“Mon affaire illustre l’absence totale de liberté de la presse au Vietnam” : témoignage exclusif d’un journaliste persécuté
Reporters sans frontières (RSF) dénonce la répression incessante du journalisme indépendant au Vietnam. Le cas de Doan Bao Chau est emblématique : il est contraint de vivre dans la clandestinité en raison du harcèlement constant des autorités. Dans un entretien exclusif accordé à RSF, il révèle le calvaire qu’il vit depuis plus d’un an.
Le 14 août 2025, le bureau d’enquête de la police de Hanoï a annoncé avoir émis un mandat d’arrêt spécial contre le journaliste indépendant vietnamien Doan Bao Chau, appelant la population à contribuer à son arrestation. Quelques semaines plus tôt, une vingtaine d’agents du régime avaient perquisitionné le domicile de l’épouse du journaliste, alors que celui-ci était déjà en fuite depuis plus d’un an. Lors de cette descente, ils ont informé son épouse qu’il avait été officiellement inculpé pour “diffusion de documents contre l’État”, un crime passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 12 ans de prison.
Ancien photojournaliste, Doan Bao Chau est une figure importante du journalisme indépendant vietnamien. Il a collaboré avec plusieurs agences de presse internationales telles que Associated Press, Reuters, et l’Agence France-Presse (AFP), ainsi qu’avec de nombreux médias tels que le quotidien The New York Times et le magazine Forbes. Il publie régulièrement sur l’actualité vietnamienne sur sa page Facebook, suivie par plus de 215 000 personnes. Dans un entretien exclusif accordé à RSF, Doan Bao Chau révèle la répression exercée par le régime vietnamien contre la presse.
Selon le journaliste, les accusations sont fabriquées de toutes pièces. Il rapporte que la police a affirmé à sa femme qu’il dirigeait un prétendu parti politique dissident, le “Parti d’État de Vinh Long”. “C’est un mensonge éhonté. Je n’ai jamais appartenu à aucun parti politique”, affirme Doan Bao Chau. Les documents présentés comme preuves montrent en réalité que les autorités cherchent à le réprimer pour son activité journalistique, en particulier pour sa participation à un entretien vidéo publié sur YouTube, dans lequel il évoque la répression subie par la journaliste Pham Doan Trang, lauréate du prix RSF de la liberté de la presse 2019, qui purge actuellement une peine de neuf ans de prison, pour avoir simplement exercé son métier.
Accusations fabriquées en représailles à son travail journalistique
“Mon affaire illustre l’absence totale de liberté de la presse au Vietnam”, confie Doan Bao Chau à RSF. “Je ne fais qu’exercer mon métier. Je m’intéresse aux souffrances de mes concitoyens, je les interroge, je leur donne la parole, et j’espère que la pression publique incitera le gouvernement à changer de cap – qu’il s’agisse des expropriations, des violences policières ou des traitements inhumains infligés aux prisonniers.”
Le journaliste estime que l’un de ses reportages ayant le plus irrité les autorités est un entretien vidéo réalisé en 2021 avec des avocats sur le conflit foncier de Dong Tam, une affaire dans laquelle le régime avait envoyé 3 000 soldats attaquer en pleine nuit un village près de Hanoï, la capitale.
Doan Bao Chau est dans le viseur des autorités depuis juin 2024. Il avait alors été convoqué par la police, qui l’a informé de l’ouverture de poursuites pénales contre lui et lui a interdit de quitter le pays. Craignant une arrestation imminente, il a choisi de fuir son domicile pour entrer en clandestinité : “Je savais que j’allais être arrêté”, explique-t-il. Depuis, la police a mené, à plusieurs reprises, des perquisitions à son domicile et chez ses proches. “Ils menacent constamment ma femme et mes enfants. Ils ont prévenu que si j’étais poursuivi ou déclaré recherché, leur avenir serait détruit : ils pourraient perdre leur emploi et être rejetés par la société.”
La détermination face à la répression continue contre les journalistes
“J’ai vu ce qui est arrivé à d’autres qui, comme moi, ont osé s’exprimer”, précise le journaliste, qui, malgré les risques, reste déterminé : “Je considère le gouvernement vietnamien comme hypocrite. Il prétend devant la communauté internationale que les droits humains progressent, alors que sur le terrain, les paysans continuent d’être expropriés et les prisonniers continuent d’être torturés et maltraités. Je continuerai à informer, car même indirectement, cela peut aider à améliorer la situation au Vietnam.”
“En s’attaquant à une figure du journalisme telle que Doan Bao Chau, le régime vietnamien démontre une nouvelle fois son mépris absolu pour la liberté de la presse et sa détermination à faire taire toute voix indépendante. Nous appelons le régime vietnamien à abandonner immédiatement toutes les charges contre le journaliste et à garantir qu’il puisse retrouver sa famille sans crainte d’une arrestation.
Cédric Alviani – Directeur du bureau Asie-Pacifique de RSF
Ces dernières années, le régime vietnamien a mené une véritable guerre contre le journalisme indépendant, avec plus de 70 journalistes arrêtés depuis 2016. Depuis son accession au pouvoir en août 2024, le secrétaire général du Parti communiste vietnamien, To Lam, poursuit cette offensive contre la liberté de la presse. En février 2025, un autre journaliste indépendant de renom, Truong Huy San – connu sous le nom de plume Huy Duc – a été condamné à 30 mois de prison pour avoir dénoncé des cas de corruption et d’abus de pouvoir au plus haut niveau.
Avec au moins 27 journalistes actuellement détenus, dans des conditions qui laissent souvent craindre pour leur vie, le Vietnam fait partie des plus grandes prisons du monde pour les journalistes. Le pays se classe au 173e rang sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2025.
Reporters Sans Frontières (RSF) – 18 août 2025
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