ses généraux faisant peu cas du prix de la vie de leurs concitoyens.

Si ces officiers supérieurs n’ayant de tous temps que mépris pour les velléités démocratiques et fédérales d’une majorité de Birmans ne sont, bien entendu, plus en cours depuis longtemps auprès de ces derniers, ils peuvent toujours compter pour leur survie politique sur divers facteurs extérieurs combinant leur faiblesse et parti pris pour s’accrocher encore quelque temps au pouvoir. Peu importe évidemment ce qu’en pense la population.

Vladimir Poutine et Xi Jinping, grands amis de la junte birmane

Le 9 mai, le général Min Aung Hlaing, invité par le président russe Vladimir Poutine aux cérémonies moscovites annuelles du Victory Day, rencontrait à Moscou le président chinois Xi Jinping, lequel assura le visiteur birman du soutien de Pékin pour son régime, à la condition certes que celui-ci se montre capable « d’assurer la sécurité du personnel, des institutions et des projets chinois en Birmanie, et d’intensifier les efforts pour lutter contre la criminalité transfrontalier » le long des 2 129 km de la frontière sino-birmane. Une capacité qui reste à démontrer considérant les défaillances multiples constatées. Quant au soutien extérieur de la Russie, qu’il soit diplomatique, commercial et de la fourniture de matériels militaires au SAC de Min Aung Hlaing, en ces premiers jours de l’été 2025, il reste acquis.

L’observateur extérieur candide aurait tort de prêter trop de bonnes intentions au régime militaire s’il observe de loin la récente extension jusqu’au 30 juin d’un cessez-le-feu post-séisme officiellement pour mieux « faciliter les activités de réhabilitation et de reconstruction dans les zones touchées par le séisme »* ou encore en se montrant trop naïf en apprenant, mi-avril, l’amnistie offerte à 4 893 prisonniers (parmi lesquels des sympathisants de l’opposition et de la résistance), laquelle intervient traditionnellement chaque année à pareil moment pour accompagner dans ce pays majoritairement bouddhiste les célébrations du nouvel an, lors du mois de Thingyan.

Sur le terrain des combats, il n’est hélas guère question de pause, de pardon, d’amnistie. De l’Etat Kachin (Nord) à l’Arakan (ouest), des régions de Sagaing très durement impactée par le séisme du 28 mars à l’État Shan en passant par l’État Kayah, les hostilités font rage. Acculées depuis l’automne 2023 sur divers fronts par les forces combinées de la résistance prodémocratie agrégeant les groupes ethniques armés, les milices locales citoyennes dites People’s Defence forces, les troupes du régime ont repris dernièrement un peu de souffle et de terrain. Ceci notamment à la faveur du recours de plus en plus systématique à l’appui aérien. Peu importe là aussi qu’il fasse de nombreuses victimes civiles collatérales. Peu importe là encore les appels extérieurs à la retenue, un concept en l’occurrence dénué de tout sens pour ces hommes en uniforme. Et il ne s’agit pas d’attendre de la très évasive sinon fuyante ASEAN (l’Association des Pays d’Asie du Sud-Est dont la Birmanie est membre depuis près de 30 ans) qu’elle s’évertue à tenter de ramener à la raison la soldatesque birmane.

En cette entame estivale 2025, les forces de la junte, la résistance composite et le gouvernement d’unité nationale (NUG ; gouvernement parallèle prodémocratie) jettent toutes leurs forces dans la bataille, déterminés les uns et les autres à triompher de leur adversaire, quoi qu’il en coûte. La population, majoritairement derrière les deux dernières citées, paie quotidiennement un tribut très lourd à cette guerre civile qui ne passionne guère les foules en Europe ou en Amérique du Nord. Tout ceci se déroule de ce fait dans une confondante sinon insoutenable indifférence extérieure. Pour l’heure, les Birmans épris de liberté et bien décidés à se défaire une bonne fois pour toutes de la férule militaire hypothéquant depuis les années 60 leur quotidien et leur futur, acceptent donc bon gré mal gré le coût considérable de leur audace, de leurs espoirs, payés au prix fort. Pour combien de temps encore ?

Par Olivier Guillard – Asialyst – 28 Juin 2025

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