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Vietnam : la «révolution» administrative de To Lam, une refonte de l’État à marche forcée

Depuis le début de l’année, le Vietnam connaît une restructuration sans précédent de son administration, menée tambour battant par le secrétaire général To Lam. Suppressions de postes, fusion de ministères, redécoupage territorial : cette « révolution » administrative promet efficacité et croissance, mais soulève des interrogations sur la centralisation du pouvoir et l’équilibre du régime.

Dans la foulée de son arrivée au pouvoir l’année dernière, To Lam a engagé son pays dans une réforme administrative d’une ampleur considérable en quelques mois à peine. Cette transformation, qualifiée de véritable « révolution » administrative, vise à rationaliser l’appareil d’État à tous les niveaux et à soutenir la croissance économique. Et elle ne se limite pas à de simples ajustements. 

« Si nous voulons avoir un corps sain, nous devons parfois accepter des remèdes amers et endurer la douleur pour éliminer des tumeurs », a expliqué le dirigeant vietnamien pour justifier son entreprise. Le traitement est pour le moins drastique : il doit aboutir à la suppression de près de 100 000 postes de fonctionnaires, soit 20 % des emplois dans le secteur public d’ici à 2030. Pour cela, To Lam s’attaque à la structure même de l’État. 

Le nombre de ministères est drastiquement réduit, passant de 30 à 14, tandis que la carte administrative du pays est largement réorganisée. Le niveau des districts est supprimé, instaurant un système à deux échelons : la province et la commune, dont le nombre est aussi revu à la baisse. Par le biais de fusions, les provinces sont ramenées de 63 à 34. Les réformes touchent également le Parti communiste lui-même, l’armée, la justice, et s’accompagnent de la fermeture ou de la fusion de nombreux médias d’État.

Réforme majeure

Cette série de réformes est considérée comme la plus importante depuis celles du Doi Moi à la fin des années 1980, qui ont ouvert le Vietnam à l’économie de marché. « Après près de quatre décennies, les réformes Doi Moi originelles du Vietnam ont fait leur temps », explique Khac Giang Nguyen, chercheur à l’Institut Yusof Ishak de Singapour (Iseas), interrogé par la Deutsche Welle. « La croissance ralentit, les gains de productivité stagnent et le vieux modèle de main-d’œuvre bon marché et de capitaux étrangers ne garantit plus le succès. » 

Depuis le « renouveau » du Doi Moi, nombre d’analystes considèrent que l’appareil d’État, gonflé à la faveur de la croissance démographique et économique, est devenu pléthorique, peu efficace et trop souvent miné par la corruption. Les postes publics, souvent mal payés, se sont multipliés sans toujours répondre à un besoin réel, et la bureaucratie est devenue un frein à l’investissement et à l’innovation, tout en alimentant les réseaux de corruption.

Dès lors, la priorité affichée par To Lam est double : améliorer radicalement l’efficacité de l’État et lutter contre la corruption en réduisant le nombre d’intermédiaires administratifs. Les responsables vietnamiens affirment que ces coupes budgétaires rendront l’État plus agile et réorienteront les ressources publiques vers la croissance économique, avec pour objectif d’atteindre le statut de pays à revenu élevé d’ici à 2045.

Moderniser l’économie

Cette « révolution » administrative s’accompagne d’une série de mesures pour moderniser l’économie : digitalisation, innovation, ouverture à l’internationale, et surtout la promotion du secteur privé comme moteur de croissance. « Le Parti s’est rendu compte que l’économie était le seul vecteur qui permettrait de le maintenir au pouvoir et qui permettrait au régime de continuer à fonctionner autour de son Parti sans imaginer ou envisager l’ouverture au multipartisme », analyse Benoît de Tréglodé, directeur de recherche à l’Irsem, dans un entretien à Radio Vatican. L’efficacité et la croissance deviennent ainsi les piliers du régime.

L’une des principales ambitions de cette restructuration est bien de faciliter les investissements. En fusionnant des ministères, supprimant des niveaux administratifs et clarifiant les responsabilités, le gouvernement entend accélérer les démarches pour les entreprises, limiter la corruption et réduire les délais d’instruction des projets. Cette rationalisation doit rendre l’environnement des affaires plus transparent, prévisible et efficace, conditions jugées indispensables pour attirer davantage d’investisseurs étrangers et stimuler la montée en gamme de l’économie vietnamienne.

Verrouillage politique

Mais cette réforme n’est pas qu’une question de « bonne gouvernance » ou de développement économique. Elle s’inscrit aussi dans une logique de verrouillage politique. Car en supprimant les districts et près la moitié des provinces, To Lam bouleverse l’équilibre du pouvoir : non seulement il supprime des niveaux de marchandages politiques, mais il ferme des filières de promotions internes. Cette restructuration permet à la haute direction d’exercer un contrôle plus direct sur les affaires et les nominations locales.

Et les premiers bénéficiaires en sont To Lam et ses fidèles, placés à des postes clés. Le président réduit les marges de manœuvre de ses rivaux et renforce la consolidation du pouvoir au sommet de l’État. Tout cela à moins d’un an du XIVe Congrès national du Parti communiste, moment traditionnel de jeux de pouvoir et de luttes d’influence. To Lam a bousculé la donne : « Il a poussé les réformes les plus radicales juste avant un Congrès du Parti, une période habituellement très calme. Cela montre à quel point il est confiant politiquement et sûr de son contrôle du Comité central », analyse Zach Abuza, professeur au National War College de Washington, interrogé par Radio Free Asia. 

Cette transformation, dont la rapidité de mise en œuvre surprend et interroge, s’inscrit dans une évolution idéologique plus large sous To Lam, qui a mis l’accent sur une gouvernance centralisée. Si les administrations locales en sortent perdantes, les deux ministères régaliens, la Sécurité publique et la Défense, en sont, eux, les grands gagnants. Le ministère de la Sécurité publique, dont To Lam est issu et au sein duquel il garde une influence considérable, est particulièrement renforcé. Il voit son champ d’action s’étendre, avec de nouvelles responsabilités, dont la cybersécurité ou la sécurité aérienne.

Recentrage

« C’est symptomatique d’un déplacement de l’épicentre du pouvoir qui se confirme au Vietnam autour d’un nombre d’acteurs politiques réduits, d’un homme fort qui est la personnalité de To Lam, et autour de ministères sécuritaires qui, encore une fois, maintiennent et conservent l’essentiel du poids » dans le pays, analyse Benoît de Tréglodé, directeur de recherche à l’Irsem. Dans un régime autoritaire comme le Vietnam, la Sécurité publique est un acteur central, sinon essentiel.

Pour le chercheur Yves Duchère, « cette réforme n’a pas vocation à réformer en profondeur le pouvoir et l’État, mais plutôt à le renforcer. Loin d’un processus de démocratisation, il s’agit d’un recentrage autoritaire, visant à adapter le pays aux exigences économiques mondiales sans jamais remettre en cause la mainmise du Parti sur la société ». La multiplication des arrestations pour « atteinte aux intérêts de l’État » et l’absence de consultation publique sur les réformes témoignent d’un écart croissant entre dirigeants et société civile.

Cette réforme n’est pas sans risques. Son application précipitée pourrait générer des dysfonctionnements administratifs, accroître les inégalités territoriales et renforcer la déconnexion entre les organes politiques et les citoyens. En plus de provoquer du mécontentement chez certains cadres qui voient leur progression de carrière s’arrêter net. Pour Zach Abuza, il est certain qu’il y aura « des résistances, des complications, et de nombreux problèmes pratiques », dont certains sont encore durs à évaluer en raison de la vitesse avec laquelle est menée cette « révolution » administrative. 

Par Baptiste Condominas – Radio France Internationale – 21 août 2025

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