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Birmanie : pourquoi les États-Unis lèvent discrètement des sanctions contre la junte

Les États-Unis ont annoncé fin juillet lever des sanctions qui visaient plusieurs alliés des militaires au pouvoir en Birmanie et leurs entreprises. Une « honte » et un « message catastrophique », pour les défenseurs des droits humains, alors que la junte est en pleine quête de reconnaissance internationale. 

L’annonce est passée presque inaperçue. Jeudi 24 juillet, le Trésor américain révèle, dans un bref communiqué, que plusieurs personnes et entreprises liées à la junte militaire au pouvoir en Birmanie ont été retirées de la liste des sanctions américaines mises en place depuis le coup d’État de 2021. 

Dans le détail, des sanctions ont été levées à l’encontre de trois entreprises et quatre individus. Parmi eux, KT Services and Logistics et son PDG qui avaient été qualifiés de « proches de la junte » après qu’ils ont loué le port de Rangoun à une entreprise militaire pour trois millions de dollars par an. 

Ont aussi été sortis de la liste américaine les entreprises Myanmar Chemical and Machinery Company et Suntac Technologies et leurs propriétaires – des fabricants d’armes, notamment de chars et des mortiers. Un troisième ressortissant birman, Tin Latt Min, que les États-Unis avaient décrit comme propriétaire de « diverses entreprises étroitement liées au régime », est également concerné.

« C’est une honte »

« C’est une honte », réagit Anna Roberts, directrice executive de l’ONG Burma Campaign UK, qui dresse depuis 2018 une liste noire des entreprises accusées de collaborer avec la Tatmadaw, l’armée birmane. « Les sanctions devraient continuer à pleuvoir sur la junte et ses soutiens tant qu’elle continue à commettre des atrocités envers la population. Et la levée de ces sanctions est d’autant plus grave que les entreprises concernées sont accusées de fournir directement des armes aux militaires ». 

Depuis que la junte militaire du général Min Aung Hlaing a pris le pouvoir en Birmanie en 2021, renversant le gouvernement élu de la prix Nobel Aung San Suu Kyi, le pays est en proie à la guerre civile entre les militaires et un mouvement pro-démocratie composé de plusieurs groupes minoritaires ethniques. Alors que les combats font rage dans plusieurs parties du pays, les ONG dénoncent régulièrement des violations des droits humains.

Ainsi, Amnesty rappelle dans son dernier rapport que le conflit armé interne s’est intensifié. « Les frappes militaires aériennes ont été plus nombreuses, de même que les attaques de l’armée contre des établissements scolaires, des hôpitaux et des infrastructures civiles », souligne l’ONG, qui signale par ailleurs qu’un mandat d’arrêt contre le général Min Aung Hlaing a été requis pour les actes de déportation et de persécution des Rohingyas.

« Cette mesure laisse craindre un changement majeur dans la politique américaine, qui était jusqu’à présent axée sur des sanctions à l’encontre du régime militaire birman », alerte de son côté John Sifton, directeur du plaidoyer pour l’Asie à Human Rights Watch. « Cela va susciter une profonde inquiétude parmi les victimes de l’armée birmane et tous ceux qui se battent et militent pour le retour à la démocratie. »

Échanges de courriers

Depuis cette annonce, les spéculations vont bon train pour tenter de comprendre ce qui a motivé cette décision américaine. Pour certains analystes, la réponse est avant tout économique. 

Peu de temps avant le communiqué du Trésor américain, Donald Trump et Ming Hlaung Aing ont échangé par courrier. Le premier a été envoyé par le président américain. Il faisait partie de la salve de missives adressées à des dirigeants étrangers en vue d’augmenter les droits de douane sur les produits importés par les États-Unis. Il menaçait la Birmanie d’une taxe de 40 %, à moins qu’un accord commercial ne soit conclu rapidement.

En réponse, relate Reuters, le chef de la junte a répondu dans un long courrier particulièrement flatteur envers le président américain. Min Hlaung Aing lui exprime sa « sincère reconnaissance », rend hommage à son « leadership fort », et ouvre la porte à des négociations commerciales. 

Le début d’une nouvelle idylle ? Rien n’est moins sûr. « Ces courriers de Donald Trump étaient tous écrits sur le même modèle. Cela n’est en aucun cas la preuve d’un intérêt nouveau pour la Birmanie ou d’une volonté de rapprochement avec la junte », analyse Anna Roberts. « Mais du côté des généraux birmans, cela aura sûrement fait naître l’espoir de pouvoir négocier, dialoguer et donc normaliser les relations avec les États-Unis. »

Lorgner les terres rares

Car d’un point de vue économique, la Birmanie possède quelque chose qui intéresse beaucoup les États-Unis : des terres rares, ces minerais très convoités qui servent à fabriquer des téléphones portables, des écrans, des éoliennes, des drones ou encore des batteries de voitures électriques. Or, le principal pays qui profite actuellement de ce trésor est le plus grand rival commercial de Washington : la Chine, déjà leader mondial du secteur.

Depuis 2021, la Birmanie a ainsi doublé ses exportations de terres rares lourdes vers la Chine voisine, révélait en 2024 une étude de l’ONG Global Witness, spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles dans les pays en développement. Situées dans l’État Kachin, à la frontière entre les deux pays, le nombre de mines a par ailleurs explosé, passant à plus de 300.

La levée des sanctions est-elle l’illustration d’une nouvelle stratégie américaine pour accéder à ces minerais ? « Si c’est le cas, cela paraît hautement périlleux », estime Anna Roberts. « Déjà parce que la Chine a toujours été le plus grand soutien de la junte et dispose d’une influence majeure en Birmanie. » 

« Et quand bien même les États-Unis parviendraient à prendre le contrôle de ces mines, il y a de fortes chances qu’ils ne puissent pas en faire grand-chose », poursuit la spécialiste. « Le défi logistique serait immense. Certaines mines sont situées dans des zones actuellement sous contrôle de l’Armée pour l’indépendance kachin, l’un des groupes ethniques qui lutte contre la junte. »

Sans compter que, dans ce contexte, « les entreprises américaines seraient forcément réticentes à l’idée de participer à ce marché. Il est peu probable qu’elles prennent le risque de mettre en jeu leur réputation et de s’exposer à des poursuites judiciaires en participant à un tel projet dans une zone de guerre. »

Dans un communiqué, un porte-parole du Trésor a de son côté démenti toute « arrière-pensée » dans la décision américaine. « Quiconque suggère que ces sanctions ont été levées en raison d’une arrière-pensée est mal informé et colporte une théorie du complot motivée par la haine envers le président Trump », a-t-il assuré. Des individus sont « régulièrement ajoutés et retirés » de la liste des sanctions « dans le cours ordinaire des affaires », a-t-il ajouté.

Une junte en quête de légitimité

Quoiqu’il en soit, le « message envoyé par Donald Trump est catastrophique », dénonce encore Anna Roberts. « Sa politique a déjà fait beaucoup de mal à la population birmane, notamment parce que les coupes budgétaires de l’Usaid ont privé de nombreuses personnes d’une aide vitale. Cette fois, il fait le jeu de la junte au moment où celle-ci s’est lancée dans une grande quête de légitimité et de reconnaissance internationale. »

Le 31 juillet, la junte militaire a en effet annoncé la levée de l’état d’urgence, en place dans le pays depuis le coup d’État. Avec un objectif affiché : organiser des élections générales en décembre ou janvier 2026. Les militaires espèrent ainsi consolider leur pouvoir et se donner une apparence de légitimité alors que, sur le terrain, de grandes parties du pays sont toujours contrôlés par le mouvement pro-démocratie. De leur côté, les groupes d’opposition ont d’ores et déjà annoncé avoir l’intention de boycotter le scrutin.

« Les militaires avaient procédé de la même façon lors d’un précédent coup d’État en 2010. Ils avaient organisé des élections, libéré des prisonniers et affiché un semblant de retour au calme. Cela avait suffi à faire retomber la pression de la part de la communauté internationale », rappelle Anna Roberts. « Il faut tirer des leçons du passé et ne pas retomber dans le piège. Ce n’est pas le moment de diminuer l’action internationale. Et cela passe par le maintien voire un durcissement des sanctions. »

Par Cyrielle Cabot – France 24 Tv – 8 août 2025

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