Cambodge : Des activistes de l’ONG Mother Nature emprisonnés depuis un an
Les autorités devraient cesser de cibler les défenseurs de l’environnement et les journalistes
Cinq activistes écologistes cambodgiens emprisonnés depuis un an sur la base d’accusations infondées devraient être libérés immédiatement et sans condition, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui ; leurs peines sont comprises entre six ans et huit ans de prison.
Le 2 juillet 2024, un tribunal de Phnom Penh a rendu un verdict de culpabilité envers dix activistes de l’association écologiste de jeunes Mother Nature qui étaient accusés de « complot contre l’État » et d’« insulte au roi » (lèse-majesté). Ces accusations étaient liées à leur militantisme pacifique en faveur de l’environnement. Cinq activistes ont été alors immédiatement incarcérés, tandis que quatre autres, dont on ignore le sort, étaient jugés par contumace. Le dixième, un ressortissant espagnol, avait été expulsé du pays en 2015.
« Les peines lourdes et infondées infligées aux activistes de Mother Nature il y a un an témoignent du profond mépris du gouvernement cambodgien envers l’environnement dans ce pays », a déclaré Bryony Lau, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait annuler ces condamnations pour militantisme environnemental pacifique, et libérer immédiatement les personnes emprisonnées. »
Les autorités ont incarcéré les cinq activistes dans cinq différentes prisons reparties à travers le pays et situées à des centaines de kilomètres de leurs familles, une mesure qualifiée de cruelle et sans précédent par l’organisation cambodgienne de défense des droits humains LICADHO. Le 30 avril 2025, la Cour suprême du Cambodge a rejeté la dernière demande de libération sous caution des activistes, confirmant le jugement rendu par la Cour d’appel de Phnom Penh le 17 février et la condamnation des cinq activistes.
Les cinq activistes emprisonnés sont Thun Ratha (à Tbong Khmum), Ly Chandaravuth (à Kandal), Phuon Keoraksmey (à Pursat), Yim Leanghy (à Kampong Speu) et Long Kunthea (à Preah Vihear). Les lieux éloignés des prisons limitent considérablement les visites familiales, les soins médicaux et l’accès à l’assistance juridique, ce qui représente un risque sérieux pour le bien-être des activistes et leur droit à une procédure régulière.
Pendant plus d’une décennie, l’ONG Mother Nature a dénoncé la corruption dans la gestion des ressources naturelles au Cambodge, s’oppose à des projets d’infrastructures destructeurs et mobilise la jeunesse pour défendre la biodiversité du pays, l’une des plus menacées au monde en raison des taux élevés de déforestation et de trafic d’espèces sauvages. Parmi les réussites de Mother Nature figurent d’une part la cessation de la construction d’un barrage financé par un consortium chinois et qui menaçait le mode de vie d’une communauté autochtone, et d’autre part l’arrêt des exportations de sable de l’île de Koh Kong dans le cadre d’un système corrompu.
En 2023, le groupe a reçu le prix Right Livelihood pour son « activisme courageux et engagé ». En octobre 2024, lors d’une réunion du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève, l’ONG Right Livelihood a dénoncé l’emprisonnement des activistes de Mother Nature qualifiant leurs arrestations et condamnations de « sans précédent, […] injustes et arbitraires ».
Les autorités cambodgiennes ont souvent accusé des militants des droits humains d’« incitation à commettre un crime », infraction passible d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison. En 2021, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme au Cambodge a déclaré qu’il était préoccupé par le fait que « des défenseurs des droits humains sont actuellement en détention et accusés d’incitation à commettre un crime ». Les activistes de Mother Nature ont été les premiers militants écologistes à être inculpés de « complot contre l’État », infraction passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison. Quatre activistes – Ly Chandaravuth, Phuon Keoraksmey, Long Kunthea et Thun Ratha – ont été condamnés en 2024 à six ans prison, soit jusqu’en 2030 ; Yim Leanghy a été condamné à huit ans de prison, soit jusqu’en 2032.
Suite aux condamnations des activistes de Mother Nature, les autorités cambodgiennes ont également ciblé des journalistes pour des reportages sur des questions environnementales.
Le 4 janvier, le journaliste britannique Gerald Flynn s’est vu interdire de revenir au Cambodge, apparemment en représailles à ses reportages. À son arrivée à Siem Reap depuis l’étranger, les autorités de l’immigration ont déclaré à Flynn que la prolongation de son visa était « invalide », alors qu’il avait pu entrer et sortir librement du Cambodge avec les mêmes documents en novembre 2024. Les autorités ont informé Flynn, l’un des rares journalistes étrangers encore basés au Cambodge, qu’il lui était interdit de revenir au Cambodge pour une durée indéterminée. Flynn avait enquêté sur des réseaux d’exploitation forestière illégale au Cambodge, et était apparu dans un documentaire vidéo de France 24 que le ministère cambodgien de l’Environnement avait publiquement qualifié de « fake news ».
Le 16 mai, trois policiers en civil circulant dans un véhicule banalisé ont arrêté et menotté un journaliste environnemental cambodgien, Ouk Mao, près de son domicile à Stung Treng ; ils n’ont présenté aucun mandat d’arrestation, a déclaré son épouse au site d’informations Mongabay. En juin 2024, la police militaire l’avait déjà interrogé au sujet de son enquête sur le défrichement de terres dans une forêt communautaire de Stung Treng.
Entre cet incident et son arrestation le 16 mai, Ouk Mao a continué à couvrir les questions de déforestation. Le 12 mai, Mongabay avait publié un article sur de précédentes agressions physiques et poursuites arbitraires le visant ; il avait aussi été interviewé par le service khmer de Radio France Internationale (RFI), dans une vidéo diffusée le 13 mai et vue par des dizaines de milliers de personnes.
Ouk Mao a été libéré sous caution le 25 mai après neuf jours de détention provisoire, mais il est toujours visé par plusieurs graves accusations liées à ses reportages sur l’environnement et à ses commentaires publics.
Le 27 mai, la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains a exprimé sa préoccupation au sujet d’Ouk Mao, déclarant que « le harcèlement judiciaire et physique des [défenseurs des droits environnementaux] qui dénoncent l’exploitation forestière illégale et la déforestation au Cambodge doit cesser immédiatement ».
« Le ciblage des activistes écologistes et des journalistes par le gouvernement cambodgien est désastreux », a conclu Bryony Lau. « Emprisonner ou expulser ceux qui sont encore prêts à risquer leur vie et leurs moyens de subsistance pour protéger l’environnement au Cambodge, ou forcer ces personnes à agir de manière clandestine, ne peut qu’entraîner des dommages à long terme pour le peuple cambodgien. »
Human Rights Watch – 2 juillet 2025
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