Victor Vu, l’équilibriste du cinéma vietnamien
À 50 ans, Victor Vu s’impose comme l’un des réalisateurs les plus prolifiques du Vietnam. Entre ambitions artistiques et exigences du marché, il trace une voie singulière, exigeante et inspirante dans le cinéma contemporain du pays.
Victor Vu n’a jamais cessé de surprendre. Cinéaste discret, souvent en retrait des projecteurs, il n’en est pas moins l’un des noms les plus fiables de l’industrie cinématographique vietnamienne.
À 50 ans, il compte à son actif 20 productions, dont 18 films pour le grand écran, une série diffusée sur Netflix et un court-métrage indépendant. Une trajectoire impressionnante, marquée par un souci constant : concilier exigences artistiques et viabilité commerciale.
Cette capacité à jongler entre deux mondes – celui du beau et celui du rentable – est devenue sa signature. “J’admire des réalisateurs comme Spielberg, Kurosawa ou Hitchcock pour leur talent à équilibrer art et succès populaire”, confie-t-il. Victor Vu partage cette ambition, avec une méthode bien à lui.
Né aux États-Unis sous le nom de Vu Quôc Viêt, diplômé en production cinématographique à la Loyola Marymount University de Los Angeles, il débute dans l’industrie comme assistant de plateau. Une expérience amère : il y découvre une réalité dure, faite de stress et de désillusions. Rapidement, il bifurque vers des métiers techniques dans l’audiovisuel, notamment chez Sony Pictures Entertainment, tout en réalisant ses propres courts-métrages le week-end. Une double vie qu’il mènera pendant six ans, avant de se lancer avec ses propres moyens.
Son premier long-métrage autoproduit, tourné en 2003 avec 50.000 dollars (dont la moitié issue de ses économies), récolte quelques récompenses confidentielles. Mais c’est un point de départ, qui lui permet d’enchaîner avec Oan hồn – Spirits – Esprits (2004), film de genre ancré dans le folklore vietnamien. Faute d’autorisation de tournage au Vietnam, il devra reconstituer les décors vietnamiens de ce film aux États-Unis.
Retour au pays
C’est avec Chuyện tình xa xứ (Passport to Love – Passeport pour l’amour) en 2009 que Victor Vu marque réellement son entrée dans le cinéma vietnamien. Inspiré de Tắt lửa lòng (Le cœur éteint) de Nguyên Công Hoan, le film est une romance moderne, conçue pour le marché local. Mais les débuts sont rudes : lâché par un producteur à son retour au Vietnam, sans contacts ni soutien familial, il doit frapper à toutes les portes pour financer le film. Il finit par convaincre un passionné de cinéma, fils de commerçants, qui paruera sur lui. Bien lui en a pris : avec un budget de 8 milliards de dôngs, le film en rapportera 14 milliards.
Cette réussite lui apprend une règle d’or pour composer avec la réalité du marché. Afin de finaliser le montage, il collabore avec une marque de cosmétiques qui finance la postproduction en échange d’un placement de produit discret. Une stratégie qu’il affinera dans les projets suivants, toujours soucieux de préserver la cohérence esthétique tout en assurant la rentabilité.
Aujourd’hui, Victor Vu est considéré comme un “label de qualité” dans l’industrie locale. Son ratio de réussite est impressionnant : environ un film sur cinq ne rentabilise pas ses coûts, ce qui reste exceptionnel dans un secteur à haut risque. Avec plus de 1.000 milliards de dôngs de recettes cumulées, il appartient au cercle très fermé des réalisateurs les plus bankables du pays, aux côtés de figures comme Ly Hai ou Trân Thành.
Certains projets de Victor Vu sont financés à 50% par de grandes sociétés de distribution (Galaxy, CGV, Lotte Cinema), et le reste par des investisseurs privés, dont sa propre société familiale, November Films, dirigée par son épouse, l’actrice Dinh Ngoc Diêp.
Fidèle à son exigence esthétique, Victor Vu veille à chaque détail : scénario, mise en scène, direction d’acteurs, photographie, costumes, jusqu’aux affiches promotionnelles. Son approche est globale. “On passe un an à préparer un film qui ne vit que quelques semaines en salle. Tout doit être impeccable”, explique-t-il.
Sa filmographie explore une grande variété de genres : romance avec les adaptations de romans de Nguyên Nhât Anh : Tôi thấy hoa vàng trên cỏ xanh (Yellow Flowers on Green Grass – Fleurs jaunes sur herbe verte) et Mắt biếc (Dreamy Eyes – Yeux rêveurs), comédie dramatique (Chuyện tình xa xứ), films d’époque (Người vợ cuối cùng – The Last Wife – La dernière épouse), thrillers surnaturels (Thám tử Kiên : Kỳ án không đầu – Detective Kiên : The Headless Horror – Détective Kiên : L’horreur sans tête). La ligne directrice, elle, ne varie pas : créer des œuvres visuellement puissantes, porteuses d’émotions et capables de séduire un large public.
Avenir prometteur
La santé n’a pas épargné le réalisateur. Victime de deux infarctus en 2023, il a dû subir l’implantation de quatre stents. Mais cette épreuve ne l’a pas ralenti. Il veille désormais à préserver un rythme de travail raisonnable : pas plus de 10 à 12 heures de tournage par jour, pour ne pas épuiser les équipes – ni lui-même. “Le corps a ses limites. Mieux vaut tourner un peu moins, mais le faire bien”, dit-il.
Il veut aussi passer plus de temps avec ses deux enfants, qu’il n’hésite pas à emmener sur les plateaux. Un retour aux fondamentaux, sans renoncer à ses ambitions : “J’ai encore mille projets en tête”. Le marché n’est pas encore arrivé à maturité, mais le cinéaste Victor Vu est prêt.
Le regard qu’il porte sur l’évolution du cinéma vietnamien est optimiste. Depuis son retour au pays, le nombre d’écrans de cinéma a été multiplié par dix : de 100 en 2010 à plus de 1.100 aujourd’hui. Le public vietnamien, jeune et de plus en plus exigeant, aspire à des œuvres plus sophistiquées. Et Victor Vu entend bien répondre à cette attente.
Son dernier film, Thám tử Kiên : Kỳ án không đầu (2025), illustre cette montée en puissance. Lauréat du prix du Meilleur réalisateur au DANAFF III, il y rend hommage à “la culture et aux histoires humaines” qui nourrissent sa passion. Un choix artistique fort, mais aussi une preuve de lucidité stratégique : “Avant d’oser le polar fantastique, on a d’abord testé le public avec une version plus romantique. C’est ce retour favorable qui nous a permis d’aller plus loin”.
Par Dan Thanh – Le courrier du Vietnam – 2 août 2025
Articles similaires / Related posts:
- Le festival de Cannes prime et encourage le « jeune cinéma » vietnamien Si aucun film vietnamien n’a encore obtenu la Palme d’Or – le prix le plus prestigieux du Festival de Cannes -, ils sont nombreux à avoir prétendu aux différents titres de cette compétition internationale et, pour certains, à avoir reçu un prix....
- Festival du film italien 2024 à Hanoï Avec le désir d’offrir au public vietnamien une perspective contemporaine sur le cinéma italien, l’ambassade d’Italie à Hanoï, en collaboration avec le Festival du film asiatique de Rome, présente le Festival du film italien 2024, qui se tiendra au Centre national du cinéma à 19h30 tous les jours du 23 au 28 septembre 2024....
- Un film vietnamien remporte deux prix à la Mostra de Venise Le long métrage Don’t cry, butterfly a remporté deux prix à la Mostra de Venise 2024. Le jury a salué son caractère unique et créatif, qui mélange comédie, drame social et fantastique tout en décrivant les complexités d’une relation mère-fille....
- «Viêt and Nam», la façon magique de Minh Quy Truong «de voir la vie, de voir le Vietnam» Viêt et Nam travaillent dans une mine de charbon au Vietnam. Ils rêvent et ils s’aiment, en résistant à toutes les pressions de la société. Et en affrontant les fantômes du passé : la guerre de Vietnam, le père disparu… Avec « Viêt and Nam », le réalisateur Minh Quy Truong a réussi une histoire très originale, très profonde, filmée d’une façon unique. Visiblement au grand dam du gouvernement vietnamien. Sélectionné au Festival de Cannes, le film a pourtant été interdit au Vietnam....
- Hanoï accueille le Festival du film documentaire sur le développement durable Des voix pour demain : le Festival du film documentaire sur le développement durable se tiendra du 30 octobre au 3 novembre au Centre national du cinéma à Hanoï, avec à l’affiche 10 œuvres documentaires exceptionnelles de différents pays, dont celles du Vietnam....