Mines antipersonnel, crise politique et temple khmer : ce qui pourrait conduire le Cambodge et la Thaïlande à la guerre
Les accrochages se sont intensifiés, ce vendredi, entre les troupes des deux nations d’Asie du Sud-Est. Aucun cessez-le-feu ne semble, pour l’instant, en négociation. La crise s’est enflammée et la guerre se rapproche.
Les affrontements entre les troupes thaïlandaises et cambodgiennes se sont durcis, ce vendredi, 24 heures après avoir éclaté dans plusieurs zones, sur la frontière commune entre les deux pays d’Asie du Sud-Est. Deux royaumes qui ont accumulé, ces dernières années, les différends territoriaux et politiques.
Après avoir recensé plus d’une vingtaine de civils tués, dont au moins un enfant, dans des villages visés par l’artillerie khmère, la Thaïlande a annoncé qu’elle avait organisé l’évacuation de la région de près de 130.000 habitants, répartis dans quatre provinces frontalières visées par les tirs de l’armée cambodgienne, qui utilise notamment des lance-roquettes BM-21 de conception soviétique, beaucoup plus puissants que les armes légères qu’elle mobilise habituellement lors de ces crises frontalières.
Des plans de mobilisation
Recalibrant son propre dispositif, l’armée thaïlandaise a appelé ses troupes à se tenir prêtes à enclencher une tactique militaire baptisée le plan « Chakrabongse Bhuvanath », qui prévoit une mobilisation massive, dans les airs et sur terre, pour protéger la souveraineté et la sécurité de la nation.
Le Premier ministre intérimaire thaïlandais, Phumtham Wechayachai, a prévenu que l’aggravation de la situation conduirait à « une guerre ». « Nous avons essayé de trouver un compromis parce que nous sommes voisins, mais nous avons donné l’instruction à l’armée thaïlandaise d’agir immédiatement en cas d’urgence. »
Côté khmer, les autorités ont assuré que les combats avaient fait, pour l’instant, un mort parmi leurs soldats ainsi que cinq blessés. « Mais les tensions sont toujours vives et les combats se poursuivent », a précisé, vendredi, Met Measpheakdey, le porte-parole de la province cambodgienne d’Oddar Meanchey, qui borde les provinces thaïlandaises de Buriram, Surin et SiSaket.
Accusations mutuelles
Comme la veille, les gouvernements de deux nations ont continué, au fil de la journée de vendredi, de s’accuser mutuellement d’avoir enclenché les hostilités.
Recensant avec précision la récente escalade des accrochages sur leur frontière commune de 817 kilomètres de long, les analystes remarquent toutefois que la plupart des incidents ont été provoqués par l’armée cambodgienne, qui a systématiquement dopé, ces dernières semaines, ses effectifs et ses stocks de munitions dans les zones où se concentrent aujourd’hui les affrontements.
« Une grande partie de l’escalade semble provenir du Cambodge, dont les troupes ont fortifié de nombreux secteurs avant les affrontements du 28 mai et ont déployé des moyens stratégiques immédiatement après », explique le chercheur Nathan Ruser, un spécialiste de l’analyse d’image satellite au sein de l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI).
Mines et bunkers
Sur une multitude de clichés, partagés sur son compte X, l’analyste montre les travaux de déforestation et de construction de bunkers réalisés par l’armée khmère dans une zone frontalière théoriquement démilitarisée.
Au même moment, les troupes ont déployé dans ces zones, aussi patrouillées, à pied, par les militaires thaïlandais, des dizaines de mines antipersonnel. Mercredi, un soldat thaïlandais avait d’ailleurs perdu une jambe dans l’explosion de l’un de ces engins.
Pour les experts, cette stratégie cambodgienne aurait été poussée par Hun Sen, l’homme fort du Cambodge qui avait régné sur le pays pendant près de quarante ans avant de placer son fils, Hun Manet, en 2023, à la tête de l’exécutif.
Autrefois très lié au clan Shinawatra, qui a régné plusieurs années sur la Thaïlande, le dirigeant autoritaire s’est récemment brouillé avec Thaksin Shinawatra ainsi que sa fille Paetongtarn Shinawatra, et a durci son discours contre les autorités de Bangkok.
« Cette fois, il faut essentiellement rechercher l’origine du conflit dans des enjeux de politique intérieure cambodgienne », suggère le chercheur Pavin Chachavalpongpun, du Center for Southeast Asian Studies de la Kyoto University.
« La crise intervient à un moment où le jeune gouvernement emmené par Hun Manet fait face à une crise de légitimité », avance l’expert, qui voit Phnom Penh ressortir la carte de la mobilisation nationaliste autour de son différend territorial historique avec la Thaïlande.
Une dispute ancienne
Les deux nations se disputent, depuis des décennies, la souveraineté sur des petits territoires, et des temples, dont le site de Preah Vihear datant de l’empire khmer, isolés dans une zone dont les contours avaient été tracés, approximativement, au début du XXe siècle par la France, lorsqu’elle contrôlait l’Indochine, et le Royaume du Siam, devenu la Thaïlande.
Ce différend a été à l’origine de multiples crises entre les deux royaumes au fil du XXe siècle ainsi qu’en 2003 et 2011. « Mais cette fois, cette dispute n’est pas la source du conflit mais l’un de ses sous-produits », note Pavin Chachavalpongpun.
Redoutant une escalade du conflit, plusieurs capitales ont appelé, vendredi, les deux pays à organiser un cessez-le-feu et à reprendre leur dialogue. Mais elles n’ont pas été entendues et aucune puissance étrangère ne s’est, pour l’instant, imposée pour modérer la crise.
Si l’administration Trump semble, pour le moment, se désintéresser de ce conflit, les diplomates estiment que la Chine ou la France pourraient être prochainement sollicitées, indépendamment ou au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, pour empêcher ces affrontements frontaliers de dégénérer en une véritable guerre.
Par Yann Rousseau – Les Echos – 25 juillet 2025
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