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Thaïlande : le « roi du cannabis » prend la tête d’un gouvernement sous emprise

Le conservateur Anutin Charnvirakul a été élu Premier ministre, ce vendredi, avec le soutien de ses adversaires progressistes qui lui ont fait promettre une dissolution de l’assemblée dans les quatre mois. Le dirigeant doit gérer une situation politique confuse et une économie fragilisée.

Anutin Charnvirakul ne contrôle que le troisième plus grand groupe d’élus au sein du Parlement thaïlandais. Mais à l’issue de complexes tractations avec une demi-douzaine de partis, l’ancien homme d’affaires, milliardaire, souvent baptisé « le roi du cannabis » pour son soutien à la dépénalisation, a réussi à se faire élire, ce vendredi, au poste de Premier ministre du royaume.

A 58 ans, le député conservateur a obtenu 311 des 492 voix au sein d’un Parlement très divisé. Il devient ainsi le troisième chef du gouvernement du pays en un an. Son élection fait suite à la destitution, la semaine dernière, de l’ancienne Première ministre Paetongtarn Shinawatra, par la cour constitutionnelle thaïlandaise qui l’a reconnue coupable de violations à l’éthique.

Entente temporaire avec le People’s Party

Issue du parti populiste Pheu Thai, la jeune dirigeante, qui gouvernait sous le contrôle de son père, l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, était accusée d’avoir failli à la Constitution lors d’un échange téléphonique avec l’ancien homme fort du Cambodge, Hun Sen, dans une période de grandes tensions entre les deux nations. Elle ne pouvait pas se présenter à sa propre succession et son père s’est envolé, quelques heures avant le vote, pour Dubaï, où il pourrait tenter d’échapper, une fois encore, à la justice thaïlandaise.

Pour emporter l’exécutif, Anutin Charnvirakul, qui pilote la formation Bhumjaithai (Fierté de la Thaïlande) très bien implantée dans les zones rurales de l’Isan (nord-est du pays), a négocié une entente temporaire avec le People’s Party (anciennement connu sous le nom de Move Forward) qui est le plus représenté à la chambre basse.

Malgré son poids dans l’assemblée et sa victoire aux législatives de 2023, cette formation réformatrice, qui conteste l’implication de l’armée et des royalistes dans la vie parlementaire, ne pouvait techniquement pas désigner son propre Premier ministre. Elle a donc apporté ses voix à Anutin Charnvirakul, l’un de ses adversaires idéologiques, qui, en échange, s’est engagé à dissoudre l’assemblée dans les quatre mois, à organiser des élections générales et à enclencher une réforme constitutionnelle.

« Nous l’avons choisi pour qu’il lance la dissolution »

Les cadres du People’s Party, toujours en tête dans les sondages, veulent croire qu’un nouveau scrutin permettra de clarifier la situation politique et de stabiliser le pays qui vit une période délicate. Son économie, qui dépend du commerce et du tourisme, est confrontée aux nouveaux droits de douane « réciproques » de 19 % aux Etats-Unis, son principal marché d’exportation, et à une baisse des flux touristiques.

Sur la période allant de janvier à août, le nombre de visiteurs étrangers a reculé, en glissement annuel, de plus de 7 %. Surtout, les touristes chinois, autrefois très dispendieux, ont considérablement réduit leurs achats dans les luxueux malls de Bangkok et de Pattaya.

Pour relancer la croissance, qui ne devrait atteindre que 2,3 % cette année, le nouveau Premier ministre promet de soutenir la consommation, avec notamment un grand plan national de prêts aux ménages et la mise en chantier de grandes infrastructures. Il pourrait compter sur le soutien d’une partie des milieux d’affaires. Avant son entrée en politique, à la fin des années 1990, aux côtés de Thaksin Shinawatra, il dirigeait le géant de la construction Sino-Thai Engineering and Construction PCL, fondé par son père.

Et il va aussi s’appuyer sur sa grande habileté politique. Dans une étude récente, les politologues Napon Jatusripitak et Suthikarn Meechan le présentaient comme l’un des grands « faiseurs de rois » de la scène politique thaïlandaise. « Cela s’explique par son absence d’engagement idéologique (à l’exception d’une position plus favorable à la monarchie ces dernières années), ses tactiques agressives pour débaucher des députés d’autres partis et son pragmatisme à toute épreuve dans la formation et le changement d’alliances », écrivaient-ils.

A l’aise au sein des coalitions, il a d’ailleurs déjà participé à plusieurs gouvernements, et a notamment dirigé le ministère de la Santé pendant la pandémie de Covid avant de profiter de ce portefeuille pour défendre la légalisation du cannabis en 2022. Sa capacité à gérer des crises va toutefois être testée rapidement lors de la formation du gouvernement et de l’organisation, dans la foulée, des élections promises à ses adversaires. « Aujourd’hui, nous avons choisi Anutin, non pas pour qu’il dirige le pays mais pour qu’il lance la dissolution », a martelé, vendredi, Natthaphong Ruengpanyawt, le leader du People’s Party.

Par Yann Rousseau – Les Echos – 5 septembre 2025 

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