Thaïlande : Les autorités maltraitent et exploitent des ressortissants du Myanmar
Elles devraient mettre en place un régime de protection temporaire et reconnaître le statut de réfugié.
Les autorités thaïlandaises menacent, extorquent et détiennent des ressortissants du Myanmar qui ont fui la junte militaire pour trouver refuge en Thaïlande, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 48 pages, intitulé « “I’ll Never Feel Secure”: Undocumented and Exploited Myanmar Nationals in Thailand » (« “Je ne me sentirai jamais en sécurité” : Des ressortissants du Myanmar sans papiers et exploités en Thaïlande »), examine la manière dont la police thaïlandaise arrête et interroge fréquemment des ressortissants du Myanmar et les extorque en les menaçant d’arrestation et de détention s’ils ne paient pas de pots-de-vin. Human Rights Watch a constaté que cette pratique était répandue dans la ville de Mae Sot, près de la frontière avec le Myanmar, où les autorités qui profitent de cette corruption qualifient les ressortissants birmans de « distributeurs automatiques ambulants de billets ». Vivant sous la menace constante d’une expulsion qui pourrait les mettre en danger, les ressortissants du Myanmar limitent leurs déplacements pour rester hors de vue de la police et des autres autorités qui cherchent à les exploiter.
« Après avoir fui le conflit, la persécution et les privations, les ressortissants du Myanmar ont besoin de protection en Thaïlande », a déclaré Nadia Hardman, chercheuse auprès de la division Droits des réfugiés et migrants à Human Rights Watch. « Au lieu de cela, la Thaïlande leur refuse un statut juridique sûr, et ses autorités profitent de cette vulnérabilité pour les exploiter et les extorquer. »
Depuis le coup d’État militaire au Myanmar en février 2021, la junte a commis des exactions généralisées dans tout le pays, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Un grand nombre de personnes ont fui la violence, la persécution, l’effondrement de l’économie et le blocage de l’aide humanitaire pour se rendre dans les pays voisins. Plus de quatre millions de personnes originaires du Myanmar vivent actuellement en Thaïlande, dont près de la moitié sont sans papiers.
En février 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens auprès de 30 ressortissants du Myanmar vivant en Thaïlande. Bon nombre d’entre eux sont des réfugiés au sens du droit international, même s’ils n’ont pas été reconnus comme tels, et que les voies d’accès à un statut reconnu en Thaïlande sont limitées. Ces ressortissants du Myanmar sans papiers sont contraints de chercher la sécurité et des moyens de subsistance en Thaïlande afin d’éviter d’être renvoyés vers la répression, le conflit et les crises humanitaires au Myanmar.
Les personnes interrogées ont déclaré que les pratiques des autorités thaïlandaises les effrayaient et les intimidaient, leur donnant le sentiment d’être marginalisées et exploitées en Thaïlande. Les forces de sécurité thaïlandaises se livrent à des pratiques de racket par le biais d’un système d’extorsion semi-officiel consistant à « vendre » des « cartes de police » non officielles à des ressortissants du Myanmar cherchant à obtenir des papiers ou simplement à éviter une arrestation. La seule option pour les personnes qui ne veulent ou ne peuvent pas acheter ces cartes est l’assignation à résidence volontaire.
Un journaliste birman de 30 ans, réfugié à Mae Sot, a déclaré : « La principale menace [à Mae Sot], c’est la police. J’avais peur d’eux… J’ai été arrêté [par la police] six fois : trois fois, j’ai payé les policiers et ils m’ont laissé partir. »
Même les personnes qui paient pour des « cartes de police » ne sont pas totalement protégées contre l’expulsion. Les expulsions massives de ressortissants du Myanmar, notamment d’enfants, se poursuivent dans tout le pays, sans tenir compte des risques qu’ils pourraient encourir à leur retour au Myanmar. Une femme a déclaré que malgré le versement d’un pot-de-vin pour elle-même et sa nièce de 12 ans, les autorités d’immigration thaïlandaises les ont arrêtées toutes les deux, les ont retenues dans un centre de détention pendant neuf jours, puis les ont expulsées vers le Myanmar.
La plupart des ressortissants du Myanmar auprès de qui Human Rights Watch a mené des entretiens étaient en train de demander ou de renouveler une carte de travailleur migrant, communément appelée « carte rose ». Il s’agit du principal document dont disposent les ressortissants du Myanmar en Thaïlande pour obtenir un statut légal. Cette procédure nécessite le parrainage du travailleur migrant par un employeur.
La Thaïlande n’est pas un État partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ni à son Protocole de 1967. Le pays ne dispose pas de loi sur les réfugiés ni de procédures d’asile formalisées applicables à toutes les nationalités. Au lieu de cela, en 2023, le gouvernement a introduit un nouveau Mécanisme national de filtrage (« National Screening Mechanism », NSM) en vertu duquel certaines personnes, qui ne peuvent ou ne veulent pas retourner dans leur pays d’origine en raison de craintes de persécution, peuvent demander une protection.
Bien que présenté comme une avancée vers une meilleure protection internationale, le Mécanisme national de filtrage et ses règlements d’application excluent largement certaines nationalités de l’accès, notamment les travailleurs migrants originaires du Myanmar, du Cambodge et du Laos.
Des ressortissants du Myanmar ont déclaré que, qu’il s’agisse de renouveler leurs documents de travailleur migrant grâce à une « fenêtre de régularisation » – une période spécifique pendant laquelle le gouvernement thaïlandais autorise les travailleurs migrants sans papiers à régulariser leur statut juridique – ou de déposer une première demande, ils faisaient appel à un intermédiaire pour gérer la procédure et payaient des frais, souvent exorbitants, pour obtenir les documents nécessaires et gérer cette procédure complexe. Dans tous les cas examinés par Human Rights Watch, l’employeur indiqué sur leur « carte rose » de travailleur migrant n’était pas leur véritable employeur, mais un employeur fictif.
Bien qu’une carte rose offre une certaine protection contre l’arrestation, la détention et l’expulsion, elle ne constitue pas un document précis ou approprié pour les personnes qui sont très probablement des réfugiés, malgré l’absence d’un système permettant de reconnaître ce statut.
Le gouvernement thaïlandais devrait adopter une législation établissant des critères ainsi que des procédures de reconnaissance du statut de réfugié et d’octroi de l’asile conformes aux normes juridiques internationales, selon Human Rights Watch. Le statut de réfugié devrait être ouvert à toutes les nationalités selon les mêmes critères, conformément à la définition internationale du réfugié, notamment des formes complémentaires de protection pour les personnes fuyant les conflits, et les réfugiés devraient être autorisés à travailler.
Dans l’intervalle, la Thaïlande devrait mettre en place un cadre de protection temporaire pour les ressortissants du Myanmar, reconnaissant les besoins immédiats de milliers de personnes qui ont fui les persécutions ou les conflits du pays. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne devrait pas y avoir de retours forcés au Myanmar : « Les personnes fuyant le Myanmar doivent être autorisées à accéder au territoire pour demander l’asile et être protégées contre le refoulement. »
« Les autorités thaïlandaises devraient prendre des mesures conformes aux normes internationales pour assurer une protection efficace aux personnes fuyant le Myanmar », a conclu Nadia Hardman. « Le gouvernement thaïlandais devrait mettre fin à l’exploitation et aux souffrances de plusieurs millions de ressortissants du Myanmar sans papiers. »
Human Rights Watch – 15 juillet 2025
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